Santé mentale : ça va toujours mal !
La santé mental, parent pauvre de la santé publique dans le monde

La majorité des pays du monde peinent et peineront encore à assurer un accès équitable à des soins de santé mentale de qualité. Le Maroc n’est pas mieux loti. C’est ce qu’affirme la dernière édition de l’Atlas de la santé mentale de l’OMS. Détails



Les nouvelles données dévoilées par l’OMS dans sa dernière édition de l’Atlas de la santé sont révélatrices. L’accès équitable à des soins de santé mentale de qualité est encore loin pour la majorité des pays du monde. Et le Maroc n’échappe pas non plus à cette tendance. Ce nouveau rapport a été publié à l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale, célébrée le 10 octobre sous le thème « La santé mentale dans un monde inégal ». Un choix justifié par les flagrantes inégalités en termes d’accès aux services psychiatriques mais surtout par le besoin pressant d’y remédier en initiant des mesures urgentes, comme le préconise l’OMS.

Accès inéquitable

« Les données provenant de 171 pays, indiquent clairement que l’attention accordée à la santé mentale au cours des dernières années ne s’est pas encore traduite par la mise en place, à grande échelle, de services spécialisés de qualité correspondant aux véritables besoins », explique un communiqué de l’OMS. Le Directeur Général de l’Organisation mondiale, Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, s’est inquiété d’ailleurs par rapport au flagrant décalage entre les intentions des différents pays et les projets concrets susceptibles de répondre aux besoins en soins. Une pénurie qui s'était ostensiblement aggravée pendant la pandémie de Covid-19. « Nous devons tenir compte de ce signal d’alarme et agir en accélérant considérablement le rythme des investissements dans la santé mentale, car il n’y a pas de santé sans santé mentale » tranche le responsable.

Ainsi d’après l’OMS, en 2020, seuls 51% des 194 États membres de l’organisation ont déclaré que leur politique en matière de santé mentale était conforme aux instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits humains. Un chiffre bien loin des 80% escomptés. Aussi, seulement 52% des pays ont atteint l’objectif relatif aux programmes de promotion et de prévention de la santé mentale. Cependant l’OMS se réjouit d'un chiffre: La réduction du taux de suicide de 10%. Sauf que ce taux, concerne 35 pays seulement lesquels sont dotés d'une stratégie, d'une politique ou d'un plan de prévention spécifique. Autre chiffre significatif avancé par l’organisation mondiale : 2% à peu près, c’est le pourcentage des budgets de santé nationaux consacré à la santé mentale dans la majorité des pays. Un maigre pourcentage qui n’a d’ailleurs pas changé depuis des années.

Au Maroc

Parent pauvre de la santé publique, la santé mentale n'est pas au top de sa forme dans le Royaume. Ceci malgré les différents plans de sauvetage notamment le « Plan Santé 2025 ». Si le nombre des malades mentaux ne cessent de croître depuis quelques années, les infrastructures médicales, la prise en charge, les ressources humaines, elles, ne suivent pas. Aggravant la situation, l’ignorance des maladies mentales et la stigmatisation des malades freinent l’aboutissement des programmes spécifiques, tout en limitant l’accès aux soins comme l’affirme Dr Jallal Toufiq, directeur de l’hôpital psychiatrique universitaire Arrazi de Salé, dans un entretien accordé à la MAP. Ce dernier évoque d’ailleurs la flagrante pénurie des ressources humaines comme étant un facteur majeur de la problématique de la santé mentale au Maroc.

Ceci alors que le nombre des malades mentaux ne cesse d'augmenter... A en croire les chiffres de l’une des rares enquêtes épidémiologiques nationales sur la prévalence des troubles mentaux et les toxicomanies au Maroc. Réalisée en 2007, par le ministère de la Santé en collaboration avec l’OMS, cette étude montre en effet que 26,5% des Marocains souffrent de troubles dépressifs, 9% de troubles anxieux, 5,6% de troubles psychotiques, 1% de schizophrénie, 2% d’abus d’alcool, alors que 1,4 % ont développé une dépendance alcoolique.

Une autre étude, réalisée en 2009, par Nadia Kadiri, Professeur de psychiatrie au CHU Ibn Rochd, en collaboration avec le ministère de la santé et l’OMS, s’est penchée sur la prévalence des troubles mentaux chez les Marocains. Un travail de terrain qui a été réalisé sur un échantillon national de 6.000 personnes âgées de 15 ans et plus. D’après cette étude, les femmes marocaines, à l’instar de la gent féminine mondiale, se sont révélées plus dépressives que les hommes. Une situation de prédisposition que les chercheurs expliquent par la pression des facteurs socio-environnementaux et physiologiques subie par la femme marocaine. Double responsabilité familiale et professionnelle, frustrations, pressions multiples, perturbations hormonales (cycle menstruel, grossesse, accouchement...), les femmes deviennent ainsi des proies privilégiées de la dépression.

Des chiffres assez anciens mais qui permettent de prédire la situation actuelle. Sachant que le Maroc dispose actuellement de près de 1.500 intervenants en santé mentale pour une capacité de 2.320 lits publics et privés, avec à peine 450 psychiatres et 220 psychologues, on peut imaginer l’importance du taux d’insuffisance en matière de soins spécialisés.

L’impact psychique de Covid-19

N’arrangeant nullement la situation, la pandémie est venue creuser davantage l’écart entre les besoins grandissants et les rares soins disponibles au Maroc et ailleurs. « Des millions de personnes sont confrontées au deuil de membres de leur famille et d’amis. Beaucoup de personnes sont anxieuses au sujet de la sécurité de l’emploi. Les personnes âgées vivent plus que jamais dans l’isolement et la solitude», explique Guterres dans son message à l’occasion de la journée mondiale de la santé mentale.

Des répercussions qui sont prouvées aujourd’hui par de nombreuses études scientifiques. N’échappant guère à la tendance mondiale, le moral des Marocains est lui aussi en berne. Certains passent carrément à l’acte. En 2020, le nombre des suicides a enregistré une hausse de 300% par rapport aux années précédentes, selon les chiffres des services de la Protection civile de la région Casablanca-Settat. Les séquelles d’un confinement et d’un reconfinement mal vécus, l’isolement, l’activité économique paralysée, les relations humaines et la vie sociale ont été profondément affectés par cette épreuve inhabituelle.