La culture. Parent pauvre des élections ?
Théâtre Mohamed V

Alors que le Maroc se prépare aux élections législatives et locales du 8 septembre 2021, l’on se demande quelle place occupe la culture dans les programmes électoraux ? Visiblement, au vu des programmes, elle ne semble pas être le souci majeur des candidats, ni au cœur de leurs préoccupations. Et pour cause, la culture est considérée par la plupart des partis politiques comme "un luxe, un loisir, voire une activité élitiste", surtout en période de crise sanitaire.

Si l’on réfère aux programmes des 7 plus grandes formations de la majorité et de l’opposition : RNI, PJD, PI, PAM, USFP, PPS et MP, on remarque que ce sont surtout les mesures économiques et sociétales qui dominent. Les grands thèmes constituant les grands piliers pour la majorité de ces partis politiques sont généralement : la protection sociale, la santé, l’éducation et la création d’emplois. La culture n’étant pas une priorité, elle se retrouve reléguée au second plan ou ne figure pas du tout au programme.

On ne parle pas de culture. C’est la cerise sur le gâteau !

« Le programme culturel dans les programmes des partis politiques est souvent mis à la dernière page et je trouve cela inquiétant. Des fois, il est même absent, s’indigne Soufiane Hennani, réalisateur militant pour la cause LGBYQI+ et fondateur du collectif ELLILE et de la plateforme alternative Machi Rojola, pour la promotion des masculinités positives au Maroc.

Je crois que la culture devrait être abordée d'une façon transversale et présente à tous les niveaux, poursuit-il. Quand on parle d'éducation, d'espace public, de droits humains, de droits de femmes, de libertés individuelles et de la religion, ...ce qui n'est pas le cas. Depuis le début du Marathon des partis politiques pour les élections, je me suis amusé à chercher combien de fois le mot « Culture » est abordé dans leurs programmes. Il y a des programmes où les seules fois où le mot est cité, est pour dire "agriculture" !!! ».

Adil Kaghat, musicien et professeur de musique, qui suit de loin les élections nous confie qu’il est « en général allergique aux discours électoraux qui stipulent se soucier de la situation des artistes, en particulier depuis la pandémie, et qui promettent qu’ils vont trouver des solutions pour améliorer leur situation sociale », lui, qui se bat depuis plusieurs années pour obtenir une carte d’artiste, en vain. « J’ai envoyé le dossier 3 fois, sans suite...alors je ne me sens pas du tout concerné par ces élections, et puis d’abord, que signifie être artiste ? ... », conclut-il.

Si certains partis accordent une place à la culture dans leur programme électoral (augmentation du budget consacré à la culture, renforcement de l’enseignement artistique, promotion du marché de la culture, allègement des mesures fiscales et valorisation du patrimoine...), les notions restent floues et vagues et généralement, les offres proposées qui s’apparentent à du « déjà vu » n’arrivent pas vraiment à séduire ni à convaincre une grande partie des artistes qui ne font plus confiance aux responsables politiques.

« Même si certains partis incluent la culture dans leur agenda, je pense que comme d’habitude, ils ne vont pas faire grand-chose pour les artistes qui meurent de faim et qui se sont retrouvés sans travail à cause de la pandémie », déplore Adil Bouaouad, chanteur et parolier qui pointe du doigt l’absence d’une « véritable industrie musicale et culturelle » au Maroc.

La culture n’est pas une priorité

La notion de culture est devenue presque un fourre-tout. Certains parlent « d’animation » et non de « culture », d’autres mettent l’accent sur l’enracinement identitaire et le renforcement d’appartenance à la Patrie, tandis que certains ne se rappellent de la culture que pendant les élections. « A mon sens, la culture ne devrait pas être instrumentalisée dans les programmes de partis politiques qui en parlent que pendant la période des élections mais un combat continue et pris au sérieux même en dehors de la période des élections, nous explique Soufiane Hennani. Et en l’absence de cet engagement durable, je refuse de croire qu'il y a un parti marocain qui considère la culture comme une priorité et une urgence. Sans vouloir être pessimiste, le seul parti qui a réussi à me convaincre et pour lequel je pense voter, parle de la culture à la fin de son programme et avec des expressions très vagues ... ».

La culture n’est donc pas la préoccupation majeure des partis politiques, encore moins en temps de crise. Certains continuent à faire la sourde oreille et la considèrent comme « du gaspillage », « d’autres candidats ne sont tout simplement pas cultivés et donc pas du tout sensibles à la chose culturelle », nous confie un responsable sous couvert d’anonymat.

Pourtant, le dernier modèle de développement présenté par la CSMD (Commission spéciale chargée du nouveau modèle de développement) le 25 mai 2021 au Souverain accorde une place importante au champ culturel et estime que ce dernier est « un levier multidimensionnel de prospérité économique, de lien social inclusif et de soft power géopolitique », en précisant que « si le modèle de développement repose sur plusieurs piliers, la culture devrait en être le pilier » !

Aujourd’hui encore, la culture continue d’être le parent pauvre des campagnes électorales. Cette année, 18 millions de Marocains dont 46 % de femmes sont appelés aux urnes pour trois scrutins qui décideront le 8 septembre 2021 du futur gouvernement. Ils éliront ainsi les 395 députés de la Chambre des représentants et les plus de 31 000 élus communaux et régionaux.