Bob Oré Abitbol. « Le Maroc ne m’a jamais quitté ».
Bob Oré Abitbol-Le goût des confitures.

Depuis Los Angeles où il réside, tel un enfant devant une irrésistible marmelade, Bob Oré Abitbol, aussi doué en homme de lettres qu’en homme d’affaires, ne contient pas son émotion quand il évoque son Maroc natal. Son dernier ouvrage, « Le goût des confitures », enchante cette rentrée littéraire par sa douce nostalgie du Maroc multiculturel des années 60.

Confidences du Marcel Pagnol marocain

Dans "Le goût des confitures", Bob Oré Abitbol nous entraîne dans le Casablanca d’antan, des ruelles du centre historique à la corniche d’Aïn Diab en passant par les villas fleuries des hauteurs d’Anfa. Comme dans un roman de Marcel Pagnol, au fil des pages, on s’attache à ces personnages pittoresques décrits avec beaucoup d’humour et d’amour par l’auteur judéo-marocain.

Un livre à déguster sans modération.

Pourquoi avoir choisi comme titre « Le goût des confitures » pour votre nouvel ouvrage ?

C’est ma madeleine de Proust à moi. Aussi loin que je m'en souvienne, ma mère concoctait des confitures de saison exquises et diverses : à l’orange, aux raisins et aux noix, aux figues ou aux coings...Cela embaumait dans toute la maison, le quartier, toute la ville me semblait-t-il ! Mon âme entière était imprégnée de ce parfum sucré et si singulier. C’était une musique aux notes sucrées, un enchantement des sens.

Aujourd’hui encore, il me suffit de goûter une bonne confiture faite maison pour replonger instantanément dans mon enfance, comme dans celle de mes oncles dont je raconte la véritable histoire.

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire « Le goût des confitures » ? En quoi diffère-t-il de vos précédents ouvrages ?

Il s’agit en réalité de mon tout premier livre que j’ai remanié et auquel j’ai adjoint des nouvelles au fil des années. « Le goût des confitures », si je devais le résumer en quelques mots, est un condensé de ce que j’aime le plus : ma ville, mon enfance, mes amis et mes amours.

Par la suite, j’ai écrit « Café Prag » qui évoque ma jeunesse à Paris et Montréal. Cette odyssée a été suivie plus tard par « Les faucons de Mogador », qui reprend mes thèmes de prédilection que sont la nostalgie et le vivre-ensemble.

Très vite, de par les réactions de mes lecteurs, je me suis rendu compte que mes histoires étaient universelles. En effet, il suffit de changer le nom des rues et des personnages pour que chacun s’y retrouve, quelle que soit son origine, son appartenance sociale ou son obédience religieuse. « Le goût des confitures » a d'ailleurs été traduit en plusieurs langues dont l’anglais, l’arabe classique et le chinois. C’est important et véritablement une grande joie pour moi de le voir publié au Maroc.

Beaucoup ne connaissent pas aujourd’hui l’apport et la présence Juive dans le Royaume. Avec ce livre j’espère y remédier partiellement.

En résumé, je dirais que mes oeuvres forment un tout cohérent, avec une constante cependant, la nostalgie du pays perdu et les efforts déployés pour nous adapter sans perdre l’essence de ce que nous sommes.

Comment avez-vous choisi vos personnages ? Sont-ils réels ou fictifs ?

La plupart des protagonistes de ce recueil sont réels et y figurent avec leurs vrais noms et prénoms. Je suis davantage "l’historien de la mémoire des Juifs marocains” comme aime me décrire l’un de mes amis, qu’un romancier au sens strict du terme. Je raconte notre départ de Casablanca, notre arrivée en terre étrangère, le chamboulement que cette séparation avec son pays natal a provoqué chez ma mère, mes premières amours, mon premier baiser, le vent sur mon visage en chemin pour la Corniche et Tahiti plage.

Je raconte la vie, notre vie ! En fait, quasiment tout « Le goût des confitures » est autobiographique, mais le miracle a fait que ma réalité a rejoint la réalité des autres, pour la simple raison que cette réalité est universelle.

