Abdellah Rami : « Le salafisme est à la base de l’intégrisme, du takfir et de la ségrégation entre musulmans »
Salaheddine LemaiziL’Observateur du Maroc : Nombreux sont les observateurs qui comparent l’ambiance actuelle à celle précédant les attentats du 16 mai 2003, sommes-nous face à une résurgence de la donne « salafiste » sur le terrain ?
Abdellah Rami : Tout le monde islamique connait une montée des salafistes. En plus des facteurs nationaux, il faut ajouter des éléments relatifs au contexte international qui sont d’une grande importance. Après avoir échoué à combattre le terrorisme, les Etats-Unis sont en train d’animer le courant salafiste. À travers cette approche, les Américains réalisent d’une pierre deux coups. D’abord, tenter de stopper l’influence Chiites et ensuite mener un processus « d’endiguement » des salafistes violents. Ces deux facteurs ont permis la poussée actuelle du salafisme aux dépens des laïcs. Concrètement, cela se traduit par une forte visibilité de ce courant dans l’espace public.
La dernière décennie a été marquée par la lutte contre le salafisme. Pourtant, ce courant n’a fait que renforcer sa présence dans la société marocaine. Pourquoi ?
À l’exception de la galaxie des Frères musulmans, il y a une absence d’idéologies capables de concurrencer le salafisme. D’un côté, les porteurs de la pensée libérale et laïque ont une présence très faible dans la société et le soufisme a une portée limitée. De l’autre, les salafistes ont investi les médias et les TIC. Ils combinent entre le travail de terrain dans la mosquée et la prédication virtuelle qui leur permet une interaction avec un public très large.
Abou Naïm fait-il partie de cette catégorie ?
Absolument ! Ce cheikh a réussi à ajouter à son discours à la mosquée, l’usage d’internet et de la vidéo. Son activité a cru durant ses deux dernières années et le cycle «takfiriste » actuel lui permet d’engranger un succès considérable. C’est ce qui le distingue d’autres cheikhs plus « radicaux », qui n’ont pas réussi cette triple intégration.
Avec son discours, Abou Naïm est-il en train de lancer un nouveau courant « salafiste » qui se différencie des autres courants ?
Il n’est pas en train de lancer un nouveau courant. Il est déjà positionné au sein de la tendance historique des « sourouri » connu par leurs discours d’excommunication des libéraux et les laïcs. En revanche, ce qui le distingue des salafistes, c’est son « audace » à clamer haut et fort ses positions. N’oublions pas que l’homme porte en lui l’héritage de la Chabiba connue pour la centralité du takfir à l’encontre des ittihadis et des laïcs en général.
L’équation « salafiste » continuet- elle de constituer un obstacle à la réforme du champ religieux au Maroc ?
Le salafisme comme courant idéologique demeurera un des principaux défis pour ce champ. Surtout que ce mouvement est à la base de l’intégrisme, du takfir et de la ségrégation entre musulmans. Actuellement, le champ officiel a pu intégrer un bon nombre de cadres salafistes. Ceci étant, il ne pourra pas domestiquer tout le courant surtout que le salafisme bénéficie d’un soutien puissant au service d’agendas régionaux et arabes biens connus.
Enquête publiée dans le magazine L’Observateur du Maroc du 10 au 16 janvier 2014
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