« Le Miracle de l’eau. Marrakech cité-jardin idéale » de Soad Belkziz
L'architecte, urbaniste et spécialiste du patrimoine Soad Belkziz présentant son livre "Le miracle de l'eau" au Musée de l'eau à Marrakech le 11 novembre 2021.

Connue pour ses travaux dans le cadre du programme « Marrakech, cité du renouveau permanent » (réhabilitation du Mellah et du circuit spirituel des sept saints...), l’architecte, urbaniste, géographe et spécialiste du patrimoine Soad Belkziz nous parle de son premier ouvrage « Le miracle de l’eau. Marrakech cité-jardin idéale ». Un livre qui traite de l’évolution urbaine de la Ville Ocre durant les siècles précédents.

Dans son livre, Soad Belkziz décrit la construction progressive des réseaux d’adduction d’eau qui ont existé sous la ville, retrace l’histoire de ce miracle tout en mettant en lumière l’un des systèmes hydrauliques les plus perfectionnés au monde, développé à la création de la ville : un procédé ingénieux de « khettaras » et de dérivations de séguias qui fit éclore dans cette cité aride une oasis aux jardins luxuriants.

L’auteur explique comment les Dynasties du Maroc modélisèrent leurs politiques urbaines en fonction du système hydraulique. Les monuments de Marrakech, rivalisant de beauté et de finesse artistique, tels que la Quobba almoravide, la fontaine Chreb ou Chouf ou la Mosquée de la Koutoubia, furent de véritables vitrines politiques.

Et si les dynasties du Maroc s’attachèrent à développer l’Art dans les lieux sacrés, il fut de même pour les points d’eau, témoignant de ce rapport intime et privilégié entre l’eau, la spiritualité et l’art.

Le Miracle de l'eau de Soad Belkziz.


De quoi parle votre livre ?

Le livre traite de l’évolution urbaine de Marrakech lors des siècles précédents et pendant le règne des dynasties qui se sont succédées au Maroc. Sur une terre aride, cette évolution a suivi le cheminement de l’eau du Haut Atlas vers la ville à travers le célèbre procédé des khettaras.

L’ organisation spatiale des quartiers et la structure même du tissu urbain suivaient un modèle reliant avec subtilité la dimension du sacré, de l’eau et de l’art. Le livre tente également d’expliquer le lien entre les différentes composantes.

Comment vous est venue l’idée de cette oeuvre ?

Elle a germé dans mon esprit en réalisant l’étude architecturale de sauvegarde de la médina de Marrakech en 2000 (restauration des fontaines...). Celle-ci s’est attachée à l’analyse urbaine ainsi qu’à son évolution, à l’identification du patrimoine et à l’identification de plusieurs actions visant à la revalorisation de la médina. Et en entamant ce travail de restauration, j’ai senti qu’il y avait un lien entre le système hydraulique et l’urbanisation.

Ce livre se veut complémentaire et intègre une donnée nouvelle mais fondamentale: l’eau! À Marrakech s’est développé un système hydraulique des plus perfectionnés au monde intégrant un procédé ingénieux de khettaras et de dérivations de séguias qui ont permis de résoudre un ensemble de contraintes communes aux zones arides.

En étudiant la période des Almoravides, j’ai découvert qu’un système hydraulique (Kettaras) existait au tout début de la création de la ville, à une époque où il y avait peu de relations avec l’Andalousie, il est donc fort probable que ce système soit venu d'Orient.

L'eau était acheminé des montagnes du Haut Atlas vers la ville à travers le procédé des khettaras.


Comment avez-vous construit votre livre ?

Il comporte un chapitre qui met en lumière l’importance de l’eau dans les sociétés arabo-musulmanes et son caractère sacré. Après ce premier chapitre explicatif, le livre est construit par période historique car chaque dynastie a apporté ses propres spécificités, lesquelles ont marqué l’organisation de l’espace et le tissu urbain.

La dynastie almoravide a, par exemple, construit l’espace de la ville selon le modèle radioconcentrique caractéristique des modèles primitifs arabo-musulmans, ce qui a permis entre autre de maitriser la gestion de l’eau. La dynastie almohade a, quant à elle, mis en place de nouveaux concepts d’organisation spatiale, liés à l’urbanisme princier car le prince ou le « calife » était l’élément fondamental du pouvoir. L’ eau à travers les fontaines constituait une vitrine importante de sa politique et l’art accompagnait son action en donnant naissance à des monuments d’une extrême beauté ! Les dynasties chérifiennes qui se succédèrent, la dynastie saâdienne et la dynastie alaouite placèrent le « sacré » au cœur de leurs politiques urbanistiques ; la ville entière devint un espace spirituel avec sa multitude de saints autour desquels gravitait l’organisation spatiale liant l’eau, le sacré et l’art !

Les jardins entourant la Koutoubia.


Pourquoi « le miracle de l’eau » ?

