Paris sportifs. La nouvelle addiction des jeunes
De la passion du football, les jeunes migrent vers les paris sportifs

Ils sont de plus en plus jeunes, de plus en plus accros et de plus en plus nombreux à céder à la tentation des jeux du hasard et des paris sportifs. Zoom sur une addiction et un phénomène inquiétants…



Samedi, 12h00, devant ce point de vente à Derb Foqara à Casablanca, une queue de clients s’est déjà formée. Des jeunes discutaient entre eux à propos des matchs du Raja et du Widad qui seront disputés ce week end. Avec des pronostics différents, ils font leurs mises chacun selon sa bourse mais aussi le degré de son courage.

Le piège

Pour Rachid. H, 30 ans, salarié, ses mises ne dépassent jamais les 50 dhs. « Je joue juste pour le fun. J’ai toujours adoré le football, je suis d’ailleurs un bon joueur. C’était dans la logique des choses que je fasse, avec des amis au café, des pronostics pour les prochains matchs. Et c’est comme ça que j’ai commencé à faire des paris sportifs », nous raconte le jeune homme. Des pronostics sur des tons badins entre amis au café du quartier aux jeux d’argent, Rachid n’est pas le seul à franchir la frontière. Driss. B, chef décorateur, nous affirme lui aussi, que le jeu n’est qu’un hobby. « Passionné du foot, le jeu est juste un divertissement. Un passe temps amusant où le facteur surprise et suspens est très important. Cette montée d’Adrénaline dans l’attente des résultats est si précieuse... », nous explique-t-il en insistant sur le fait qu’il ne joue qu’occasionnellement.

Pourtant, tout comme Rachid, Driss avoue jouer régulièrement et ceci depuis cinq ans là. Simple divertissement ou plutôt une addiction ? « Le jeu, qui est, à la base, un divertissement, risque de se transformer en un piège dont il est très difficile de sortir », explique Dr Mostafa Massid, psychologue clinicien. Un piège dans lequel de plus en plus de jeunes et moins jeunes sont pris, à considérer les files d’attente devant les nombreux points de vente implantés au cœur des quartiers. « Un service de proximité qui est devenu disponible à tout coin de rue. J’ai remarqué une grande prolifération de ces points de vente dernièrement mais il faut dire que la demande suit et de loin », remarque Rachid qui est originaire de Derb Sultan.

Les adolescents s’y mettent

Rencontré non loin de l’un de ces points de vente sur boulevard Al Fida à Casablanca, Yehya. A, à peine 12 ans, est déjà un « grand » joueur. « J’ai découvert ces jeux là à l’école. Mes camarades en parlaient tout le temps. Ils jouaient et gagnaient de l’argent. J’ai commencé alors moi aussi à tenter ma chance », nous raconte l’adolescent qui est venu aujourd’hui miser sur son équipe fétiche le Raja.

« Les jeux du hasard sont interdits aux enfants pourtant ils trouvent un moyen pour jouer et se procurer leurs tickets », regrette Rachid. Des moyens pour jouer sans se faire refouler, ces enfants ne manquent pas d’ingéniosité. « Avec mes camarades, nous sommes arrivés à convaincre le gardien de voiture, en le soudoyant, de nous acheter les tickets sans nous faire prendre », nous affirme Yehya. Tout comme Yehya, Nada.M, 14 ans, est déjà addict au jeu. Découvert à l’école, lors de la récréation, le pari sur les matchs de foot est devenu son passe temps favori. « J’y joue toutes les semaines. J’adore le football, le Widad, le Réal et Chelsea. Alors à chaque fois que ces équipes jouent, je mise sur elles. J’aime faire des paris et j’aime surtout les remporter », raconte Nada qui nous affirme, malgré son jeune âge, qu’elle n’est pas prête d’arrêter de sitôt.

Cernés

« L’addiction aux jeux de hasard est la conséquence de plusieurs facteurs qui peuvent influencer le comportement de l’individu et son rapport au jeu. Ce qui était une simple source de plaisir devient alors un besoin. Ce n’est plus un jeu mais un état compulsif souvent incontrôlable », commente Dr Massid. Une description qui colle au comportement de Nada mais aussi de Yehya influencés négativement par leurs camarades. D’après le clinicien, l’environnement est l’un des facteurs majeurs qui sont à la base du développement d’une addiction au jeu. « Car les possibilités de jouer foisonnent autour de soi. L’incitation au jeu si présente crée donc un environnement où le jeu est socialement acceptable voire encouragé et même provoqué », ajoute le psychologue.

