Mustapha Laabid : «Nous devons travailler ensemble pour construire des projets communs»
Noufissa-Charaï - @NoufissaCharai
Cet entretien réalisé par notre correspondante à Paris, Noufissa Charaï @NoufissaCharai, avec le président du Groupe d’amitié France Mustapha Laabid, est paru dans le magazine L’Observateur du Maroc et d’Afrique vendredi 16 novembre 2018.
Mustapha Laabid, 49 ans, est un franco- marocain né à Rennes, ancien chef d’entreprise et président du groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale depuis plus d’un an. C’est en tant que Directeur Bretagne de la Fondation agir contre l’exclusion qu’il rencontre Emmanuel Macron, alors que ce dernier est encore ministre de l’Economie. Dès la candidature de celui qui deviendra le futur Président français, Mustapha Laabid rejoint le comité Rennes- sud de la République En Marche. C’est le premier engagement politique de cet homme qui se dit «foncièrement de gauche». Une fois investi par la République en marche pour les législatives, il est élu député dans la première circonscription d’Ille-et-Vilaine.
Il assure ne faire aucune compromission» et assume : «Je suis de gauche et à 100% avec Emmanuel Macron». C’est donc en sa qualité de Président du groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale qu’il accompagne Emmanuel Macron dans sa visite au Royaume pour l’inauguration de la ligne de TGV Tanger-Casablanca. Avant son départ pour le Maroc, il a accordé un entretien de plus d’une heure à notre correspondante Noufissa Charaï dans lequel il est revenu sur la relation France - Maroc.
L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Emmanuel Macron se rend au Maroc pour inaugurer le premier TGV d’Afrique, que pensez-vous de ce projet initié par Nicolas Sarkozy?
Mustapha Laabid : Le projet a été initié par Nicolas Sarkozy, validé par François Hollande, et ce TGV sera inauguré par le Roi du Maroc et Emmanuel Macron. Pour ma part, ça sera ma première rencontre avec le Roi du Maroc que je n’ai jamais encore eu l’occasion de rencontrer. C’est une belle aventure ce TGV marocain, ce « LGV » (Ligne à Grande Vitesse) africain qui relie Tanger à Casablanca pour l’instant, en espérant que demain il continue sa route jusqu’aux portes de l’Afrique.
Pensez-vous qu’il soit prioritaire pour le Maroc de se doter d’un TGV quand plusieurs villes du Royaume sont toujours enclavées?
Ce TGV va désenclaver le Maroc, il n’y aura plus cette rupture entre le nord et le sud. J’ai un exemple concret : moi je suis breton et la LGV Paris - Rennes nous permet de faire le trajet en 1h20 au lieu de 3H, cela a modifié toute l’économie locale, l’habitat, le nomadisme et la circulation des travailleurs. Au Maroc, la ligne Tanger-Casablanca va faciliter le commerce et le développement économique c’est une avancée. Il reste des difficultés de certaines régions du Maroc qui sont encore enclavées, mais comme disait mon père « il vaut mieux allumer une chandelle plutôt que maudire l’obscurité ». Le TGV est une avancée positive. Il ne faut pas la comparer à d’autres difficultés, il faut se dire que c’est le départ de grandes choses. L’Agence France Développement (AFD) a participé au financement du projet, le Maroc a contribué avec toutes ses richesses humaines et un investissement très lourd, cela ne sera que positif.
La coopération économique est-elle meilleure locomotive dans les relations franco-marocaines que la politique ou sont-elles indissociables?
Je les distingue. Je pense que la France a pris du retard avec le Maroc. L’histoire entre les deux pays est ancestrale, mais la France se repose sur ses lauriers et du coup nous sommes distancés par l’Espagne, la Turquie talonne derrière, les Chinois sont très présents. La France n’est pas assez proactive à mon sens et il faut relancer les échanges économiques, l’usine PSA de Kenitra a recruté2.900 personnes ! C’est extraordinaire, c’est du co-développement ! Mais les sous-traitants sont espagnols, la France aurait dû privilégier les Français. Le but c’est aussi promouvoir le Maroc auprès des entreprises françaises pour qu’elles viennent s’y installer.
Comment le renforcement des relations parlementaires peut-il être utile au rapprochement des deux pays?
