Musique
Fatima Mabchour. « Notre objectif est de sauvegarder notre patrimoine musical andalou avec toutes ses composantes »

L'association marocaine de la Musique Andalouse "A.M.M.A " œuvre pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine musical andalou marocain avec toutes ses composantes et dérivés. Les membres fondateurs de L'association sont tous des amateurs de la musique andalouse marocaine, mais aussi des autres types de musique et chants qu’ils soient profanes ou spirituels. Par-delà l'amour et la fierté que nous portons à notre patrimoine musical marocain qu’il soit arabe, amazigh ou judéo-arabe, nous défendons cet acquis séculaire et nous comptons le perpétuer à travers les rencontres et festivals que nous organisons au Maroc et ailleurs.

En dehors de l’organisation des concerts, soirées et festivals, quelles sont vos autres activités ?
Les soirées et festivals permettent de maintenir un public amateur à des degrés différents. Aussi, c'est un des moyens de faire découvrir et apprécier ce type de musique à ceux qui ne le connaissent pas ou qui la côtoient sans lui accorder l’importance qu’elle mérite.
Par ailleurs, un projet nous tient particulièrement à cœur est celui de promouvoir cette musique auprès de nos enfants dès leur jeune âge. Nous avons établi des partenariats avec des écoles, du primaire au lycée, et avons dressé un planning assurant des activités hebdomadaires au profit de nos enfants de toute souche sociale et à titre gracieux.
Nous menons également plusieurs actions solidaires pendant le mois du ramadan. Juifs et musulmans, sous le drapeau marocain, et grâce à la clairvoyance du roi Mohammed VI, nous venons en aide à la population dans le besoin, que ce soit en cette période de crise sanitaire causée par le Covid-19, ou en temps normal. Nous menons aussi ensemble, depuis 7 ans déjà, plusieurs actions humanitaires au profit d'orphelinats, de maisons de retraites, des villages d'accueil d'enfants abandonnés et des familles nécessiteuses. Les principales opérations étant : l'opération cartable à chaque rentrée scolaire, l'opération paniers ramadan, l'opération Iftar au sein des orphelinats et maisons de retraites ainsi que l'opération 3id pour tous. Toutes nos opérations trouvent soutien chez nos frères Juifs marocains d'ici et d'Israël, dans une solidarité humaine absolue dépassant toutes les frontières.
Que représente la musique andalouse pour vous ?

La musique andalouse marocaine, dite Al Ala (instrumentale) est particulière par son histoire et son vécu. Elle nous vient de l’Antiquité et a traversé donc des siècles et des continents pour se faire une place chez nous. On a souvent dit, à tort, que c’est une musique élitiste mais quand on s’y intéresse, on constate qu’il n’en n’est rien. Al Ala avec ses mélodies et ses sujets, touchent tous les sujets d’amour, de passion, de piété et de louanges à Dieu et à ses prophètes.
La richesse de cette musique, ses origines et son extraordinaire adaptation, font d'elle un voyage dans le temps pour l'audience et une thérapie pour l'âme. A ce niveau, il existait à Fès un hospice (Marstane) psychiatrique qui traitait ses patients par la musique andalouse.
En 2019, vous vous êtes produits en Israël. La chorale était composée que de femmes. Pourquoi et quel message vouliez-vous passer ?
Parmi les projets phares de notre association est notre « Chorale marocaine de la Tolérance ». C'est une chorale qui porte la voix de la paix et s'ouvre à l'autre à travers la musique et le chant. Notre chorale composée de notaire, avocat, ingénieur, médecin et architecte d’intérieur, a eu l'honneur d'être invitée à rejoindre celle de l'orchestre Andalou israélien d'Ashdod pour se produire devant des parterres constitués essentiellement de la communauté juive israélienne originaire du Maroc. La direction artistique de notre tournée en Israël était assurée par Maître Driss Berrada, professeur de notre chorale et directeur artistique de l’A.M.M. A. Ce fut une expérience inédite empreinte d’une émotion et d’un ressenti que nous ne sommes pas prêts d’oublier.
La femme a toujours été chez nous à l’avant des chants et de la musique qu’ils soient citadins ou paysans. Du reste, nous avons un nombre considérable de cheffes de groupes musicaux, célèbres aussi bien au Maroc qu’à l’étranger. Quel meilleur symbole d’ouverture et d’égalité que peut donner ce groupe de femmes venues de si loin pour se produire devant leurs frères et sœurs en Israël ?
Nous avons trouvé en L’Orchestre andalou israélien d’Ashdod un partenaire parfait pour retrouver nos frères Juifs marocains en Israël et les soutenir dans leur action de perpétuer la culture et la musique marocaine en Israël.
Quel souvenir gardez-vous de cette expérience et comment étiez-vous reçues là-bas ?
C'est une expérience qui restera marquée à jamais dans nos cœurs et nos esprits. Nous avons toujours entendu nos parents et grands-parents raconter leurs vies, celles vécues et partagées avec leurs frères Juifs, mais l'entendre n'est rien quand on le vit réellement. Les israéliens originaires du Maroc, comme leurs enfants et leurs petits-enfants, portent un amour indéfectible pour le Maroc.
On s'est senti chez nous : la culture marocaine, ses coutumes, sa cuisine, la darija. Tout y est. Le drapeau du Maroc et les photos de nos rois sont partout. En un mot, nous n’avons pas été dépaysés ! Nous avons vécu 3 merveilleuses semaines de rencontres, d'échanges et de retrouvailles.
Vous avez également organisé le Festival Andaloussiyat. Quel est la spécificité de cette manifestation et en quoi diffère-t-elle du Festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira ?
J'ai eu la chance d'être présidente du comité d'organisation de Andaloussiyat, de 2016 à 2019, au sein d'une des plus anciennes et importantes associations qui œuvre pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine musical andalou. Le festival Andalussyat, organisé par ladite association, est un rendez-vous des plus attendus par les amateurs de la Musique Andalouse au Maroc et se déroule dans plusieurs villes du Maroc et traite, chaque année, un thème différent.
Le festival des Andalousies Atlantiques d'Essaouira, a une âme spécifique. Très différent de tous les autres, c'est le seul festival où on défend l'histoire du Maroc à travers sa musique. Il fait revivre la spécificité plurielle du Maroc et démontre, année après année, que le vivre ensemble, entre Juifs et Musulmans, est une richesse dont nous pouvons être fiers.
En tant qu'originaire d'Essaouira, je m'identifie totalement dans cet esprit. À Essaouira, à une certaine époque, les habitants étaient majoritairement juifs et la vie était agréable et douce entre les deux communautés. Le festival d'Essaouira est une preuve vivante que ce mode de vie, entre Juifs et Musulmans, nous a toujours caractérisé et a toujours existé.
Que pensez-vous du rapprochement entre Israël et le Maroc ? Qu’est-ce que cela pourrait changer pour les artistes d’origine juive et vice-versa ?

