Washington secoue l’ordre économique mondial
Dans un contexte géopolitique déjà tendu, le protectionnisme américain ravive les tensions économiques à l’échelle mondiale. Bien plus qu’un geste symbolique, la hausse des droits de douane décidée par Washington secoue les marchés financiers, fragilise le dollar et fait chuter le prix du baril. Une nouvelle ère de volatilité s’installe, aux répercussions encore difficiles à anticiper. Analyse d'experts.
Mounia Kabiri Kettani
De Paris à Tokyo, en passant par Francfort, Hongkong ou Londres, les indices boursiers s’enfoncent dans le rouge, pris de court par l’annonce des mesures protectionnistes américaines
De Paris à Tokyo, en passant par Francfort, Hongkong ou Londres, les indices boursiers s’enfoncent dans le rouge, pris de court par l’annonce des mesures protectionnistes américaines. La Bourse de Paris recule de 1,81 %, Francfort de 1,71 %, tandis que Tokyo chute de 2,77 % et Hongkong de 1,69 %. À Hanoï, l’indice principal s’effondre de 6,68 %, entraîné par la débâcle des sous-traitants du textile et de l’électronique, symboles d’une chaîne de valeur mondiale brutalement fragilisée.
Le baril dans la tourmente
Les répercussions sur le marché pétrolier ne se sont pas fait attendre. Le Brent a chuté de 2,71 dollars (-3,62 %) pour s'établir à 72,24 dollars le baril — sa plus forte baisse en une journée depuis le 5 mars. Le WTI américain n’a pas été épargné, perdant 2,63 dollars (-3,67 %) pour clôturer à 69 dollars, après une glissade initiale de 3,4 %.
Et pourtant, le secteur énergétique a été épargné par les nouvelles sanctions. Mais les investisseurs restent fébriles : ils anticipent une baisse de la demande en énergie, conséquence indirecte d’un ralentissement industriel provoqué par les barrières douanières.
Autre facteur aggravant : une envolée inattendue des stocks de brut aux États-Unis. Alors que le marché s’attendait à une baisse de 2 millions de barils, c’est une hausse de 6,2 millions qui a été enregistrée, due notamment à une poussée des importations en provenance du Canada. Une surprise mal accueillie, qui n’a fait qu’accentuer la tendance baissière.
Pour Abderrahim Chalfaouat, spécialiste des relations maroco-américaines à l’Université Hassan II de Casablanca, « la guerre commerciale en cours dépasse largement le cadre du pétrole. Elle s'étend désormais aux minerais stratégiques et aux composants technologiques au cœur des industries de demain ».
Il ajoute : « Les États-Unis n’ont aucun intérêt à voir les prix du pétrole s’envoler. Leur stratégie repose sur un approvisionnement stable et abordable. C’est pourquoi, tout en imposant des tarifs douaniers, ils veillent à préserver l’accès à certaines ressources énergétiques, quitte à alléger les sanctions sur ces produits. » Au-delà des décisions conjoncturelles, Chalfaouat y voit les prémices d’« une reconfiguration en profondeur des équilibres économiques mondiaux ».
Le dollar perd ses repères
Le dollar, longtemps considéré comme le pilier du système monétaire international, enregistre une baisse de plus de 2,6 % face à l’euro, un décrochage inédit depuis 2022. Selon Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de change, les mesures protectionnistes récentes des États-Unis produisent souvent deux effets contradictoires.
À court terme, les États-Unis peuvent être tentés de croire à un bénéfice apparent : une hausse des recettes à l’export, une réduction des importations, et donc une amélioration artificielle de la balance commerciale. Mais cette dynamique ne saurait durer. « Si l’on se base uniquement sur la mécanique de l’offre et de la demande de devises, la baisse des importations et l’augmentation des flux entrants devraient logiquement renforcer la position du dollar », explique Bakkou. Mais un facteur bien plus déterminant entre en jeu : la confiance des marchés.
Les investisseurs internationaux et les grandes banques centrales, notamment en Chine et en Inde, observent avec prudence cette évolution. Ces institutions, qui détiennent d’importants volumes de dollars, pourraient réajuster leurs stratégies pour limiter leur exposition au risque.« Si ces grands acteurs commencent à se détourner du billet vert, la pression à la baisse deviendra inévitable », alerte l’économiste.
