Philippe Lorin : « J’aimerais lancer une radio de Jazz au Maroc ! » (Interview)

Fervent passionné de jazz, le directeur du festival Tanjazz nous parle de la 19e édition autour du « Jazz dans tous ses états ». Un festival qui balaye cette année tous les styles de jazz dans leurs diversités et d’expression actuelle.

Pourquoi « Le jazz dans tous ses états » ?

 

Parce que je voudrais réaffirmer la variété et la diversité de ce que s’appelle « Jazz ».  Ça part d’artistes qui entretiennent la tradition à des gens qui font des expériences et entre les deux, il y a tous les styles de Jazz qui ont existé, qui coexistent, qui sont ravivés, réhabilités, rajeunis par certains groupes. Et je trouve que c’est intéressant d’avoir ce panorama. On a fait plusieurs thématiques : les 5 continents, les femmes, …mais c’est aussi bien de faire un bilan. D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’on a invité pour la 1ère année, l’Electro-jazz, un style qu’on n’a pas vu au festival depuis 19 ans.

Pourquoi justement l’Electro Jazz ?

 

Parce que c’est une des facettes récentes du Jazz, parce que tout ce qui était électronique n’existait pas avant. Donc, c’est une tendance émergente qui existe bien sûr dans la Soul et le Funk mais qui touche maintenant véritablement le Jazz.

C’est pour séduire un peu un public plus jeune ?

 

Pour ce qui est des jeunes, on n’a pas à se plaindre. La jeunesse est capable de reconnaitre de la bonne musique, qu’elle soit vieille ou jeune ! Il y avait un tas de jeunes qui aimaient Aretha Franklin, et pourtant, ce n’est pas particulièrement récent, ni moderne ni jeune ! En fait, on voulait faire un bilan le plus exhaustif possible des styles de Jazz ; du Jazz dans tous ses états à l’heure actuelle

Une nouvelle édition qui brasse tous les styles du jazz finalement ?

 

Oui, dans les nouveautés de cette année, il y a beaucoup d’anciens, étant donné qu’on ne peut pas faire un état général du Jazz sans remonter loin. On trouvera dans cette édition des groupes qui restituent la mémoire de la Nouvelle Orléans, ceux qui jouent de la musique traditionnelle même si parfois s’y glisse une malice revisitée. On trouvera du swing des années 30-40, puis le Pop des années 40-60, le hard bob des années 60-70 ainsi que du latino, car ne l’oublions pas, c’est grâce à Dizzy Gillespie que les percussions et rythmes latins sont rentrés dans le jazz qui les a parfaitement absorbés. On retrouvera également le jazz oriental grâce à Majid Bekkas, et pour la 1ère fois, il y aura du jazz électro pur et dur qu’on appelle « Nu jazz ». On aura aussi des créations à la fin, des gens qui inventent leur propre jazz et la somme de tout cela qui constitue le jazz dans tous ses états.

Vous faites un peu le tour des grands festivals de Jazz pour dénicher les perles rares. Comment choisissez-vous les artistes ?

 

Je vais dans beaucoup de festivals, j’écoute énormément de musique…vous savez, nous recevons plus de 8 demandes/jour de participation au festival, ce qui est bien. Après, il y en a qui ne sont pas apparentés à ce qu’on fait. On fait alors le tri, on garde, on demande plus de précisions, on demande à écouter encore et encore. J’écoute aussi beaucoup de musique sur les radios Jazz (TSF Jazz pour la France, et Radio 24 à Miami en Floride, …).

Comment faites-vous pour ne pas vous répéter ?

 

Il faut vivre dedans, il ne faut pas fermer ses oreilles, ni ses yeux. Il faut écouter ce qui sort, les albums, ce qu’ils nous proposent. Parfois, on découvre des choses étranges, il faut toujours être aux aguets.

C’est une année de bilan pour vous. Etes-vous satisfait du festival et du chemin parcouru ?

 

Je suis d’abord satisfait qu’on ait pu créer un public fidèle qui revient chaque année. Et je dirais aussi qu’on a progressé significativement sur les audiences jeunes. Il y a 10 ans, on avait 12% de jeunes, aujourd’hui, on en a plus de 45% donc, ça veut dire que c’est une musique qui les interpelle ou que c’est un festival qui leur plait. C’est vrai, certains étaient frustrés parce que c’est interdit au moins des 18 ans, mais cette année, le concert du Dimanche soir sera gratuit pour tout le monde. Le public pourra alors découvrir de jeunes artistes de Tanger, Chefchaouen et Oujda.

Vous êtes un grand amoureux de Tanger. Avec le temps, vous vous dites que vous aviez raison de vous lancer dans cette aventure ?

 

Oui, surtout que personne n’y croyait au début. On me disait que j’étais fou de vouloir créer un festival à Tanger qui est une ville où il n’y avait rien. Je me suis accroché, là, ça fait 19 ans, on fêtera les 20 ans l’année prochaine. Je ne regrette pas, Tanger a beaucoup évolué, il y a des jardins plus soignés, c’est plus propre, …il y a une nette amélioration. Maintenant, le festival fait partie de Tanger, c’est une identité de la ville.

Pour vous, Tanjzz représente quoi ?

 

C’est l’accomplissement d’un rêve, d’un projet mené jusqu’au bout, dans des conditions souvent difficiles, qui le sont toujours d’ailleurs. C’est un festival qui est fragile, qui a une bonne santé mais qui est fragile ! C’est aussi la satisfaction d’avoir réussi à concrétiser un projet et le développer.

 

Vous souhaitez aller plus loin ?

 

J’ai encore de l’énergie malgré mon âge ! Aller plus loin, c’est une question de moyens, or, on n’a pas les moyens de faire ce qu’on veut. J’aimerais beaucoup faire une radio de Jazz au Maroc, en dehors du festival. Une radio qui ferait la promotion de tous les festivals de Jazz au Maroc (jazz au Chellah, Jazzablanca…) et qui ferait un lien entre les différents festivals. C’est un projet auquel je vais m’intéresser l’année prochaine.

Le budget est toujours le même ?

 

Le budget a augmenté légèrement (3,2 millions DH), ce qui est dérisoire pour un festival comme le nôtre. L’année dernière, on était très en danger, étant donné qu’on allait épuiser toutes nos ressources après le départ de Renault. J’ai sauvé la situation en faisant appel au groupe CAC, ce qui va nous remettre un peu à flot pour attaquer la 20e édition. Simplement, j’aurais voulu avoir plus de moyens pour fêter 20 ans en fanfare. Mon rêve, c’était de faire revenir les plus grandes têtes du festival sur 20 ans, je pense qu’on n’y arrivera pas parce que c’est un budget qu’on n’a pas mais je pense qu’on va faire un beau « 20 ans » quand même !