Depuis que je préside le groupe d’amitié France-Maroc, c’est le premier groupe de l’Assemblée nationale, nous sommes 138 députés, c’est une mini-assemblée nationale que je préside ! J’ai donc mis en place un groupe de travail où les gens sont très investis. Aujourd’hui, nous partons sur une relation gagnant-gagnant, nous voulons être à l’écoute du Maroc. Au cours de nos déplacements au Maroc, nous avons pu apprécier plusieurs directives marocaines qui n’existent pas en France et que nous pourrions importer ici plutôt que toujours d’avoir cette relation des « sachants devant les apprenants », nous avons beaucoup à apprendre du Maroc. Si les parlementaires doivent voter une loi au Maroc, ils sont obligés de lire les rapports du Conseil économique et social. En France, je n’ai jamais lu aucun rapport du Conseil économique et social. Cette troisième chambre n’a pas l’utilité en France qu’elle a au Maroc. Le CNDH au Maroc est très puissant, il a son mot à dire sur chaque loi qui est votée par les parlementaires. En France, il n y'a pas d’organisme extérieur qui rencontre les parlementaires pour leur dire comment améliorer une loi, nous pouvons apprendre d’eux aussi. Dans le cadre des échanges, les Marocains sont également venus pour voir comment nous travaillons à la construction d’une loi pour pouvoir s’inspirer de nos avancées et de nos difficultés, mais aussi pour éviter de faire nos erreurs. Nous avons eu deux échanges avec une dizaine de parlementaires marocains sur la construction de la loi, il y a eu le forum interparlementaire où nous nous sommes rencontrés et nous avons travaillé ensemble sur le bicaméralisme, sur la construction de la loi et sur le travail d’un parlementaire, nous avons autant appris d’eux qu’ils ont appris de nous. J’ai une phrase d’un ministre marocain que je garde en tête « les groupes d’amitié c’est bien, plus qu’un groupe d’amitié il faut des preuves d’amitié ». C’est vrai que parfois nous passons beaucoup de temps ensemble sans assurer « un service après-vente », j’aimerais que toutes ces rencontres soient concrètes pour que nous avancions ensemble sur des sujets comme l’éducation. Nous devons travailler ensemble pour construire des projets communs.
Nous sommes 3 ans après les attentats de Paris où la coopération judiciaire franco-marocaine avait joué un grand rôle. Quelles sont les relations aujourd’hui ?
Le quai d’Orsay dira qu’elle est très positive, mais ce sont des domaines qui ne regardent pas les parlementaires. Je sais que sur la question des migrations internationales, du terrorisme international, la coopération est très forte. Il y a une vraie collaboration du Maroc et du ministère des Affaires Étrangères après je n’ai pas les détails. Je fais de la diplomatie parlementaire, pas de la diplomatie internationale.
Dans son dernier discours, le Roi Mohammed VI a appelé à la mise en place d’un mécanisme politique conjoint de dialogue et de concertation avec l’Algérie. Une initiative saluée par la France et ignorée par l’Algérie. Quel rôle peut encore jouer la France dans ce conflit?
Maroc et Algérie nous sommes toujours d’accord pour ne pas être d’accord ! Ce sont des pays frères, des pays qui ont tout pour s’entendre et qui sont d’une relation inextricable depuis des années. Si ce n’est pas par la voix politique, par la voix diplomatique cela pourrait passer par les relations entre les citoyens eux-mêmes. Je pense qu’il faut travailler au rapprochement des deux pays. La présidente du groupe d’amitié France-Algérie à l’Assemblée nationale souhaitait que nous puissions travailler ensemble au rapprochement entre les deux parlements, parce que la France ne peut pas choisir, choisir c’est trahir. Après, il faut être deux pour communiquer, nous ne pouvons pas forcer la main mais je pense que le rapprochement passera par la société civile. Cette société civile est plus à même à travailler à ce rapprochement que les politiques.
Le Maroc a réintégré l’Union africaine. Le Roi a lancé une véritable politique tournée vers le continent et le Maroc veut adhérer à la Cedeao en attendant un grand Maghreb. Quel est le regard de la France?
Le Grand Maghreb faut le garder, l’union des pays de la Méditerranée est importante aussi. Mais le rapprochement du Maroc avec les pays africains, pour moi c’est indépassable, toutes ces notions de co-émergence, de coopération sud-sud c’est la richesse de l’Afrique de demain. Si les pays africains peuvent se poser, s’entendre et travailler à cette co-émergence, demain nous aurions une Afrique qui s’en sortira grandie avec un développement extraordinaire. La tournée du Roi du Maroc a été perçue par la majorité des pays africains comme une très grande avancée, et intégrer la Cedeao serait une très bonne chose. Il ne faut pas que les Africains aient peur de ce Maroc qui serait à la porte de l’Afrique est qui envahirait ces marchés et qui serait porte-parole des pays européens, ce n’est pas le cas. Le Maroc à cette conception de co-émergence, de coopération sud-sud. « Janoub-janoub » c’est idéal pour le développement de l’Afrique, c’est la solution de demain.
