Peine de mort. Le débat reprend
La peine de mort. Un dossier pas facile

Le débat est de nouveau sur la table à l’occasion de la journée mondiale pour l’abolition de la peine de mort. Le droit à la vie pour tous, c’est l’appel lancé au nouveau gouvernement et au législateur marocain.

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« La peine de mort a-t-elle réduit le nombre des crimes graves ? La réponse est non ! » c’est en ces termes que Amina Bouayach, Présidente du Conseil National des droits de l’Homme a annoncé la couleur lors de cette rencontre organisée à Rabat, à l’occasion de la journée mondiale de l’abolition de la peine de mort. Une position anti-peine capitale qui n’est d’ailleurs pas nouvelle pour le CNDH. Déjà en novembre 2020, le conseil a jugé cette peine comme étant anticonstitutionnelle. Une conviction forte qui l’a poussé à appeler les autorités à voter en faveur de la résolution relative au moratoire universel sur l’application de la peine de mort. Ceci lors de la session de la troisième commission de l’Assemblée Générale des Nations-Unies.

L’article 20

« Abolir la peine de mort est juste une mise en œuvre de l’article 20 de la Constitution. Ce dernier stipule que la loi protège le droit à la vie en tant que droit premier de tout être humain » fait valoir Bouayach en appelant le législateur à ne pas résister au changement. « Optons pour la vie ! Car le fait de l’ôter n’a jamais été dissuasif. Il faut plutôt réfléchir à d’autres alternatives et d’autres moyens », ajoute-t-elle.

Pour Nouzha Skalli, Coordinatrice du Réseau des parlementaires contre la peine de mort, le droit à la vie est sacré. « Après la pandémie Covid-19, nous nous sommes tous rendus compte de la vraie valeur de la vie. Nous avons dû tout sacrifier : Notre liberté, nos relations sociales, notre confort financier parfois même notre bien-être pour préserver nos vies. Personne n’a le droit d’ôter celles des autres au nom d’une loi qui est en flagrante contradiction avec le texte constitutionnel » argumente Skalli. De son côté Abdellatif Reffoua, Président de l’Observatoire marocain des prisons (OMP), estime que l’abolition de la peine de mort est avant tout une question d’équilibre. « Pour y arriver il faut trouver, politiquement et socialement parlant, un équilibre solide entre la protection du droit à la vie et le maintien de l’ordre public ».

Exécutons-les !

Un sacré challenge pour le législateur marocain et pour le gouvernement fraichement nommé. Car la peine de mort n’a pas que des détracteurs. Il y a aussi ceux qui y sont favorables et ne ratent aucune occasion de l’exprimer. L’affaire du petit Adnane Bouchouf, violé et tué par un jeune ouvrier de 24 ans, l'a bien démontré. Un drame et un choc qui se sont traduits sur les réseaux sociaux par une pétition et un hashtag largement relayés, demandant la condamnation à mort du coupable. Vœux exaucés! Cinq mois après le meurtre, l’assassin de Adnane a été condamné à la peine capitale. Satisfaits, les internautes en ont alors appelé à son exécution effective pour expier son crime abominable.

« Aucune compassion ni pitié pour le meurtrier de Adnane. Il a violé son enfance, volé sa vie et anéanti la paix de sa famille à jamais. Seule sa mort pourra expier l’atrocité de son crime », écrit alors un internaute en réaction à l’annonce du jugement du tueur de l’enfant tangérois. Une colère et un dépit qui sont partagés par un grand nombre d’internautes. Ils n’ont d’ailleurs pas hésité à s’exprimer en appelant à l’application effective de la peine de mort. « Il ne suffit pas de prononcer ce jugement. Nous réclamons son application dans ce cas précis et à l’encontre de tous les tueurs d’enfants », soutiennent-ils à l'unanimité.

Tolérance Zéro

Même son de cloche du côté de Najia Adib, Présidente de l’association « Touche pas à mes enfants ». N’ayant de cesse de dénoncer la «mollesse» de la justice marocaine par rapport aux pédophiles, Adib se joint aux nombreuses voix appelant à l’application de la peine capitale contre les pédophiles. « Même pour les violeurs mineurs qui bénéficient souvent de circonstances atténuantes », explique, intransigeante, la militante associative. Ayant lancé il y plus d’un an une pétition visant la castration chimique des pédophiles, l’association «Touche pas à mes enfants» est passée à la vitesse supérieure suite au meurtre de Adnane.

Trêve de réclamations, l’association fait recours à la constitution pour procéder à une refonte de la loi par la force de la volonté du peuple. « Cette pétition est notre moyen pour changer la situation, refouler les prédateurs et protéger nos enfants», commente alors la Présidente. Au lendemain de la découverte du corps de Adnane à Tanger, l’association a lancé une nouvelle pétition sur les réseaux sociaux afin de collecter un million de signatures. Son but ? Appliquer la peine de mort contre les pédophiles. Même réaction, et même mobilisation après le meurtre atroce du jeune Zouhair Âabouda. Massacré et sauvagement mutilé par le violeur de sa sœur, Zouhair a également fait l’objet d’une exigence populaire de justice.

Considérée comme une vengeance plutôt qu’une punition, la peine capitale a toujours été rejetée par les activistes des droits de l’homme. Pour Dr Youssef Rabhi Belarbi, homme de loi et acteur associatif au mouvement "Alternatives", la peine de mort est « un châtiment dépassé qui n’apporte pas un réel réconfort », soutient-il. « Des peines de longue durée allant jusqu’à 30 ans de prison avec un accompagnement psychique pour les pédophiles, par exemple, nous semblent plus adéquates; Car respectant l’humanité du «criminel», la douleur des victimes et de leurs familles tout en faisant justice», ajoute-t-il.

De son côté Dr Souad Tiali, Professeur à la faculté de Droit de Fès et membre du Bureau Central de l’IPDF ( Initiatives pour la protection des droits des femmes victimes de violence) : « C’est un être humain qui a fauté. Certes ses actes sont condamnables, mais il doit malgré tout jouir de ses droits humains. La peine de mort n’est pas persuasive et n’a jamais prouvé son efficacité dans la limitation des crimes de toutes sortes», argumente la juriste.

Dans le couloir de la mort

Selon les chiffres officiels de la Présidence du Ministère Public, cités dans son dernier rapport annuel, il existe 74 détenus condamnés à mort dont une ou deux femmes. Ces personnes ont commis des crimes de différentes natures à l’encontre de 152 victimes. Même si les condamnations continuent à être prononcées ( 23 rien qu’en 2019! ), la dernière exécution remonte cependant à 1993 contre le commissaire Mustapha Tabit.

Le nombre des condamnés par cette peine continue de baisser comme l’affirme ce rapport. Ainsi, 197 personnes étaient condamnées à mort en 1993, contre 72 à fin 2019. En 26 ans, cette population a vu son nombre baisser de 63,4%. En 2019, un record a cependant été enregistré avec 23 condamnations contre une moyenne annuelle antérieure d’à peu près 11 condamnations par an. Ces détenus ont tué 25 victimes, dont 8 ont également subi des agressions sexuelles : 3 enfants et 5 adultes. Âgés entre 21 et 60 ans, 20 d'entre eux sont coupables d’actes de terrorisme. Une trentaine ont toujours la possibilité de faire appel via les recours juridiques tandis que 42 sont condamnés définitivement. Seront-ils exécutés ? Continueront-ils de profiter de cette « vie en sursis » ? ou seront-ils épargnés grâce à une éventuelle abolition de la peine de mort ? Affaire à suivre...