Maroc-Espagne : les vraies questions

Dans cette analyse parue, ce jeudi 27 mai dans le quotidien espagnol La Razón et sur site web, Ahmed Charaï décortique la crise qui ébranle actuellement, en profondeur, les relations maroco-espagnoles.

Le Maroc et l’Espagne entretiennent des relations fortes depuis des décennies, quel que soit le détenteur du pouvoir exécutif dans les deux pays. Car ses relations sont ancrées dans l’histoire.

La grave crise entre Rabat et Madrid n’est ni la première ni la dernière.

Mais cette crise a une particularité, elle est d’abord surprenante, incompréhensible. Sa cause interpelle aussi la démocratie espagnole. Comment expliquer que l’État, pour extraire Brahim Ghali des poursuites judiciaires en Espagne, son gouvernement a accepté l’entourloupe de la fausse identité. Pourtant, la justice espagnole a démontré son indépendance dans des affaires touchant le sommet de l’État Espagnol, le Roi Juan Carlos. Cette attitude du gouvernement espagnol devrait inquiéter les démocrates, les voix sages de l’establishment espagnol, comme Gonzales, Zapatero, et d’autres figures. Malheureusement, on ne les entend pas. Or, le Maroc et l’Espagne, pays amis, partenaires et proches depuis des siècles, avec une réalité géographique immuable imposant un voisinage déterminant, car chaque pays assume une sorte d’extension de l’espace de vie par rapport à l’autre, se retrouvent confrontés tous deux au même phénomène de l’immigration clandestine.

L’Espagne a été demandeuse de compréhension et de solidarité politique et financière de l’Union. La politique européenne doit être fondée sur quatre principes fondamentaux tels que la prévention à la source ; la coopération opérationnelle avec les pays d’origine et de transit ; la lutte contre les réseaux criminels de trafic de migrants et la meilleure gestion des frontières.

De son côté, le Maroc a reçu sur son territoire plus de 50.000 Subsahariens qui n’avaient pas comme objectif de terminer leur périple sur le sol marocain. C’est une preuve du sérieux et de l’engagement marocain. Demander à l’Union européenne de faire pression sur le Maroc n’est pas une issue, c’est contre-productif et dangereux pour la collaboration maroco-européenne sur une question aussi stratégique pour l'Union Européenne que pour l’Espagne.

Sur le plan sécuritaire, les deux pays sont nécessairement préoccupés par la lutte contre le terrorisme, l’extrémisme religieux, le trafic international de drogue. Le Maroc est un partenaire très fiable. Ce sont les dirigeants espagnols eux-mêmes qui l’affirment depuis le début de ce siècle. José Bono, ancien ministre de la défense a déclaré que «rompre les relations sécuritaires avec le Maroc serait suicidaire».

Sur le plan économique, l’Espagne est devenue le premier partenaire commercial du Maroc. Il y a plus de vingt mille entreprises ibériques qui ont des intérêts sur le sol marocain.

Enfin, l’Espagne, pourtant ancienne puissance colonisatrice, sait que le Sahara est une terre marocaine. Mais, pour des raisons d’équilibre, elle ne l’a jamais officiellement admis et le Maroc n’en a jamais fait un casus-belli.

Oublier et vouloir changer les faits serait une grave erreur. Car d’une part, ceci annoncerait des troubles et des conflits sans fin dans une région du sud de la Méditerranée où le Maroc et l’Espagne sont deux nations très attachées à leur unité et à leur intégrité territoriale. Ensuite, cette région a besoin de plus d’intégration, d’un marché plus profond, pour assurer son décollage et satisfaire les aspirations de sa population majoritairement jeune.

Des centaines de milliers de Marocains vivent en Espagne, les influences culturelles sont évidentes des deux côtés, mais pourquoi est-ce qu’il faut mettre toute cette convivialité en danger au lieu de reconnaître une faute dans l’affaire El Ghali ? Quelle sortie de crise propose l’Espagne ? ce sont les vraies questions auxquelles devrait répondre Le Président Sanchez.

Même dans un siècle, l'Espagne et le Maroc feront le lien entre deux continents. De leur entente dépend la stabilité mondiale. C’est une responsabilité que le gouvernement Sanchez doit se montrer capable d’assumer. On ne peut pas parler d’alliance stratégique, dans les conditions engendrées par l’affaire Ghali.