Le goût des confitures de Bob Oré Abitbol (version arabe).


Le livre est truffé de références historiques. Avez-vous fait des recherches dans ce sens ?

Pas vraiment ! Tout me vient naturellement, sans effort, comme si quelqu’un me dictait ce que je devais écrire. Mon existence, mes expériences et mes périples à travers le monde m’ont nourri, cela est certain, mais je perçois tout aussi clairement une aide « suprême», pour ainsi dire, qui m’inspire dans mes élans créatifs et littéraires. En réalité, je prends tout avec allégresse et passion sans trop me poser de questions !

Comment êtes-vous devenu bibliovore ?

Mon défunt père, quoi qu’analphabète, était relieur et imprimeur (eh oui !). J’écris d’ailleurs un livre sur lui en ce moment. Enfant, je l’aidais avec bonheur dans son atelier en lui indiquant les titres et le nom de l’auteur des livres qu’il venait de sublimer en les recouvrant d’un cuir magnifique. Je devais avoir onze ou douze ans. Il me donnait alors ces romans à lire. C’est de la sorte que, très jeune, j’ai dévoré en vrac Les Illusions perdues d’Honoré de Balzac, Les Misérables de Victor Hugo, Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry, Le Vieil Homme et la Mer d’Ernest Hemingway...bref, toute une bibliothèque ! Mon père insistait par la suite pour que je lui raconte l’histoire dont je venais de terminer la lecture, sans m’aider de l’ouvrage lui-même.

C’est donc à mon père que je dois cette passion pour la lecture, l’écriture et de la narration. Une expérience unique ! Que représente l’écriture pour vous ?

Tout ! L’écriture représente tout ce que j’ai été, ce que je suis, ce que j’ambitionne d’être. J’ai eu deux passions dans mon existence : jouer la comédie et écrire. La vie a fait que j’ai réalisé mille choses entre temps, curieux que j’étais de tout expérimenter, ou simplement de vivre ou de survivre parfois.

"Toute connaissance que n’a pas précédé une sensation m’est inutile”, disait à ce propos André Gide dans son œuvre Les Nourritures terrestres (1897). Je me suis donc lancé avec succès dans la mode, la restauration, l’art, l’édition mais mon premier et unique amour a été et reste l’écriture. Tout le reste n’a fait qu’abreuver et vivifier cette passion pas encore, heureusement, assouvie.

Vous décrivez avec nostalgie le Maroc d’autrefois, simple, joyeux, pluriel et tolérant. Pensez-vous que ces valeurs du vivre-ensemble se sont perdues de nos jours ? Comment percevez-vous le Maroc d’aujourd’hui en comparaison avec celui de votre enfance ?

Je crois en effet que ces valeurs admirables et authentiques se sont quelque peu égarées dans la course à la modernité et dans certaines crispations identitaires, à moins d’avoir rêvé ou idéalisé ce Maroc d’antan multiculturel et pluriconfessionnel, où enfants juifs, musulmans, chrétiens, arabes, amazighs, marocains, français ou espagnols jouaient ensemble dans l’indifférence totale de leurs origines.

Néanmoins, j’ai le sentiment que tout n’est pas perdu et qu’au contraire, ce Maroc cosmopolite est en train de renaître sous un autre jour. Voyez Marrakech, Tanger, Essaouira ou d’autres villes du Royaume qu’on peut citer en exemple de cette belle ouverture au monde. Le vivre-ensemble est plus que possible, il est inéluctable. Une fois les passions apaisées, une réalité plus douce va s’installer. Mais je suis un fou et un poète, me direz-vous ! Je rêve peut-être, mais le propre des poètes justement est d’être clairvoyant, de voir ce que les autres ne perçoivent pas encore.

Alors oui, je vois de la lumière partout dans ce Maroc que nous aimons, qui est si intelligemment dirigé par un roi très éclairé, très lucide, très entreprenant et très visionnaire.

