« Haysh Maysh False drama », le premier stoner movie marocain signé Hicham Lasri
Haysh Maysh False drama de Hicham Lasri.

Après « No Vaseline Fatwa » et « Bissara Overdose », l’As de la provoc’ Hicham Lasri se prépare à sortir son nouveau long métrage intitulé « Haysh Maysh False drama », le premier stoner movie marocain mettant en scène Fadoua Taleb, Malek Akhmiss et Salah Bensalah. Un western des temps modernes un brin comique et assorti d´une touche ironique qui rappelle « Headbang Lull ». Sélectionné au Festival El Gouna en Egypte pour la phase post-production, le film sera prêt fin mars 2022.

Votre dernier film s’intitule « Haysh Maysh False drama ». De quoi s’agit-il ?

C’est un film qui s’inscrit dans la même logique que « Bissara Overdose », c’est un peu une continuité du travail de recherche sur les portraits sociologiques que j’avais entrepris en 2017. Le personnage féminin de « Bissara Overdose » incarnée par Fadoua Taleb avait à l’époque fait le buzz parce que c’était une femme forte, sincère et surtout énervée par la réalité sociétale qui défilait sous ses yeux. C’était donc évident pour moi d’en faire un film et l’histoire de « Haysh Maysh » est encore une fois basée sur cette jeune femme qui raconte à sa façon ses déboires et ses colères. On la voit avec sa famille, on la suit dans sa galère ; il se trouve que c’est sa pire journée. Une journée où elle va se retrouver sans famille, sans boulot et sans fiancé... Par contre ce n’est pas un film social, plutôt un western, un road movie à la Mad Max. C’est très physique avec une pointe de comique et une touche ironique, tout comme « Headbang Lull ».

Haysh Maysh de Hicham Lasri


Le film a été écrit spécialement pour Fadoua Taleb. L’enjeu était de faire un mainstream (grand public) mais qui reste artistique, avec un travail de fond sur les personnages, un télescopage des émotions, ...

C’est une œuvre qui réfléchit sur les formes de manière esthétique et qui montre Casablanca comme une ville alternative. En fait, je filme les bas-fonds de Casablanca dans une dimension artistique. Je n’aime pas exposer la misère des gens, ce qui m’intéresse c’est la misère morale et montrer des gens décalés qui vivent par la force de l’espoir.

Ce film est aussi une façon pour moi de ne pas me sentir vieux jeu. J’ai toujours été dans l’expérimentation et dans la recherche, j’ai donc opté pour les nouvelles technologies, moi qui filmais avec une 37 mm, je me suis mis à tourner avec un smartphone et c’est très instructif.

C’est la première fois que votre personnage principal est une femme. Pourquoi ?

Le devoir d’un film, c’est faire voyager, transcender le réel, adopter une vision périphérique et artistique que les gens ne voient pas. Avant, les femmes étaient des personnages secondaires dans mes réalisations, même si elles avaient un caractère fort. Vous savez, c’est difficile d’être un homme et d’écrire sur une femme. Mais je pense que j’étais prêt pour ce personnage féminin, plus réaliste que jamais, avec ses défauts et ses qualités. L´ayant déjà abordée dans « Bisara Overdose », je savais exactement comment l´héroïne réagissait, conversait (...) j’étais donc à l’aise pour l’écrire.

Haysh Maysh-Hicham Lasri


L’héroïne est un peu une sorte de Xena la guerrière made in Morocco ?

Oui, on est dans l’humour, et c’est ce qui rapproche les gens. Xena est un personnage historique connu, c’est une femme forte, combative, dont le courage est apprécié de tous.

Pourquoi le titre « Haysh Maysh False drama » ?

Haysh Maysh signifie « bouzebal » en darija et « la Plèbe » en français. J’ai choisi ce titre pour inscrire le film dans une logique internationale, bien que je sois un cinéaste purement casablancais et que le traitement reste toujours personnel.

Dans « Bisara Overdose », les gens ont été interpelés par la virulence et la violence de cette femme qui dit son ras-le-bol, le côté vaseux a énormément dérangé, de même que le fait de dire que le sexe ce n’est pas forcément « hram ». Toute cette frustration liée au sexe dans notre société, j’en parle aussi dans ma nouvelle bande dessinée.

