Égalité. Les hôtels sont-ils interdits aux femmes célibataires? 
Le principe d'égalité de l'article 19 de la constitution est oublié

Avec le démarrage de la saison estivale, une nouvelle affaire de refus d’accès aux femmes célibataires à un hôtel de Marrakech suscite l’indignation de la toile. Quel fondement légal pour cette pratique franchement discriminatoire ? Qu’en est-il du principe constitutionnel de l’égalité des sexes ? 



Marrakech, la semaine dernière, un hôtel classé a refusé d’accueillir des femmes célibataires sous prétexte qu’elles « sont seules ». « Aujourd’hui, avec un groupe d’amis (dont deux familles), on se voit refuser pour la 3e fois une réservation d’hôtel à Marrakech, sous prétexte que certains membres du groupe sont des femmes célibataires de nationalité marocaine ! », raconte Laila Berchane, sur le fameux groupe facebook « Les voyageuses ».

Discrimination

Choqué, le groupe d’amis les accompagnant tente à plusieurs reprises de leur réserver des chambres en vain. La politique de l’établissement est claire et il la trace noir sur blanc dans sa réglementation affichée publiquement. « L’accès au domaine se verra strictement refusé à toute femme de nationalité marocaine n’étant pas accompagnée de son mari ou de sa famille. Des preuves et justifications seront demandés lors du check-in », lit-on dans la case « Règles du domaine ».

Une discrimination franche qui révolte la toile et provoque une vague d’indignation. « C’est une offense aux droits des femmes et aux libertés individuelles qu’aucune loi ne justifie», explique Berchane qui affirme que l’hôtel s’est rétracté suite aux mauvaises réactions sur la toile en proposant des solutions et des tarifs préférentiels pour se racheter. « Nous avons refusé. Tout ce qu’on demande c’est de changer le règlement et de présenter des excuses à toutes les femmes marocaines. Le problème est plus compliqué qu’un simple rachat et je suis sûre que plusieurs femmes subissent ce genre de discrimination au Maroc. On doit continuer de dénoncer ces comportements misogynes », réclame-t-elle dans une publication largement partagée.

Refus illégal

Nullement isolé, ce genre d’incident n’est pas nouveau. Des affaires font surface régulièrement à cause d’une attitude qui n’a aucun fondement légal comme nous l’affirme maitre Lamia Faridi, du barreau d’Agadir. « Il n’y aucun texte de loi sur lequel ces hôtels peuvent se baser pour interdire l’accès aux femmes célibataires ou seules. C’est une attitude totalement injustifiée et injuste envers la gent féminine », soutient l’avocate qui est également membre active de l’Association Femmes du Sud.

D’après cette dernière, ce type de comportement sape profondément le principe d’égalité de genre. « C’est anticonstitutionnel ! L’article 19 de la constitution de 2011 stipule que l'homme et la femme jouissent, à égalité, des droits et libertés à caractère civil, politique, économique, social, culturel et environnemental. Cette attitude est en franche rupture avec les avancées réalisées en termes de parité et d’égalité des genres », s’insurge Faridi.

Attitude rétrograde

Jugeant ce refus d’accès aux hôtels comme rétrograde, l’avocate s’inquiète par rapport aux reculs enregistrés dernièrement en termes de droits des femmes. « En termes sociaux, on a l’impression de rouler à deux vitesses. Alors que l’on se réjouit des avancées réalisées dans la condition des femmes marocaines, l’on constate également un mouvement de résistance rétrograde. Il faut absolument réagir et dénoncer sinon ce dernier gagnera du terrain sans que l’on s’en rend compte », s’inquiète l’activiste de société civile. Elle rappelle d’ailleurs que le Maroc a ratifié plusieurs conventions internationales pour la protection des droits des femmes notamment la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) et le Pacte des droits économiques et sociaux. « Nous devons donc honorer nos engagements », note l’avocat.

Rappelons qu’en 2014, une grande polémique a éclaté suite à une affaire similaire enregistrée à Rabat et dont la victime était une psychiatre de la même ville. Sortant de son mutisme, le ministre de l’intérieur de l’époque Mohammed Hassad, s’est expliqué à la chambre des représentants, lors de la séance des questions orales, en annonçant qu’« il n’existe aucune circulaire écrite interdisant le séjour aux femmes dans les hôtels. Il s’agit peut-être d’un excès de zèle de la part de tenanciers d’hôtels », nuance-t-il.

Une déclaration qui vient démentir les affirmations de certains hôteliers soutenant alors que ce refus est une consigne « orale » de la police pour lutter contre la prostitution. Perdue entre le texte de loi, la constitution et les pratiques sur le terrain, comment la femme célibataire marocaine devrait-elle s’y prendre pour jouir de ses droits comme son concitoyen masculin ? Et sans subir les attitudes aléatoires et arbitraires des tenanciers d’hôtels ? « Nous devons organiser des sit in et réclamer ce droit. La société civile doit sévir et les parlementaires doivent également poser la question aux responsables. Trêve de réglementations tacites. Des contrôles doivent être effectués et la loi appliquée à la lettre sans discrimination aucune ! », conclut Lamia Faridi.