Le Maroc qui a tenu la Cop 22 a pris plusieurs initiatives et lancé plusieurs projets dont le plus célèbre est celui du Complexe solaire Nour à Ouarzazate. Comment soutenir le Maroc dans cette voie?
Les ambitions marocaines sont bien au-dessus de celles de pays africains, mais aussi de certains européens et d’autres pays dans le monde. Cette coopération existe, les projets marocains sont très impressionnants. L’écologie est un vrai sujet et le Maroc est très en avance. C’était houleux mais en France le glyphosate va être interdit du coup je m’inquiète de ces grosses entreprises comme Mosanto dont les produits vont être interdits en Europe et qui vont se tourner vers l’Afrique. Le Maroc doit être ferme dès maintenant sur ces produits néfastes. Il faut des directives marocaines pour interdire ces produits. Concernant le traitement des déchets, la France est en avance et donc nous allons essayer de transférer ses connaissances. Je souhaite venir au printemps prochain avec une délégation de chefs d’entreprises français à Kénitra pour l’automobile et à Mèknes pour le salon de l’agriculture. Le but est que les entrepreneurs français trouvent des moyens pour collaborer avec les Marocains sur la chaine du froid, sur les produits phytosanitaires…j’espère que les entreprises seront nombreuses au rendez-vous.
«Tant que l'Europe choisit l'approche sécuritaire,ça favorisera l'immigration clandestine. Tant que l'Europe se transforme en citadelle, il y aura d'autres moyens pour contourner tous les contrôles que l'Europe pourrait faire », a estimé Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires Étrangères dans un entretien avec l'AFP. Votre réaction ?
Parfois l’Europe se met en posture de donneur de leçons, alors qu’il faut prendre en considération les difficultés de chaque pays. Nous demandons aujourd’hui au Maroc d’être gardien de la sécurité et du contrôle de l’immigration à la place des Européens. Si nous souhaitons que le Maroc soit le gardien de la porte de l’Afrique, il faut que l’Europe investisse au Maroc pour qu’il puisse le faire, je suis donc d’accord avec le ministre marocain.
Dix-sept députés dont vous ont soutenu la demande de l’association de droit marocain Cap Sud MRE sur la situation des « chibanis » en France et leur droit à la retraite et à la sécurité sociale. Avez-vous eu une réponse
C’était un travail de longue haleine avec ma collègue Fiona Lazar et Oliver Véran. Nous avons fait le tour des ministères pour trouver une solution à la situation compliquée des chibanis. Ils étaient obligés de rester plus de six mois en France pour faire valoir leurs droits à la sécurité sociale et donc nous venons de réussir à faire lever cette obligation de résidence ! Donc tous les chibanis, qui sont en France au nombre 800.000, pourront retourner dans leur pays d’origine et revenir en France sans condition de résidence. L’association Cap Sud MRE menait ce combat depuis six ans.
Cette mesure sera-t-elle rétroactive pour les chibanis qui sont déjà rentrés au Maroc?
Oui, c’est rétroactif, ils pourront par le biais d’un visa touriste revenir en France se soigner quand ils en ont besoin. S’ils ont une carte de la CNAREF (Centre National des Retraités Français de l’Étranger), ils pourront faire valoir leurs droits pour revenir se faire soigner.
Vous êtes né en France, comment jugez-vous l’accueil qui est réservé aux Marocains Résident à l’Étrangers (MRE)?
Tout est perfectible. Notamment sur la difficulté qu’ils ont à faire valoir leurs droits, la relation avec police ou la justice, les loyers qui ne sont pas payés aux prioritaires MRE…Il y a aussi le sujet des spoliations. Mais il y a également de grandes avancées par rapport à avant avec les voitures qui attendaient plusieurs jours avant de pouvoir entrer au Maroc, le Maroc a investi pour l’accueil des MRE. Mais je pense que le service militaire obligatoire pour les enfants de MRE est un danger et je suis totalement opposé à cette idée. Nous allons casser à vie la relation entre les MRE et le Maroc s’ils appliquent cette loi. Si le Maroc fait ça, ils cassent définitivement la relation. La nouvelle génération n’a déjà pas le même rapport au Maroc alors si en plus ils doivent faire le service miliaire c’est la fin, ils ne viendront plus au Maroc. C’est une fausse bonne idée.
Vous êtes de la deuxième génération, quel regard portez-vous sur cette troisième génération qui semble avoir plus de problème d’intégration?
