
Dimanche, 10h00, à quelques kilomètres de la localité de Sidi Bouknadel, au milieu des champs et sur le bord de la route menant à l’autoroute Kénitra-Casablanca, le marché hebdomadaire Had Bouknadel s’étale sur plusieurs hectares. La couleur s’annonce déjà sur le chemin menant au souk. Un trafic dense laisse deviner la grande affluence que connait ce marché très couru de la région. Voitures de particuliers, camions chargés de denrées alimentaires et autres pâturages et alimentation animalière, grands taxis, triporteurs croulants sous leur charge humaine, calèches rudimentaires, animaux de somme… Tous les moyens sont bons pour se rendre à cette grande- messe dominicale. A cette heure de la journée, le parking affiche déjà complet et les bords de la route sont aussitôt envahis par des véhicules tous types confondus et aux matricules azimuts.
« Nous avons des remèdes pour tout. Si les souris ont envahi votre logis, votre salut est ici. Si les puces vous empoisonnent la vie, nous avons ici le poison qui les exterminera… chute de cheveux, poux, pellicule, ici c’est votre médecin !!! », à peine arrivé au souk, vous êtes accueilli par cette voie tonitruante émise par un haut parleur sacrément parasité. Ce guérisseur pluridisciplinaire ne manque pas de clientèle. Des insecticides, des poudres aux aspects douteux, des crèmes aux emballages improvisés, ce marchand a le marketing dans le sang. Il fait même des consultations in situ et ses promesses finissent par convaincre un bon nombre de clients. Ceci sans compter les badauds curieux attirés juste par le spectacle gratuit.
« Nous venons de Rabat chaque dimanche nous approvisionner en légumes, fruits et viandes. Ici, c’est tout frais et les prix sont nettement moins chers qu’en ville », nous explique Zineb, une fonctionnaire rbatie qui ne rate pour rien ce rendez-vous hebdomadaire. Elle y vient avec ses deux sœurs et sa mère. « On vient entre filles. En plus d’être utile, c’est aussi une sortie agréable », rajoute Khadija, la sœur à Zineb en riant et en essayant de piocher un joli article dans une dune de friperie à 10 dhs la pièce. Situés à l’entrée du souk, les marchands des vêtements déjà utilisés attirent les visiteurs, en premier. Erigés en dunes multicolores, impossible de les rater par les amateurs du genre. « Ici, c’est de la marque à petit prix. Je viens à « lhad » spécialement pour faire mon shopping bon marché pour moi, mais aussi pour mes enfants et ma femme », nous raconte Khalid, jeune employé de Salé et père de deux filles. A ses côtés sa femme Fatiha, l’incite à faire vite pour passer aux étales des fruits et légumes situés plus loin. Chacun ses priorités, le souk en a pour tous les goûts. Exposés à même le sol ou sur des tissus usés, les légumes ont l’air alléchants malgré la disposition rudimentaire. L’odeur rafraichissante et l’aspect brillant, aubergines, tomates, patates, carottes, betterave, courge, petits pois, fèves, concombre, choux… « Vous avez l’embarras du choix. Nos légumes sont directement ramenés des champs et des « bhayrates » du Gherb. Goûteux et frais, les prix prennent en considération le pouvoir d’achat faible des populations des douars alentour et même des citadins qui viennent s’approvisionner au souk », nous explique Hamid, marchand originaire de Souk Larbaâ et fidèle abonné de Had Bouknadel.
Pour Rachida, mère de famille de Kénitra, pas question de rater cette messe. Elle vient faire ses emplettes chez Hamid tous les dimanches. Son mari, dont le bras croulent déjà sous le poids du panier bien garni, commence à s’impatienter tandis qu’elle hésite encore entre deux variantes de pommes de terre. Plus loin, une allée à part est investie par des paysannes proposant aux visiteurs leurs volailles : dindons, poulets beldi, canards, lapins, œufs… Hlima, qui vient d’un douar situé entre Salé et Bouknadel aux bords de Maâmoura, arrondit les fins de mois de son mari, travailleur journalier aux chantiers de construction, en vendant ses poulets. Aujourd’hui, elle est assez satisfaite de ses entrées. « Lorsqu’il fait beau, on voit beaucoup de monde au souk et c’est tant mieux pour nous », commente Hlima avec un sourire timide aux lèvres.
Mais tout le monde n’a pas les moyens d’acheter du poulet beldi à 130 dhs ou du dindon à 200 dhs. Ceux-là, se contentent du poulet blanc proposé en détail sur des étals d’infortune. L’aspect douteux des poulets exposés à l’air libre sans aucune protection contre le soleil tapant de ce dimanche, n’incommode nullement une clientèle pas trop regardante sur l’hygiène. « La viande blanche part plus vite que celle rouge car la moins chère et le pouvoir d’achat des populations locales est si faible. Ceci dit, le poisson aussi a ses amateurs surtout celui de Mehdia qui est à côté et chacun sa bourse », commente ce vendeur en chassant quelques mouches têtues.
Viande blanche, rouge ou même poisson, les conditions d’exposition et de vente restent assez approximatives si l’on considère les normes d’hygiène et de salubrité. Pourtant les visiteurs du souk semblent loin de s’en soucier. « L’idée est que dans un souk tout est frais et tout vient directement de chez l’agriculteur ou l’éleveur. Lorsqu’on sait que la viande exposée à la vente vient d’une bête qui était vivante il n’y a même pas quelques heures, on est tout à fait rassuré par rapport à sa salubrité. La preuve, je viens chaque dimanche me restaurer dans les « chewaya » sur place, je n’ai jamais été malade ni moi ni ma petite famille », argumente Soufiane, venant de Mehdia accompagné par sa femme et sa mère.
Installé à l’extrémité du souk sous une voute ombrée, les restaurants beldi de grillades ne désemplissent pas. Impossible de résister à la fumée alléchante de viande grillée. Après l’effort, le réconfort. C’est une vraie ruche. Entre commandes, préparation et service, les restaurateurs n’ont pas le temps de souffler. En famille, en solo, en couple ou entre amis, les lieux n’accueillent pas juste les « soua9a ».
« Nous venons manger ici entre amis chaque fois que l’on peut. On n’est pas intéressé par les produits proposés, mais par les grillades toutes fraîches de ces restaurants à ciel ouvert. Le goût de la viande est vraiment autre. Nous mangeons n’importe quoi en ville », partage avec nous Bahij, jeune slaoui venu aujourd’hui avec trois amis, tandis qu’ils sirotent un bon thé à la menthe en attendant leur plat. Un repas qui sera animé en bonus car à peine servis, nos amis seront apostrophés par un duo de musiciens : Un violoniste et un percussionniste. Manger tout en étant bercé par les notes d’un répertoire châabi, Bahij et ses amis ont l’air d’apprécier. Ils réclament des morceaux précis, avant de remercier les deux « artistes » en leur filant quelques dirhams. Bénissant leurs donateurs et leur générosité, ils continuent leur ronde musicale en insufflant aux lieux une ambiance festive rappelant celle des moussems. « Justement c’est comme un moussem, mais hebdomadaire. C’est un retour à la terre mère et aux habitudes d’antan. La ville nous bouffe crus. Ici, et en campagne, nous improvisons une sorte de cure pour pouvoir affronter à nouveau le stress et le mal être des grandes villes », analyse Said tandis qu’il suit amusé le spectacle mobile et qu’il demande à boire à un vieux « guerrab ». Son regard en dit long sur sa satisfaction. Pour lui, le souk dépasse largement sa dimension marchande, c’est une véritable sortie et un retour aux sources.