Haysh Maysh 2


C’est une BD un peu osée ?

Oui, c’est une BD pornographique sur le célèbre quartier de Bousbir, le bordel qui existait à Casablanca pendant le protectorat et qui cristallise ce manque de civisme chez nous. Mais comme j’appréhende déjà la réaction des gens, je compte l’imprimer à l’étranger.

Pourquoi un stoner movie ?

Le stoner film est un genre cinématographique tournant autour de l'utilisation du cannabis, le tout dans un mode comique et positif. J’ai trouvé drôle d´en faire un au Maroc. Il y a des gens qui philosophiquement ont adopté ce style de vie avec des codes propres à eux. Il y a presque un truc shakespearien chez cette femme. Elle va devoir payer pour passer à l’âge adulte. Elle, qui était opprimée, va commettre l’irréparable et devra faire des sacrifices pour pouvoir exister. C’est cette question de quête qui m’intéresse ou de devoir payer pour son baptême de feu si vous préférez. Faire un film, c’est voir le réel autrement, proposer des choses à la fois ironiques et tristes. J’avais envie d’un personnage féminin fort avec ses failles et je voulais filmer son baptême de feu.

Haysh Maych de Hicham Lasri


Casablanca est un personnage principal du film. Vous restez très attaché à votre ville natale ?

Oui, je suis un cinéaste casablancais par excellence. C’est un film qui parle de ma ville avec laquelle j’entretiens une grande intimité, c’est mon terrain de jeu, je m´y sens à l’aise. Vous savez, la réalisation c’est comme aller en guerre, on ne sait pas qui va gagner et qui va perdre.

C’est une lettre d’amour à la ville. Casablanca est une ville qu’on aime détester et qu’on déteste aimer. J’adore filmer ses bas-fonds, les endroits industriels que les gens ne connaissent pas et où ils ont peur de s’aventurer. Moi, je cherche à sublimer ces lieux-là, on a d’ailleurs tourné à proximité de l’ancienne usine de sucre à Ain Sebaa et on avait un effet « neige de sucre » incroyable ! Filmer les beaux quartiers de bourgeois ne m’a jamais intéressé, je trouve que ça n’a pas d’âme.

Casablanca n’a pas de visage mais il y a des coins qui sont d’une temporalité incroyable. Je suis né à Ain Sebaa, un quartier que je chéris énormément et qui a malheureusement perdu de son éclat d’antan. Aujourd’hui, les cinémas ont disparu, il n’y a plus que du béton, c’est hideux, même les plages ont fermé !

On dirait que vous êtes toujours fidèle à la même équipe : Malek Akhmiss, Salah Bensalah, Fadoua Taleb...?

Ce sont des comédiens extrêmement talentueux qui crèvent l’écran. Ils sont parfaits pour incarner mes personnages. Au Maroc, nous avons hélas des acteurs qui disent les dialogues mais ne les interprètent pas.

Et au-delà de l’amitié qui nous lie, j’essaie de faire la part des choses. Je suis intraitable sur le plateau de tournage, d’ailleurs, je les fais souffrir pour obtenir le résultat escompté.

Haysh Maysh


Est-ce que vous êtes du genre à laisser vos acteurs improviser sur scène ou pas du tout ?

Le scénario est très précis, je sais exactement ce que je veux, je dirais qu’on improvise juste dans un sens esthétique.

Il ne faut pas oublier qu’une histoire ce n’est pas juste les comédiens, c’est aussi le décor, la musique, la lumière, l’atmosphère...si le dialogue est très important à la télévision, au cinéma, c’est le silence qui prime et ces acteurs sont capables de jouer le silence, ils sont très forts. Une pure merveille !

La musique du film est signée Walead Ben Selim du groupe N3rdistan. Pourquoi avoir fait appel à lui ?

J’adore sa musique, c’est quelqu’un qui est très réactif et ouvert. Moi, je suis éclectique, je peux écouter du jazz, des chikhates... on arrive à communiquer à merveille, il me suit dans mon délire et il comprend mes attentes. De plus, la bande son doit être à l’image du film, créative et inventive. Walead est taillé pour cela.