Un point de bascule potentiellement explosif réside dans le comportement de la Chine. Jusqu’ici, Pékin investissait une part importante de ses excédents commerciaux dans les bons du Trésor américain. Un changement dans cette politique avec une réduction significative des achats de dette américaine, pourrait sérieusement ébranler le marché obligataire américain. « Moins d’achats de titres du Trésor signifie moins de financement disponible pour les États-Unis, ce qui affaiblirait encore davantage le dollar », prévient Bakkou.
Dans ce climat d’incertitude, la perspective d’une dépréciation plus marquée du dollar se précise. « Sauf intervention massive de la Réserve fédérale pour stabiliser la situation, nous pourrions assister à une chute de plus de 10 % dans les mois à venir », anticipe l’expert.
Vers un nouveau paradigme économique ?
Abderrahim Chalfaouat estime que les récentes mesures protectionnistes prises par Washington ne sont ni improvisées ni uniquement dictées par des considérations politiques de court terme. Elles s’inscrivent dans une stratégie globale, longuement mûrie, visant à repositionner les États-Unis au centre du leadership économique mondial.
Selon lui, la vision américaine repose sur un constat clair : l’équilibre économique international s’est rompu. La montée en puissance rapide de la Chine et d’autres pays émergents, autrefois considérés comme périphériques, bouleverse les hiérarchies établies. Cette transformation touche aussi bien les produits manufacturés que les matières premières, les technologies de pointe et les chaînes de valeur stratégiques.
Dans ce contexte, l’Europe, autrefois partenaire historique et moteur de la reconstruction économique mondiale, est désormais perçue à Washington comme affaiblie, incapable de maintenir le rôle central qu’elle a occupé après la Seconde Guerre mondiale. Face à cette situation, les États-Unis semblent vouloir reprendre seuls les rênes du système mondial, en redéfinissant leurs alliances et en opposant une riposte frontale à l’expansion chinoise.
D’après Chalfaouat, les droits de douane imposés ne relèvent en rien d'une logique punitive hasardeuse. Bien au contraire, ils répondent à un calcul stratégique précis, basé sur la nature des produits importés, leur sensibilité économique, et leur importance pour la souveraineté industrielle américaine. C’est ce qui explique la variabilité des taux douaniers : 34 % sur les importations chinoises, 20 % sur celles en provenance de l’Union européenne, et 10 % pour des pays comme le Maroc ou l’Arabie saoudite. L’objectif est double : Freiner les importations jugées nuisibles à l’industrie locale et favoriser la relocalisation de la production sur le sol américain.
À court terme, l'expert reconnaît que cette politique pourrait alimenter l’inflation et peser sur le pouvoir d’achat des consommateurs américains. Mais à moyen et long terme, elle vise à réindustrialiser les États-Unis, non seulement en exportant des idées ou des technologies, mais aussi des biens manufacturés à haute valeur ajoutée.
Et le Maroc dans tout ça ?
Bien que cette stratégie soit clairement orientée vers la défense des intérêts américains, ses répercussions se feront sentir à l’échelle mondiale. Selon l’analyste Abderrahim Chalfaouat, « les pays qui ne parviendront pas à négocier intelligemment avec Washington seront confrontés à une perte de compétitivité face aux produits américains, à une pression accrue sur l’accès aux matières premières, ainsi qu’à un déséquilibre structurel de leurs échanges commerciaux ».
Face à cette nouvelle donne, les réponses varieront : certains États choisiront la confrontation en instaurant à leur tour des droits de douane, tandis que d’autres privilégieront la diplomatie économique pour préserver leur accès au marché américain, tout en diversifiant leur offre exportable.
Le Maroc, quant à lui, ne sera pas épargné. En adoptant un régime de change fondé sur un panier de devises (60 % euro, 40 % dollar), le Royaume est exposé à une volatilité monétaire accrue. Comme le souligne Omar Bakkou, une baisse du dollar pourrait avoir un double effet : « Si le dollar perd 10 % de sa valeur, le dirham pourrait s’apprécier de 6 % face à lui, mais reculer de 4 % face à l’euro ». Cette instabilité pourrait affecter la compétitivité des exportations marocaines sur différents marchés.
Pour autant, Abderrahim Chalfaouat estime que le Maroc dispose d’une fenêtre stratégique à exploiter. Bien que les États-Unis aient limité la taxation à 10 % sur les importations marocaines, un taux modéré comparé à d'autres pays, cela ne doit pas occulter les opportunités que cette situation offre.