« Le goût des confitures » est finalement une déclaration d’amour à votre ville natale. Comment avez-vous perçu la métamorphose de Casablanca à travers les années ?

Toute mon enfance et mon adolescence, mes années formatrices pour ainsi dire, se sont déroulées à Casablanca. Evidemment, ce n’est plus, de loin, la ville que j’ai connue et où j’ai habité pendant presque seize ans. La ville dont j’aimais l’authenticité, la propreté et le charme insolite.

C’est dommage parce qu’avec son architecture unique témoignant de sa riche histoire, sa proximité à la mer, la diversité de sa population et de ses quartiers, mais aussi son bouillonnement économique et culturel, Casablanca pourrait être un joyau. Malheureusement, j’ai l’impression qu’il existe un laisser-aller apparent et à moins d’une volonté décisive de changement impulsée à la fois par les autorités et les habitants, la croissance chaotique de la métropole se poursuivra. Mais je suis un incorrigible optimiste ! Avec une femme comme nouveau maire, j’allais dire comme Mère, les choses changeront peut-être, j’y crois et je le souhaite vraiment. Ceci dit, si je ne me retrouve pas dans le Casablanca d’aujourd’hui, j’ai en tous cas véritablement chéri cette ville disparate que je transporte dans mon cœur et dans mon âme, où que j’aille, où que je sois (voir mon poème « on est toujours de son pays »).

Ce livre est aussi un travail de mémoire, contre l’oubli. Vous semblez toujours hanté par l’histoire de l’exil forcé (du Maroc), en quête de cet Eldorado tant convoité (Israël) ?

C’est un dilemme permanent pour les Juifs : la terre natale versus la terre promise.

Nous, Juifs marocains, avons réglé ce problème en aimant et l’un et l’autre.

Nous sommes restés profondément ce que nous sommes, où que nous soyons, où que nous ayons élu domicile. Je dirais même plus : nous sommes encore plus Marocains à l’étranger ! Que ce soit dans notre cuisine, dans nos habitudes, nos fréquentations, nos fêtes, notre musique... tout nous remmène vers ce paradis perdu. Ce lien indéfectible à leur terre natale est propre, semble-t-il, aux Juifs du Maroc et non à ceux des autres pays arabes où ils ont été maltraités, spoliés voire interdits de retour. L’afflux des touristes juifs en général et Israéliens d’origine marocaine en particulier est révélateur de ce lien que les vicissitudes du temps et de l’Histoire ne sont pas parvenues à défaire.

Vous êtes aussi auteur dramatique et avez adapté des pièces de Marcel Pagnol. Comment est né chez vous cet attrait pour le sixième art ?

Longtemps, j’ai fait de la scène en tant qu’aspirant-acteur à la Fédération des œuvres laïques (FOL) de Casablanca puis à Paris, où j’ai fréquenté assidûment le cours de Jean Vilar ainsi que le Théâtre Mouffetard avec Yves Brainville. Arrivé à Montréal, je récitais des poèmes dans un café tous les soirs. Je narre d’ailleurs cet épisode de ma jeunesse aux accents bohèmes dans "Café Prag”.

En tout, j’ai écrit huit pièces de théâtre, toutes montées et jouées à guichet fermé à Montréal. Deux de mes pièces sont de Marcel Pagnol, que j’affectionne particulièrement parce que ses personnages nous ressemblent tellement.

À l’instar d’André Azoulay, qui reconnecte non seulement politiquement, commercialement, mais aussi culturellement Juifs et Musulmans, j’aspire à être de ces juifs-là ! Comptez-vous adapter des pièces théâtrales en darija ? Lesquelles, et pourquoi ?

En effet, cela figure dans mes projets. La première pièce que j’ambitionne d’adapter est "Marius et Fanny”, de la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol (1929-1931), car elle contient tous les éléments comiques et dramatiques que j’aime, de ceux qui réveillent et font vibrer mon âme d’enfant. Je l’ai déjà adaptée en judéo-marocain avec succès.