A l’époque, c’était l’âge d’or arabe, beaucoup de chercheurs avaient mis au point la méthode d’extraction de l’eau de la terre. Au XIème siècle, à la création de Marrakech, le grand savant Kharadji avait sorti un ouvrage sur la manière de procéder. On avait aussi le terrain qui était propice, une pente qui existait...les Almoravides avaient acquis un énorme terrain, on avait la disponibilité foncière...tous les éléments étaient réunis pour que naisse un tel miracle.

Pourquoi parlez-vous de Marrakech comme d'une cité-jardin idéale ?

je qualifie Marrakech de la sorte parce que c’est une ville qui a autrefois abrité énormément de jardins, et chaque dynastie avait bâti ses propres "Edens". Déjà à l’époque des Almoravides, il y avait de somptueux jardins, de grands bassins ; pendant la période des Almoahades, c’était l’âge d’or hydraulique, car en plus des « kettaras », ils avaient réussi à dériver les eaux de plusieurs oueds. Chez les Saâdiens, on avait les jardins « des mille et une nuits», que je décris en m’inspirant des poèmes de Abd Alaziz Al-Fichtali.

Et je dirais que Marrakech n’a pris sens de Ville Jardin qu’à l’époque Alaouite où il y en a eu une multitude. Le jardin lui-même avait évolué, : on y organisait des évènements culturels et artistiques, il était devenu un lieu de loisirs (Ex : jardin de l’Agdal).

Les fontaines saadiennes.


Quelle relation y-a-t-il entre l’eau, le sacré et l’art ?

D’une part, l’eau détient un caractère divin dans la culture arabo-musulmane. C’est le lien direct entre le ciel et la terre, ainsi qu'un don de Dieu, afin que tous en profitent. D’autre part, la médina est un espace spirituel riche de plusieurs saints, les Sabaatous Rijals. Le sacré y est donc omniprésent, y compris sur les fontaines. On y voit des versets coraniques et des louanges à Dieu, des arbres de vie et la représentation de différentes plantes et fruits du paradis. Enfin, les mosquées étaient les gardiennes de l’eau de la Médina puisqu’elles abritaient les citernes situées dans leurs Sahn.

Quelle est la valeur ajoutée de votre ouvrage ?

Mon expérience de quarante années sur le terrain m’a permis d’appréhender l’Histoire, l’évolution du tissu urbain mais aussi les caractéristiques de Marrakech et de sa médina.

Cette compréhension globale enrichie des restitutions de la ville sur plusieurs périodes, d’un travail cartographique complet et d’ouvrages historiques, m’a permise en tant que chercheuse de sortir des sentiers battus en exposant certaines hypothèses. En effet, la cartographie permet de faire converger l’ensemble des données recueillies, aussi bien urbanistiques, historiques qu’architecturales. A travers ce livre, je voulais donc restituer l’Histoire de la ville, montrer comment elle s’était urbanisée, quels étaient les efforts entrepris par chaque dynastie en matière d’eau potable et quels types de jardins y avaient été réalisés. J'explique d'ailleurs que les Arabes avaient très tôt dans leur culture ce désir de bâtir des jardins qui pour eux, symbolisaient le paradis.

Au 18ème siècle, à l’époque de « Nahda », il y a eu des échanges entre l’Occident et l’Orient que je qualifierais de Renaissance avec des influences réciproques. En Europe, on voyait émerger les turqueries, plusieurs jardins ressemblaient aux jardins d’Orient et vice-versa, certains rois arabes étaient influencés par les jardins de Versailles.

Les jardins saadiens


Plus d'un tiers de votre ouvrage est consacré à la période du protectorat. En quoi est-elle si importante ?

Mon but est de faire connaitre ses points positifs sur l’urbanisme de Marrakech. Certains acquis ont été oubliés et il est, à mon sens, essentiel de les rappeler.

Il y a malheureusement très peu d’écrits à ce sujet, même s'il y a eu de grands urbanistes-paysagistes à l’époque (Henri Prost, Jean Claude Nicolas Forestier...) qui ont introduit un modèle d’organisation spatiale incroyable. Ils ont démoli tout ce qu’il y avait autour de la Koutoubia et ont aménagé des jardins à la place pour en faire un repère urbain. Ils ont aussi réalisé de belles choses pour le quartier de l’hivernage...J’essaie donc de faire revivre tout cela.

Vous avez également réhabilité le quartier du Mellah et l’allée de sab3atou rijal de la médina de Marrakech ? Qu’est ce qui fait la réussite d’une restauration ?

Oui, c’est une réalisation dont je suis très fière. Lorsque l’on réhabilite un lieu donné, il ne faut pas se limiter à en réhabiliter les murs, il faut apporter un plus patrimonial. J’ai d’ailleurs proposé l’aménagement d’un musée à l’intérieur du site qui va certainement être réalisé dans un an. J’ai aussi mis en place des bornes d’information afin de sensibiliser les visiteurs et leur expliquer le patrimoine et tout ce qui se trouve autour de la place.

Les jardins luxuriants de Marrakech


Y aura-t-il une suite à votre livre ?

Certainement! Je porte un grand intérêt à l’urbanisme de Marrakech durant le protectorat, le mouvement culturaliste et les idées progressives d’Ecochard et « l'après » Ecochard. Il s’y est développé une réflexion très importante sur l’habitat social.