Le Royaume reste un fournisseur stratégique de phosphate, une ressource essentielle pour l’agriculture américaine. Ce besoin limite partiellement la marge de manœuvre de Washington. Toutefois, pour transformer cet avantage en levier durable, le Maroc doit impérativement diversifier et moderniser son offre exportable vers les États-Unis, notamment dans les secteurs industriel, technologique, et agroalimentaire. « Cette "porte d’entrée tarifaire" pourrait ainsi devenir un véritable accès stratégique au marché américain, à condition de renforcer la qualité et la valeur ajoutée des produits marocains adapter les normes de production aux exigences du marché américain et construire une relation commerciale équilibrée, durable et mutuellement avantageuse », conclut Abderrahim Chalfaouat.
Le baril dans la tourmente
Les répercussions sur le marché pétrolier ne se sont pas fait attendre. Le Brent a chuté de 2,71 dollars (-3,62 %) pour s'établir à 72,24 dollars le baril — sa plus forte baisse en une journée depuis le 5 mars. Le WTI américain n’a pas été épargné, perdant 2,63 dollars (-3,67 %) pour clôturer à 69 dollars, après une glissade initiale de 3,4 %.
Et pourtant, le secteur énergétique a été épargné par les nouvelles sanctions. Mais les investisseurs restent fébriles : ils anticipent une baisse de la demande en énergie, conséquence indirecte d’un ralentissement industriel provoqué par les barrières douanières.
Autre facteur aggravant : une envolée inattendue des stocks de brut aux États-Unis. Alors que le marché s’attendait à une baisse de 2 millions de barils, c’est une hausse de 6,2 millions qui a été enregistrée, due notamment à une poussée des importations en provenance du Canada. Une surprise mal accueillie, qui n’a fait qu’accentuer la tendance baissière.
Pour Abderrahim Chalfaouat, spécialiste des relations maroco-américaines à l’Université Hassan II de Casablanca, « la guerre commerciale en cours dépasse largement le cadre du pétrole. Elle s'étend désormais aux minerais stratégiques et aux composants technologiques au cœur des industries de demain ».
Il ajoute : « Les États-Unis n’ont aucun intérêt à voir les prix du pétrole s’envoler. Leur stratégie repose sur un approvisionnement stable et abordable. C’est pourquoi, tout en imposant des tarifs douaniers, ils veillent à préserver l’accès à certaines ressources énergétiques, quitte à alléger les sanctions sur ces produits. » Au-delà des décisions conjoncturelles, Chalfaouat y voit les prémices d’« une reconfiguration en profondeur des équilibres économiques mondiaux ».
Le dollar perd ses repères
Le dollar, longtemps considéré comme le pilier du système monétaire international, enregistre une baisse de plus de 2,6 % face à l’euro, un décrochage inédit depuis 2022. Selon Omar Bakkou, économiste spécialisé en politique de change, les mesures protectionnistes récentes des États-Unis produisent souvent deux effets contradictoires.
À court terme, les États-Unis peuvent être tentés de croire à un bénéfice apparent : une hausse des recettes à l’export, une réduction des importations, et donc une amélioration artificielle de la balance commerciale. Mais cette dynamique ne saurait durer. « Si l’on se base uniquement sur la mécanique de l’offre et de la demande de devises, la baisse des importations et l’augmentation des flux entrants devraient logiquement renforcer la position du dollar », explique Bakkou. Mais un facteur bien plus déterminant entre en jeu : la confiance des marchés.
Les investisseurs internationaux et les grandes banques centrales, notamment en Chine et en Inde, observent avec prudence cette évolution. Ces institutions, qui détiennent d’importants volumes de dollars, pourraient réajuster leurs stratégies pour limiter leur exposition au risque.« Si ces grands acteurs commencent à se détourner du billet vert, la pression à la baisse deviendra inévitable », alerte l’économiste.
Un point de bascule potentiellement explosif réside dans le comportement de la Chine. Jusqu’ici, Pékin investissait une part importante de ses excédents commerciaux dans les bons du Trésor américain. Un changement dans cette politique avec une réduction significative des achats de dette américaine, pourrait sérieusement ébranler le marché obligataire américain. « Moins d’achats de titres du Trésor signifie moins de financement disponible pour les États-Unis, ce qui affaiblirait encore davantage le dollar », prévient Bakkou.
Dans ce climat d’incertitude, la perspective d’une dépréciation plus marquée du dollar se précise. « Sauf intervention massive de la Réserve fédérale pour stabiliser la situation, nous pourrions assister à une chute de plus de 10 % dans les mois à venir », anticipe l’expert.