Le retour des relations institutionnelles entre les deux pays est un vrai soulagement pour notre communauté juive israélienne originaire du Maroc. Aussi, cette longue séparation a laissé place à l'oubli d'une partie importante de notre histoire. Le rétablissement des relations diplomatiques est totalement bénéfique pour les deux communautés, juive et musulmane, marocaines. Les artistes juifs, comme les autres Juifs non artistes, n'ont jamais oublié le Maroc et les Marocains. Ils venaient par dizaines de milliers chaque année pour renouer avec leurs racines marocaines.
L'artiste, avec sa musique, a toujours fait de son art un pont pour joindre l'autre. Et les artistes aussi bien Juifs que Musulmans ont beaucoup fait pour assurer et affermir les liens entre les deux pays. On leur doit beaucoup.
J'invite vivement, tous les jeunes et moins jeunes, à s'ouvrir aux autres et à tordre le cou aux préjugés.
L’histoire et la culture juive sont désormais enseignées dans les écoles marocaines. Qu’en pensez-vous ? Cela est-il suffisant pour changer les mentalités ?
Suffisant non, mais l'enseignement et l'éducation est à la base de tout. L'intégration de cette partie de notre histoire et notre culture dans les manuels scolaires est quelque chose d'extraordinaire. C'est à partir de là où la curiosité et la recherche d'une vérité, absente chez plusieurs générations, va pouvoir trouver place. Dès lors qu’on combat l'ignorance, le changement des mentalités viendra sans doute.
Parlez-nous de votre partenariat avec l’Orchestre andalou Israélien d’Ashdod ?
La collaboration entre l'association marocaine de la Musique Andalouse (L'A.M.M.A) et l'orchestre Andalou israélien d'Ashdod a trouvé son fondement dans les objectifs communs que nous partageons. L'orchestre est composé essentiellement de Juifs marocains soifs et fiers de leur culture marocaine. L'orchestre a toujours œuvré pour le rapprochement entre les peuples et a su maintenir et honorer notre musique en Israël, au profit de plusieurs générations. Nous avons trouvé en cet orchestre un partenaire parfait pour retrouver nos frères Juifs marocains en Israël, les soutenir dans leur action de perpétuer la culture et la musique marocaine en Israël et leur ouvrir toutes les portes les ramenant vers leurs racines marocaines.
Quel message avez-vous pour les jeunes générations des deux côtés ?
J'estime que les jeunes générations sont chanceuses d'avoir la possibilité d'aller vers l'autre plus ouvertement et plus à l'aise que notre génération. Le rétablissement des relations institutionnelles entre Israël et le Maroc est un appel à la découverte de l'autre. J'invite vivement, tous les jeunes et moins jeunes, à s'ouvrir aux autres et à tordre le cou aux préjugés.

Quels sont vos projets ?
Plusieurs projets sont tracés et n'attendent que la fin de la crise sanitaire, causée par la Covid, pour voir le jour. L'ensemble des projets vont dans le sens où les échanges culturels et la diversité des événements, ici et en Israël, feront vivre les générations actuelles et futures, la vie agréablement vécue par nos ancêtres. Notre patrimoine musical commun est une plateforme de rencontre et de rapprochement idéal pour les deux communautés.