Salima Naji. « On ne peut sauver le patrimoine que si on lui rend sa dimension humaine ».
Engagée depuis des années pour la sauvegarde du patrimoine du sud marocain, l’architecte franco-marocaine qui a publié plusieurs livres d’art et d’essais sur l'architecture dont « Architectures du bien commun. Pour une éthique de la préservation » en 2019 insiste sur l’importance de placer l’Homme au cœur du patrimoine.
Kawtar FirdaousDans son nouvel ouvrage, l’architecte et docteur en anthropologie Salima Naji défend une architecture du bien commun qui consiste à interroger l’objet architectural tout en privilégiant les conditions sociales de son édification, l’usage, l’attachement aux lieux ou encore les pratiques spatiales qui lui sont spécifiques. À ce titre, les communautés de l’Atlas et du Sahara marocains représentent une source d’inspiration pour une réflexion sur la durabilité des constructions contemporaines. Dans les oasis ou encore les greniers collectifs, incarnations du bien commun, c’est le savoir-faire de solidarités historiques qui se manifeste.
Témoin de la capacité humaine à constituer un environnement viable malgré des contraintes climatiques extrêmes, l’architecture y est pensée tel un objet intégré à son environnement, où se lient étroitement agriculture et construction autour de la pierre, de la terre et des végétaux les plus résistants.
En s’appuyant sur de multiples expériences de chantier menées au Maroc, et relatées dans cet ouvrage, Salima Naji montre qu’il est possible de dépasser la pure esthétique de l’héritage, qui oppose tradition et modernité de façon stérile, afin d’interroger plutôt son capital de résilience : une dynamique constante d’adaptation qu’il faut réactiver pour sortir des logiques globales et nocives, dont l’omniprésence actuelle du béton est l’expression la plus évidente. Comme le travail de l’auteur le prouve, il est possible, en multipliant les projets intégratifs et participatifs, de réinvestir les techniques dites « vernaculaires » en recréant des filières constructives au profit d’un véritable développement soutenable.
Démarche participative
Salima Naji estime que pour sauvegarder le patrimoine, il est nécessaire de lui rendre sa dimension humaine et anthropologique, ceci en prenant en considération la démarche participative : « On a tendance dans l’architecture, notamment industrielle, à écarter l’Homme, confie-t-elle. En ce qui concerne le petit patrimoine, les petits villages et les espaces de proximité, il faut que l’Homme redevienne le centre de la vie, et il faut aussi qu’on se base sur la richesse de nos terroirs, et qu’on fasse en sorte que les deux se rencontrent ».
L’Humain essentiel pour la sauvegarde du patrimoine
L’homme devrait ainsi être placé au cœur de la question du patrimoine. « Tout dépend des projets et de la maîtrise d’ouvrage. Avec l’Etat marocain, on travaille sur des provinces concernées par les changements climatiques de façon précoce, sur tout ce qui est bioclimatique. Avec des ONG, on travaille sur le retour du bien-être et du bien être social. Au-delà du participatif, il faut faire un travail de formation, d’accompagnement et surtout de sensibilisation ».
Transmission de la mémoire
Pour ce qui est des problématiques liées à la transmission du patrimoine et de la mémoire, Salima Naji rappelle que le champ du patrimoine est tout aussi important que celui paysage urbain et rural. « Aujourd’hui, on doit lutter pour que nos paysages ne s’enlaidissent et pour qu’en même temps, nos villes ne deviennent pas caricaturales, explique-t-elle. Aujourd’hui, le clivage est dans la perte mémorielle, dans la perte des techniques, des formes, des lieux. Mais grâce à la question du durable, on peut réaliser un travail remarquable de sauvetage et d’amélioration de la vie des gens », conclut-elle.