
LUNDI, Le prix du mensonge.
Serguei Narychkine est ravi de son coup. Le Président de la Douma russe passe trois jours à Paris, au prétexte de participer à un colloque sur la seconde guerre mondiale à l’Unesco… Il est en tête de la liste noire établie par l’Union Européenne qui a déclaré persona non grata quelques proches de Vladimir Poutine après l’annexion de la Crimée mais le droit international obligeait à lui accorder un visa pour l’Unesco. Serguei Narychkine en profite. Il défie le quai d’Orsay et les bonnes consciences. Il débarque flanqué d’une telle escouade de gardes du corps qu’on pourrait croire qu’ils vont annexer le studio après avoir envahi les provinces ukrainiennes. Le président du Parlement russe est de la génération Poutine. Il s’est formé comme lui au KGB. Il a servi sous ses ordres à Saint-Pétersbourg. Il en a été le bras armé au gouvernement, puis dans le parti. Il tient aujourd’hui la bride courte aux parlementaires. Physiquement, il lui ressemble comme un frère cadet : même minceur athlétique, même visage fermé, même réflexe de faire front à l’adversaire. Et même dialectique héritée du stalinisme : Serguei Narychkine ment effrontément en niant l’évidence devant les images des forces spéciales en uniforme vert, anonymes et sans insignes, qui viennent prêter main forte aux insurgés du Donbass comme ils l’avaient fait en Crimée. Il ment comme il respire en exaltant le peuple souverain qui a proclamé son indépendance à Simféropol et en condamnant les manifestants de Maïdan comme des putschistes à la solde de l’étranger. Les ficelles de la propagande sont énormes, qu’importe ! La désinformation est en marche et laisse l’interlocuteur stupéfait par tant de mauvaise foi. Tout comme les 40.000 soldats déployés à la frontière laissent en état de sidération les Européens qui n’auraient jamais cru le Kremlin capable d’oser ce coup de force. Serguei Narychkine raconte n’importe quoi et se moque des sanctions. Mais son passage à la tête de la bureau-technocratie quand il pilotait la direction économique de la Russie puis l’administration présidentielle lui font prendre au sérieux les vraies représailles, celles que le marché va infliger. Cela a déjà commencé : les prévisions de croissance pour l’année viennent d’être corrigées et passent de 2,5 à 0,5%. La Russie était déjà au point mort, la fuite des capitaux devrait l’enfoncer davantage dans l’impasse. Sans compter, les conséquences à long terme de l’aventure militaire en Ukraine : la parole des Russes est désormais aussi dévaluée que celles des Soviétiques qui ont menti au monde pendant soixante-dix ans, au point que plus personne ne croit aux lendemains qui chantent.
MARDI, l'heure de vérité.
Tous les dignitaires de la République française et les ambassadeurs arabes au garde-à-vous dans la cour des Invalides pour écouter l’hommage funèbre de François Hollande à Dominique Baudis. Le choeur unanime célèbre les vertus du journaliste qui fit son apprentissage professionnel au Liban et retrouva beaucoup plus tard les délices et les querelles levantines en présidant l’IMA, l’Institut du Monde arabe... Dominique Baudis connut tous les honneurs mais endura aussi les pires rumeurs, quand une affabulatrice mêla son nom à un meurtre abject. Médias et magistrats relayèrent complaisamment la calomnie. Il souffrit de ces mensonges. Un comble pour un ancien journaliste et une leçon à méditer pour les autres. L’ancien maire de Toulouse restera surtout comme l’homme politique qui choisit un jour d’abandonner ses mandats de maire et de député parce qu’il trouvait plus sain de passer la main au bout de quinze ans, alors qu’il aurait pu se faire élire à vie dans son fief. Autre leçon à méditer. A l’évidence, ce n’est pas l’intention d’Amara Benyounes. Le ministre algérien de l’Industrie est le porte-parole d’Abdelaziz Bouteflika. Il a gagné Paris pour y boucler la campagne présidentielle. Il s’emporte quand on lui fait remarquer qu’il y a toutes sortes de tyrans qui ont été impotents mais qu’on cherche en vain dans l’histoire un président démocratiquement réélu tout en étant physiquement incapable de faire campagne. Il s’indigne et fait remarquer à bon droit que les Algériens trancheront. Même si le Président n’a jamais pu s’adresser au peuple de vive voix, le résultat ne fait guère de doute. Les chiffres de l’abstention seront sans doute contestés mais le vrai suspens, c’est ce qui va se passer après. C’est la colère qui gronde à Ghardaïa, les ministres chahutés dans les Aurès ou en Kabylie. C’est aussi l’ampleur de la réforme constitutionnelle prévue en fin d’année. Quand on pose la question à Amara Benyounes, il jure que les spéculations sont prématurées, qu’une viceprésidence est une option mais rien de plus, que la limitation du nombre des mandats est envisagée mais pas sûre… Difficile de dire autre chose alors qu’il fait campagne pour un… quatrième mandat. C’est bien carte blanche qu’exigent les dirigeants algériens. Abdelaziz Bouteflika aphone et absent reste au Palais pour donner à l’oligarchie un sursis supplémentaire et qu’enfin s’organise la transition... Apothéose de l’immobilisme. L’heure de vérité n’est pas prête de sonner en Algérie.