Ce dernier nous rappelle la grande pression subite par les jeunes et moins jeunes via l’internet et les réseaux sociaux. « N’oublions pas l’incitation aux jeux de hasard en ligne qui favorise également le développement de l’addiction, sachant que tout ordinateur, tablette ou smart phone permet de jouer sans se déplacer et à n’importe quelle heure », soulève-t-il.

Tentation en ligne, tentation dans le quartier, tentation à l’école, les enfants et les jeunes sont hautement exposés surtout si des facteurs psychologiques prédisposant rentrent en jeu pour favorise l’addiction. « Parmi ces facteurs l’on peut citer des traumatismes de l’enfance, l’anxiété, le trouble de l’humeur dépressive, les émotions réprimées ou encore les besoins non satisfaits et une faible tolérance à l’ennui... », énumère le clinicien. Des facteurs favorisant qui peuvent s’ajouter à une situation personnelle, familiale ou professionnelle stressante ou à difficulté à gérer ses problèmes.

Voler pour jouer

Si l’addiction aux jeux du hasard à des causes et des conditions favorisantes, elle a aussi des conséquences et pas des moindres. Être accro aux jeux d’argent présente des risques à bien des niveaux, qu’ils soient financiers, familiaux, professionnels ou personnels... surtout pour les plus jeunes. « Je joue avec mon argent de poche et si je n’en ai pas j’emprunte à mes amis ou je prends à mes parents sans qu’ils ne le sachent », nous avoue, le verbe détaché, Nada. Voler sa propre famille pour financer son addiction, Nada n’est pas la seule à le faire. Yehya, lui aussi, le fait. « C’est juste de petites sommes entre 20 et 50 dhs, rien de méchant ! », modère-t-il, en essayant de justifier son comportement.

« En effet comme toute addiction les jeunes avec des moyens ou sans sont très exposés à des comportements délictuels, tels que le vol, la vente de drogues ou encore la prostitution », explique Dr Massid. D’après ce dernier, « lorsque l’état compulsif génère une excitation exacerbée, on devient tellement obsédé par l’objet de l’addiction que l’on ait recours à tout moyen légal ou illégal pour enfin satisfaire cette pulsion ». Cédant à leurs pulsions, les gamblers n’hésitent pas à tenter le diable pour se satisfaire. Driss, nous raconte comment des jeunes de son quartier se sont transformés en voleurs à l’arrachée pour pouvoir financer leurs paris.

L’éducation des enfants et des adolescents peut-elle immuniser contre la tentation des jeux du hasard et les délinquances qui peuvent en résulter ? « J’estime que lorsque l’on atteint ce comportement morbide, on ne peut qu’avancer que l’éducation de base fut défaillante ou inexistante. Partant du principe que l’éducation est l’art de former un enfant ou un adolescent, en développant ses qualités physiques, intellectuelles et morales, de façon à lui permettre d'affronter sa vie personnelle et sociale avec une personnalité suffisamment équilibrée et épanouie », tranche le psychologue.

« Joueurs professionnels »

Si d’après le clinicien, l’addiction au jeu est une pathologie, il est toutefois possible de s’en sortir, affirme-t-il. « Les personnes souffrant de cette addiction peuvent être prises en charge de différentes manières : individuelle, collective et familiale, médicale, éducative, sociale et psychologique », note le praticien en insistant sur le rôle déterminant de la famille. « La famille doit constituer un soutien et un accompagnement emprunt de beaucoup de tolérance, de patience et de bienveillance », insiste Massid.

Mais qu’en est-il des jeunes tentés par le gain facile qui sont devenus des « joueurs professionnels » gagnant leur vie en misant sur les matchs du championnat national mais aussi les championnats internationaux ? « J’en connais une dizaine. De jeunes voisins chômeurs. Ils sont tout le temps au café, le regard accroché à l’écran. La nuit, c’est sur internet qu’ils suivent 24h/24h les résultats des matchs d’Europe, d’Amérique Latine et même d’Asie. Ce sont de grands connaisseurs en foot et font du jeu un gagne pain », nous raconte Driss.

Investissent leurs gains dans de nouveaux paris, ces jeunes gamblers tentent de rentabiliser leur addiction par ce recyclage financier. Un véritable cercle vicieux duquel il n’est pas toujours facile de sortir sans dégâts. Nos témoins racontent d’ailleurs de tristes récits de familles déchirées, de foyers brisés et de pères de famille vivant désormais dans la rue car dépensant jusqu’au dernier sou pour assouvir un besoin insatiable.