
Les reporters qui ont la mauvaise idée de revenir sur leurs pas pour voyager dans les pays qu’ils ont connu en guerre civile peuvent en témoigner : les capitales et les peuples mettent longtemps à cicatriser. Certains ne s’en relèvent jamais. Circuler à Bagdad entre deux murs de protection en béton ou à Mogadiscio en voiture blindée suffit à vous prouver qu’un pays qui a basculé dans la violence terroriste reste comme un drogué qui ne se drogue plus : en sursis. Certaines villes martyres semblent à première vue mieux aller, envahies par les chantiers. C’est souvent une illusion. A Grozny ou Kaboul, l’argent de la corruption que blanchit le clan au pouvoir finance la construction d’immeubles rutilants, pas la réconciliation. Depuis vingt ans, chacun connait les difficultés que pose l’après-guerre. C’est peut-être la chance du Mali. Les donateurs étrangers, les experts en tout genre, les grands organismes internationaux débarquent donc à Bamako sans illusions.
Ils sont modestes car nulle part le « nation building » n’a réussi et surtout pas dans les pays biberonnés par l’Onu où la corruption a explosé comme au Cambodge. Ils seront patients car ils savent désormais qu’il faut le courage d’une génération pour attendre que se forment de nouvelles élites, comme en Haïti. Ils seront prudents car ils savent qu’avant d’entamer la reconstruction de l’état et de la société civile, il faut imposer la paix civile. Deux mille milliards de dollars ont été déversés sur l’Afghanistan dont il ne reste pas grand-chose, des kilomètres de routes, quelques dispensaires, deux douzaines d’écoles que les talibans se promettent de fermer le jour prochain où ils reviendront au pouvoir. Au Mali, les bonnes fées sont nombreuses pour se pencher sur le berceau du nouveau pouvoir, on l’a vu avant même l’intronisation en grandes pompes du nouveau Président. Une conférence des donateurs s’est réunie et a levé plus de trois milliards d’euros d’aide. 150 millions ont été décaissés immédiatement. Le plus intéressant dans cette manne, c’est qu’elle est assortie de conditions draconiennes.
La France par exemple a promis 280 millions. Elle en a déjà fourni 18 millions dont chacun peut suivre sur internet l’emploi. Chaque euro investi est tracé ! Ce n’est pas inutile dans un pays qui s’est habitué depuis des décennies à la mal-gouvernance et qui a été longtemps dopé aux narcodollars. Avant le coup d’état de mars 2012, une ONG spécialisée évaluait à 50% la part du budget national qui s’évaporait… Restaurer l’autorité de l’Etat, reconstruire une administration, relancer l’économie en s’appuyant sur les biocarburants ou les investissements miniers comme le prévoit le plan de relance, assurer la formation et le développement sont autant de travaux d’Hercule. Quelques soient les moyens extérieurs mobilisés et l’engagement des Maliens, ces défis n’ont aucune chance d’être relevés sans la paix civile. Sans accord politique entre les différentes factions, aucune reconstruction. C’était et cela reste la priorité. On voudrait croire que l’élection d’un nouveau président a clos le chapitre guerrier au Mali. Que la transition politique est la preuve que la réconciliation est engagée.
Le caillassage d’un convoi de ministres qui se rendait le weekend dernier pour la première fois depuis deux ans à Kidal (dont le ministre de la Réconciliation nationale !) suffit à démontrer que l’instabilité perdure dans la zone tenue par les Touaregs, même si un accord a permis le retour de l’armée et de l’administration sur la pointe des pieds au début de l’été. De même, les groupes armés du nord avaient envoyé des émissaires à Bamako qui ont discuté pendant deux jours avant d’être reçu et félicité par le chef de l’Etat. Ils ont promis à l’avenir de palabrer plutôt que de s’entretuer.
Le résultat était modeste mais encore trop ambitieux aux yeux des dirigeants de ces organisations (Mnla, HCUA, MAA et CMFPR) qui ont désavoués leurs émissaires ! François Hollande a cru vivre à Tombouctou le jour le plus important de sa vie, il y a six mois. Il comptait rapatrier la plupart de ses troupes à la fin de l’année. Un millier d’hommes seulement de la force Serval devait rester sur place après Noël. Mais la Minusma aligne 5 000 casques bleus sur les 12 000 prévus. Le calendrier sera revu. Il était comme le Président français : trop optimiste. Trop impatient. Trop oublieux des réalités humaines. Il faut du temps pour tourner la page. Seuls les fanatiques croient qu’on peut faire du passé table rase. Il faut panser le Mali. Ce n’est pas pour rien que les malades sont appelés des patients