Vers un nouveau paradigme économique ?
Abderrahim Chalfaouat estime que les récentes mesures protectionnistes prises par Washington ne sont ni improvisées ni uniquement dictées par des considérations politiques de court terme. Elles s’inscrivent dans une stratégie globale, longuement mûrie, visant à repositionner les États-Unis au centre du leadership économique mondial.
Selon lui, la vision américaine repose sur un constat clair : l’équilibre économique international s’est rompu. La montée en puissance rapide de la Chine et d’autres pays émergents, autrefois considérés comme périphériques, bouleverse les hiérarchies établies. Cette transformation touche aussi bien les produits manufacturés que les matières premières, les technologies de pointe et les chaînes de valeur stratégiques.
Dans ce contexte, l’Europe, autrefois partenaire historique et moteur de la reconstruction économique mondiale, est désormais perçue à Washington comme affaiblie, incapable de maintenir le rôle central qu’elle a occupé après la Seconde Guerre mondiale. Face à cette situation, les États-Unis semblent vouloir reprendre seuls les rênes du système mondial, en redéfinissant leurs alliances et en opposant une riposte frontale à l’expansion chinoise.
D’après Chalfaouat, les droits de douane imposés ne relèvent en rien d'une logique punitive hasardeuse. Bien au contraire, ils répondent à un calcul stratégique précis, basé sur la nature des produits importés, leur sensibilité économique, et leur importance pour la souveraineté industrielle américaine. C’est ce qui explique la variabilité des taux douaniers : 34 % sur les importations chinoises, 20 % sur celles en provenance de l’Union européenne, et 10 % pour des pays comme le Maroc ou l’Arabie saoudite. L’objectif est double : Freiner les importations jugées nuisibles à l’industrie locale et favoriser la relocalisation de la production sur le sol américain.
À court terme, l'expert reconnaît que cette politique pourrait alimenter l’inflation et peser sur le pouvoir d’achat des consommateurs américains. Mais à moyen et long terme, elle vise à réindustrialiser les États-Unis, non seulement en exportant des idées ou des technologies, mais aussi des biens manufacturés à haute valeur ajoutée.
Et le Maroc dans tout ça ?
Bien que cette stratégie soit clairement orientée vers la défense des intérêts américains, ses répercussions se feront sentir à l’échelle mondiale. Selon l’analyste Abderrahim Chalfaouat, « les pays qui ne parviendront pas à négocier intelligemment avec Washington seront confrontés à une perte de compétitivité face aux produits américains, à une pression accrue sur l’accès aux matières premières, ainsi qu’à un déséquilibre structurel de leurs échanges commerciaux ».
Face à cette nouvelle donne, les réponses varieront : certains États choisiront la confrontation en instaurant à leur tour des droits de douane, tandis que d’autres privilégieront la diplomatie économique pour préserver leur accès au marché américain, tout en diversifiant leur offre exportable.
Le Maroc, quant à lui, ne sera pas épargné. En adoptant un régime de change fondé sur un panier de devises (60 % euro, 40 % dollar), le Royaume est exposé à une volatilité monétaire accrue. Comme le souligne Omar Bakkou, une baisse du dollar pourrait avoir un double effet : « Si le dollar perd 10 % de sa valeur, le dirham pourrait s’apprécier de 6 % face à lui, mais reculer de 4 % face à l’euro ». Cette instabilité pourrait affecter la compétitivité des exportations marocaines sur différents marchés.
Pour autant, Abderrahim Chalfaouat estime que le Maroc dispose d’une fenêtre stratégique à exploiter. Bien que les États-Unis aient limité la taxation à 10 % sur les importations marocaines, un taux modéré comparé à d'autres pays, cela ne doit pas occulter les opportunités que cette situation offre.
Le Royaume reste un fournisseur stratégique de phosphate, une ressource essentielle pour l’agriculture américaine. Ce besoin limite partiellement la marge de manœuvre de Washington. Toutefois, pour transformer cet avantage en levier durable, le Maroc doit impérativement diversifier et moderniser son offre exportable vers les États-Unis, notamment dans les secteurs industriel, technologique, et agroalimentaire. « Cette "porte d’entrée tarifaire" pourrait ainsi devenir un véritable accès stratégique au marché américain, à condition de renforcer la qualité et la valeur ajoutée des produits marocains adapter les normes de production aux exigences du marché américain et construire une relation commerciale équilibrée, durable et mutuellement avantageuse », conclut Abderrahim Chalfaouat.