Exploitation et meurtre

A peine 11 ans et quelques mois et Miloud est déjà parti, un peu trop tôt. Jeudi dernier, le petit berger a emmené le troupeau de son employeur paître dans les pâturages environnants, à la commune d’Oulad Bourima, province de Guerssif. L’enfant travaillait en effet pour venir en aide à sa famille pauvre. Trop éprouvé par l’effort et la soif, il s’assoupit au pied d’un arbre. Le troupeau profite de ce moment d’inattention pour aller voir si l’herbe est plus verte dans un champ d’orge. Ce qui n’était pas du tout du gout de l’employeur.

Réveillé par les cris enragés de ce dernier, Miloud n’arrive pas à calmer la rage de l’employeur. Violenté et tabassé sans pitié, l’enfant ne résiste pas longtemps et succombe sur place. Le patron, se retrouvant avec un cadavre entre les mains, va tenter de maquiller son crime en suicide. Comme si son meurtre n’était pas suffisant, il passe une corde au cou du petit et le pend sur une branche de l’arbre en essayant de passer la mort de Miloud pour un suicide. Mais l’examen du corps de la victime montre les traces évidentes de violence en menant directement au meurtrier. Fini à la tombe au lieu d’être sur les bancs de l’école, le destin tragique de Miloud est un dur rappel du phénomène du travail des enfants dans notre pays.

Le phénomène en chiffres

Malgré les efforts déployés, le Maroc a compté en 2019, 200.000 enfants économiquement actifs parmi les 7.271.000 enfants âgés de 7 à 17 ans, en enregistrant une baisse de 23,5% par rapport à 2017, comme l’affirme le Haut-Commissariat au Plan (HCP). Parmi ces enfants actifs, 119.000 accomplissent des travaux dangereux avec un taux d'incidence de 1,6% contre 2,3% en 2017, indiquent les données de l'enquête nationale sur l'emploi de 2019, publié à l'occasion de la Journée mondiale contre le travail des enfants célébrée le 12 juin. Tout comme Miloud, les enfants astreints à ce type de travail sont à 74,4% ruraux, 84% masculins et à 75,6% âgés de 15 à 17 ans. Toujours d’après l’enquête du HCP, quatre régions abritent 68,1% des enfants astreints au travail dangereux. Casablanca-Settat vient en tête avec 27,9%, suivie de Marrakech-Safi (16,1%), Fès-Meknès (13,1%) et de Rabat-Salé-Kénitra (11%).

Ces enfants sont au nombre de 30.000 en milieu urbain, constituant 83,1% des enfants au travail dans les villes (37.000) et 0,7% de l'ensemble des enfants citadins (4.200.000). En milieu rural, les enfants exerçant un travail dangereux sont au nombre de 89.000, ce qui correspond à 54,3% des enfants économiquement actifs (163.000) et à 2,9% de l'ensemble des enfants dans ce milieu (3.071.000).

Enfants en danger

Parmi les enfants de sexe masculin, 100.000 d'entre eux exercent un travail dangereux tandis que les filles sont au nombre de 19.000 filles soit 37,4% des filles en travail. Pour la plupart issus de milieux défavorisés, les enfants travailleurs quittent l’école pour soutenir leurs familles matériellement. Ainsi, selon le HCP, 83,7% des enfants exerçant un travail dangereux ont quitté l'école tandis que 12,1% sont en cours de scolarisation et 4,3% ne l'ont jamais fréquentée.

Cette enquête révèle aussi une concentration de ce type de travail dans certains secteurs économiques et diffère selon le milieu de résidence. En zones rurales, ces enfants opèrent en particulier dans le secteur de l'agriculture, forêt et pêche (75,4%). En revanche, en villes, ils sont concentrés dans les services (54,8%) et dans l'industrie y compris l’artisanat (31,3%). Ce type de travail reste concentré dans certains statuts professionnels et diffère selon le milieu de résidence. En milieu rural, 66,9% des enfants sont « aides familiales » et 23,6% « salariés ». En milieu urbain, 45,2% des enfants sont « salariés », 30,4% des « apprentis » et 16,3% « aides familiales ».

Au niveau mondial, 218 millions d'enfants entre 5 et 17 ans sont actifs économiquement. Parmi eux, 73 millions, 4,6% de l'ensemble des enfants entre 5 et 17 ans, accomplissent des travaux dangereux comme l’affirment les statistiques de l'Organisation internationale du travail (OIT).