Haysh Maysh 3


Votre film a été sélectionné au Festival El Gouna en Egypte pour la phase post production. Quel est votre sentiment ?

J´en suis ravi, cela prouve qu’il est bon et qu’il a séduit les professionnels du festival. On a déjà un vendeur international et l’objectif pour chaque réalisateur c’est de faire exister le film dans les festivals.

Vous savez, une œuvre se définit par la valeur qu’on lui accorde, par l’accueil qu’on lui réserve à l’international, ...Cette fois-ci, j’ai pris le risque d’être plus simple, d’être dans la comédie tout en prenant en compte l’aspect esthétique et les choix musicaux bien sûr. Je suis content que cela fonctionne.

En tant que metteur en scène marocain, on doit se battre en permanence sur le terrain du langage cinématographique pour intéresser les gens à l’étranger et imposer un style. D’ailleurs, le combat d’un artiste c’est de parvenir à s´imposer. On n’est pas un pays en guerre, en comparaison avec d’autres Etats (Liban, Irak, Afghanistan...), on est un pays ennuyeux, on n’a pas de sujets vendeurs. Il nous faut donc être dans l’imaginaire.

Vous venez également de sortir votre nouvel ouvrage « L’effet Lucifer ». De quoi s’agit-il ?

Le livre raconte l’histoire de deux anges qui conversent dans un dialogue très drôle à propos de la religion. Vous savez, en Islam, l’image est interdite. On n’a pas d’images mais des icônes, en l’occurrence les deux anges « hafada » chargés de noter les bonnes et mauvaises actions de la personne, et j’ai profité de cette iconographie pour écrire mon histoire.

J’ai imaginé un ange ancien et plus vieux qui est plus dans l’empathie et un plus jeune, qui est très radical et extrêmement sévère (comme en politique, les nouveaux vainqueurs annulent les programmes des anciens).

Les gens se renferment dans des croyances dogmatisées et sclérosées. C’est généralement une mauvaise compréhension des choses qui engendre la violence ou le racisme. Cette peur qu’on a de certaines choses vient de notre incompréhension. Si l´on prend l’histoire des croisades par exemple, on se rend compte que ça n’a jamais été une guerre de religion mais plutôt une guerre de pouvoir ! A mon avis, il faut toujours relativiser pour être moins dogmatique. Je pense que le doute c’est ce qui définit plus l’Humain.

J’ai toujours défendu le droit d’être dans l’imaginaire. Je ne baigne jamais dans la victimisation, je suis totalement contre...A l’étranger, on me dit souvent que mon pays est démocratique parce qu’il me laisse m´exprimer et c’est plutôt encourageant. Une version en arabe sortira dans deux mois.

L'effet Lucifer-Hicahm Lasri


Vous avez eu un problème de censure avec le gouvernement sortant ?

Oui, les Pjidistes m’ont fait beaucoup de tort, à moi et à de nombreux artistes. Les gens ne se rendent pas compte à quel point le PJDisme et ses cerbères arrivistes et « tournevestistes » nous ont téléportés dix ans en arrière artistiquement et culturellement parlant. On s’est retrouvés avec des secteurs faibles et infestés de rentiers, de parasites et la culture au Maroc est devenue ce petit corps malade. J’ai été personnellement ostracisé, blacklisté, bloqué dans les commissions de CCM par une horde de fouines voilées et de barbues.

Malheureusement, on a très peu d’artistes qui respirent le courage, ils sont pour la plupart d’entre eux des « Gwamliyas » (corrompus) qui caressent les politiciens dans le sens du poil et ceux qui ont résisté sous leur règne ont énormément souffert.

J’ai souvent été victime de tsunamis PJDistes, car ils avaient du mal à comprendre mes œuvres, j’étais trop libre pour eux ! On m’a censuré la 4ème tranche de mon film « Darba ferass ». « Headbang Lull » et ma web-série « No Vasline Fatwa » (parodie des Chouyoukhs qui émettent des fatwas à longueur de journée), les ont énormément dérangés. J’ai fait face à la bêtise des islamistes, j’ai réussi à exister artistiquement malgré l’anathème en faisant 7 longs métrages non financés par l’état.