« Latifa, pionnière aussi ! » : Le comptoir des mines rend hommage à Latifa Toujani


Ses œuvres explorent des thèmes graves et profonds : isolement, pauvreté, oppression sociale, condition féminine et réfugiés de guerre. Dans un style expressionniste, elle donne vie à des personnages énigmatiques, souvent désincarnés, absorbés par des fonds vides qui interrogent sur l’oubli et la disparition.
Une trajectoire marginalisée, aujourd’hui reconnue
Latifa s’éclipse de la scène à partir des années 2000, déçue par des malversations et par une scène artistique qui, trop souvent, marginalise ses voix les plus authentiques. Ce n’est qu’en 2014, avec l’inauguration du Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain, qu’elle regagne une visibilité méritée. L’exposition « Trilogie Marocaine » au Musée Reina Sofia de Madrid en 2021 marque un tournant : son œuvre suscite l’intérêt de chercheurs, journalistes et fondations internationales.

Quatre figures ont joué un rôle clé dans sa redécouverte notamment : Abdelaziz El Idrissi, ex-directeur du Musée Mohammed VI, Abdellah Karroum, curateur de la Trilogie Marocaine, Sultan Sooud Al Qassemi, collectionneur et fondateur de la Fondation Barjeel et Basel Dalloul, fondateur de la Dalloul Art Foundation à Beyrouth.
Une pionnière au-delà de la peinture
Latifa a élargi sa pratique artistique à la photographie dès les années 1980, capturant avec une rare intimité les rituels soufis féminins, comme la célèbre série des "Femmes suspendues" dans l’arbre d’Aïcha à Sidi Ali Ben Hamdouch. Ses clichés, à la fois puissants et poétiques, révèlent une immersion profonde dans des sphères spirituelles souvent interdites aux femmes.

En 1997, elle est la seule Marocaine à participer à l’exposition photographique « Retrats de l’Anima » à Barcelone, aux côtés de géants tels que Malick Sidibé. Peu après, elle entame un travail sur la spiritualité et le mysticisme à travers des installations textiles monumentales baptisées « Maqamats Latifa », exposées en 1999 à Rabat.

Une militante discrète, une intellectuelle engagée
Latifa Toujani fut également une voix engagée pour les droits des femmes, aux côtés de figures comme Fatima Mernissi, et la seule femme artiste marocaine à représenter le pays à la Biennale de Bagdad en 1974. Son affiche du sommet arabe sur la Palestine à Rabat la même année, interpellait sans détour les chefs d'État présents.

Elle occupa plusieurs postes dans la fonction publique, dont directrice des musées de Tanger et déléguée régionale du ministère de la culture dans le nord du pays, où elle initia de nombreux projets culturels et muséologiques.
Une réparation tardive, mais nécessaire
L’exposition actuelle organisée par le Comptoir des Mines est une réparation symbolique. Elle rend justice à une artiste majeure, injustement oubliée, et annonce une deuxième exposition consacrée à ses « maqamats », pour restituer l’ampleur de son œuvre. Car Latifa Toujani est, sans conteste, une pionnière de l’art contemporain au Maroc, au même titre que les grandes figures masculines souvent citées.

« O Latifa, l’adorable, ne te départis pas de tes pinceaux, des couleurs et de la création, l’art est l’unique voie qui ne saurait être gâchée. », dira d’elle le grand Mahmoud Darwich.