La première génération, celle de mes parents, avait un rapport culturel au culte avec une transmission de père en fils dans un islam d’ouverture. La transmission était « assez light », donc la seconde génération n’a pas recherché le cultuel. Nous, à force de combats, nous avons réussi à nous intégrer quand nos parents rasaient les murs. Nous ne voulions pas être des Français de seconde catégorie, nous nous sommes battus et avons revendiqué nos droits. La troisième génération est perdue c’est vrai, elle a une forte recherche du cultuel et pour moi tout trouve son origine dans le stigmate. Depuis dix ans, nous les montrons du doigt « les femmes voilées, musulmans des quartiers ». Or, plus ils sont stigmatisés plus ils se renferment dans un communautarisme rassurant qui devient un communautarisme de « eux contre le reste du monde ». Aujourd’hui, il y a par exemple un jeune bac +5 qui fume un joint et qui est abordé par des barbus radicalistes qui lui rappelle sa situation et qu’il lui parle de ses frères en Syrie, de la France qui ne l’intègre pas, du coup le jeune glisse tout doucement car il n’y a pas une voix dissonante. Personne ne dit à ces jeunes « vous êtes Français comme tout le monde » et « votre religion c’est votre force, ce n’est pas un combat contre le reste du monde ». Il n y'a pas cette voix dissonante, les représentants du culte en France sont déconnectés donc il n’y a plus que le radicalisme. Les pouvoirs publics ne comprennent plus les désirs de cette jeunesse, c’est un problème qui ne fait qu’empirer. Moi quand j’avais 15 ans les filles ne portaient pas le voile, aujourd’hui les mères ne le portent pas mais les jeunes filles oui. Tout ça est le résultat du non accès à l’emploi et les discriminations. Si nous les reconnaissons par rapport à leurs talents, leurs vécus et leurs histoires nous avons une chance de vaincre le fondamentalisme. Mais pour cela il faut les reconnaitre et leur trouver des emplois à hauteur de leurs qualifications, à leurs insertions professionnelles et sociales et demain nous aurons une chance de gagner le combat.
Emmanuel Macron propose une révision de la loi de 1905 sur la laïcité pour permettre un financement du culte musulman. La proposition fait polémique. Quelle est votre positon?
Je suis absolument favorable. Mais pourquoi ne pas inventer un modèle sans trahir la loi de 1905 qui permet un financement du culte ? En Bretagne, par exemple, nous avons des mosquées mais ce ne sont pas de vraies mosquées ce sont des centres culturels islamiques que nous finançons c’est une hypocrisie. Il faut travailler avec les représentants du culte tout en se rappelant qu’il n’y a pas de clergé dans l’islam, mais la France doit avoir des interlocuteurs. Est-ce qu’il faut penser à reformer ou pas le CFCM (Conseil français du culte musulman), penser l’islam en France et l’islam de France ? Ce sont des débats houleux et compliqués qui déchaînent les passions, mais il faut en passer par là.
Où en est la situation des mineurs isolés marocains ?
Il y a une expérimentation qui a été faite à Paris avec une équipe pluridisciplinaire venue du Maroc en France composée d’un juge, une Ong, des assistants sociaux et des policiers pour travailler avec leurs homologues français sur cette problématique. Il y a des gamins de 10 dans une situation effrayante et les services sociaux ne savent pas comment faire. Si les Marocains peuvent apporter une bribe de solution, ça serait une très bonne chose. Dans le même esprit, j’ai demandé aux autorités marocaines et au ministère de l’Intérieur en France de faire la même expérience dans ma ville à Rennes qui est la deuxième ville la plus touchée par le phénomène. La police va dire s’ils sont Marocains et s’ils sont mineurs ou pas et les assistants sociaux et les juges prennent le relai car l’ordonnance de 1945 interdit l’expulsion de mineurs à moins qu’ils veuillent rentrer de leur plein gré. Ces jeunes marocains refusent l’aide sociale, je travaille en ce moment sur un rapport pour savoir comment les accueillir, car la France à le devoir de les mettre à l’abri et de les protéger.
Il y a vingt-trois établissements de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Étranger AEFE) au Maroc qui accueillent 37.000 élèves, dont plus de 66% de Marocains. C’est le deuxième plus grand réseau de l’Agence au Monde. Depuis 2015 le budget de l’AEFE est en baisse. Emmanuel Macron a annoncé son envie de développer davantage ce réseau et de mettre fin aux coupes budgétaires quant au Maroc les frais de scolarité explosent et les places se font rares. La question sera t- elle abordée ?
Je connais la situation, elle est compliquée. Nous ne pourrons pas la résoudre à coup de baguette magique et créer des places. Les Français qui sont au Maroc sont prioritaires et il est vrai que les tests à la maternelle sont de plus en plus stressant et les tarifications augmentent. La question va être abordée, nous allons inchallah trouver une solution.