Le cinéma, nouveau soft power de l’Arabie saoudite


Cette ouverture sur le cinéma international et ce genre de festivals où l’on voit défiler chaque soir des stars vêtues de robes sexy et dénudées, était impensable il y a quelques années dans un royaume wahhabite où le cinéma est resté interdit plus de trois décennies.
En 2018, depuis l’autorisation de réouverture des salles, Riyad a bien rattrapé son retard en devenant en quelques années l’un des principaux mécènes du cinéma dans la région. Un changement radical qui rentre dans le cadre du plan de réformes « Vision 2030 » du prince héritier Mohammad ben Salmane, qui souhaite utiliser la pellicule comme un outil de « soft power » dans le but de diffuser une image moderne et libérale de son royaume.
Honneur aux femmes

Véritable vitrine des changements sociétaux en cours dans le pays, le festival international du cinéma de Djeddah a mis en avant les femmes, qui ont réalisé près de 40 % des 138 films internationaux présentés. « Le cinéma m’a donné une voix. En tant que femme, j’ai grandi en Arabie saoudite lorsque les femmes et la culture n’étaient pas au centre des préoccupations. Maintenant nous sommes au centre », a déclaré la réalisatrice saoudienne Haifa al-Mansour, connue pour son film Wajda, au moment de recevoir un prix d’honneur récompensant sa carrière.
Le royaume qui investit lourdement dans les loisirs pour étendre son « soft power » dans la région et sur la scène internationale, souhaite ainsi véhiculer une image plus moderne de ses femmes qu’il souhaite rendre plus libres et émancipées, les femmes qui ont été autorisées à conduire depuis 2018.
Des millions de dollars pour le cinéma
Misant gros sur le cinéma comme soft power, l’Arabie saoudite a promis d’investir 64 milliards de dollars en une décennie dans l’industrie du divertissement, prouvant ainsi l’importance de la culture et du cinéma dans le vaste chantier de réformes lancé en 2016 par le prince héritier afin de diversifier l’économie saoudienne et préparer l’ère postpétrole.
Le Red Sea Film Festival dispose à lui seul, d’un fonds de 14 millions de dollars dédié au développement, à la production et à la postproduction de films arabes et africains.
En 2030, l’industrie du film devrait rapporter 1,5 milliard de dollars combinant entrées en salles et produits dérivés, selon le cabinet de services PricewaterhouseCoopers, tandis que 45 cinémas ont déjà ouvert leurs portes en trois ans. L’investissement prévu sur la décennie « permettra à tous les cinéastes du royaume ou en dehors, qui souhaitent raconter des histoires saoudiennes, de se faire plaisir », explique Ali Jaber, directeur du groupe de télévision MBC, détenu à majorité par l’Arabie saoudite. Ce dernier compte investir « près d’un demi-milliard de dollars dans la création de contenus sur sa plateforme de streaming Shahid afin de relancer et de faire progresser toute l’industrie dans le monde arabe », précise son directeur.
De plus, les séries et contenus saoudiens s’imposent de plus en plus dans la région. La chercheuse Eman Alhussein affirme que « certaines séries saoudiennes comme Masameer County sur Netflix ou Rashash sur (Shahid, de) MBC, ont suscité un grand intérêt non seulement en Arabie saoudite mais aussi dans la région ».
Poids de la culture dans la politique étrangère saoudienne

Plusieurs événements musicaux ou sportifs de grande envergure, comme les concerts de Pitbull ou encore de Justin Bieber, ou le Grand Prix de formule 1 à Djeddah, témoignent des changements sociétaux opérés ces dernières années dans le pays et signalent son ouverture récente à des pratiques longtemps considérées dans le royaume comme contraires à l’islam.
Depuis le 11 décembre dernier, la première biennale saoudienne d’art contemporain de Diriyah rassemble des artistes locaux et internationaux sous le slogan « Traverser la rivière en tâtant les pierres », une métaphore qui s’inspire d’un dicton chinois en référence à l’action en temps de transformation socio-économique, bien qu’aucune référence ne soit faite directement à une quelconque révolution culturelle.