Il me semble que pour un premier essai, c’est un choix idéal. Je proposerai d’autres pièces si la version en darija de « Marius et Fanny » rencontre le succès escompté auprès du public au Maroc et à travers la diaspora marocaine dans le monde. Ce serait un rêve qui se concrétise !

Bob Oré Art Fashion Gallery- Los Angeles.


Vous vous êtes également essayé au 7ème art et avez fondé une Galerie d’art contemporain à Los Angeles. On aurait presque du mal à vous suivre dans votre effervescence...

Ma mère, qui pouvait faire dix choses simultanément, toujours avec bonne humeur et abnégation, a sans doute beaucoup inspiré l’homme multiple et enthousiaste que je suis devenu, idéaliste et pragmatique à la fois. Cette polyvalence fébrile ne me pose donc aucun problème, d’autant plus que dans ma façon de concevoir la vie, mes passions et ma relation au monde, tout est lié, tout ne fait qu’un.

Concernant le cinéma, je m’y suis investi moins que le théâtre, et davantage par nécessité que par passion. Je venais à peine d’arriver à Paris. Mon rêve comme beaucoup de jeunes était de faire du cinéma, mais je n’ai aimé ni le milieu ni le manque de spontanéité inhérent au jeu sur grand écran.

J’aurais pu être comme Gad Elmaleh que j’adore, un « stand-up comedian » comme disent les Américains, mais Gad a pris ma place et je lui en veux jusqu’aujourd’hui. Cependant, comme il a du talent, je lui pardonne (rires) !

Vous avez également été un pionnier de la mode à Montréal et avez lancé récemment votre propre marque de sacs à main à Los Angeles. Comment est né votre intérêt pour ce domaine ?

Encore une fois, tout a débuté à Paris. Désœuvré et sans le sou, j’ai pu dénicher, malgré mon très jeune âge, du travail dans une boutique de vêtements de luxe sur les Champs Élysées. C’était le seul métier que je connaissais plus ou moins.

Arrivé à Montréal, je m’aperçois qu’on n’y a aucune idée de l’élégance et du raffinement vestimentaires à l’européenne. Un vide que j’ai tenté de combler en important des vêtements de luxe de France et d’Italie avec un succès qui m’étonne encore. Aujourd’hui, je continue à me nourrir de toutes mes passions : la mode, l’art, l’écriture et l’édition en créant des espaces multifonctionnels qui les réunissent tous. Une folie qui va marcher, je l’espère !

Avez-vous des projets pour le Maroc ?

Le Maroc reste au centre de mes préoccupations et de mes motivations, il demeure une grande source d’inspiration pour le créatif que je suis.

J’aime viscéralement ce pays et j’aime ses habitants. Voici d’ailleurs pour finir un poème, écrit par moi-même, que je lui dédie et que je dis souvent avec passion et avec amour.

On est toujours de son pays

Quoi que l’on dise quoi que l’on fasse

On traîne toujours sa nostalgie

Où que l’on vive ou que l’on passe

Je suis un escargot

Je porte ma maison

Je vais de ville en ville

Pour chanter mes chansons

Je suis une hirondelle

Partout je fais mon nid

J’emporte sous mes ailes

Un peu de mon pays

Ainsi qu’une colombe

Je livre tour à tour

Mes rêves mes espoirs

Mes chansons d’amour

Je n’ai plus peur du tout

Je n’ai plus peur de rien

S’il pleut sur ma route

Je change de chemin

Ainsi qu’un écureuil

Je garde comme des noix

Des souvenirs d’hier

D’aujourd’hui d’autrefois

J’emporte dans mes valises

Un peu de mes amis

J’emporte dans mes valises

Un peu de chaque pays

On est toujours de son pays

Quoi que l’on dise, quoi que l’on fasse

On traîne toujours sa nostalgie

Ou que l’on vive ou que l’on passe

Jamais jamais ça ne s’oublie

On est toujours

On est toujours de son pays

Bob Oré Abitbol