Said El Chrif « Plus de 400 conducteurs n’ont plus de visas. La situation sera encore plus grave dans un futur proche »
Said El Chrif, Président de l’AMTNIL

Les professionnels du transport international "chauffent leurs moteurs" et comptent bientôt mener une grève de 72 heures. Pour quelles raisons ? Quels impacts sur le secteur ? Quels sont les obstacles à lever ?....Explications du Président de l’Association Marocaine du Transport National, International et de Logistique (AMTNIL), Said El Chrif.



L'Observateur du Maroc et d'Afrique: Les professionnels du TIR comptent suspendre leurs activités pendant trois jours. Pour quel(s) motif(s)?

Said El Chrif: Le secteur vit une crise grave à cause du refus de deux consulats de délivrer les visas aux routiers marocains. La grève prévue les 21, 22 et 23 novembre prochains est donc un moyen d'exprimer notre colère et notre détresse. Cela fait un an que nous faisons face à des difficultés liées à l’octroi de visas Schengen de la part des autorités françaises et espagnoles. Au début, ces dernières ont limité la validité des visas à 3 mois au lieu d'une année ou deux. Ensuite, beaucoup de dossiers ont été rejetés sachant que chaque dossier de demande coûte entre 1.200 et 1.300 Dhs, non remboursables en cas de refus. Aujourd’hui, c’est devenu automatique : toutes les demandes sont refusées. L’attitude des services consulaires est incompréhensible, d’autant plus que les justifications de refus sont vagues et infondées, prétextant dans la plupart des cas l’insuffisance de garanties pour s’assurer du retour du conducteur. Un conducteur avec plus de 10 ans d’expérience et ayant obtenu son visa à plusieurs reprises. Résultats : plus de 400 d'entre eux n’ont plus de visas à l’heure actuelle et près de 200 camions sont à l’arrêt. La situation sera encore plus grave dan les prochains mois, car les visas de la majorité des conducteurs actuellement actifs, ne seront plus valables.

Pensez vous que cette grève pourrait régler le problème ?

Nous avons saisi le ministère du transport et celui des affaires étrangères, seulement rien n’a été fait. Nous n’avons pas d'autre choix que de passer à la vitesse supérieure pour nous faire entendre. Nous agonisons aujourd’hui. Et il est temps de trouver une solution à ce problème qui dure depuis un an.

Quel a été l'impact de cette décision sur l’activité et sur l’économie nationale en général ?

Cette situation constitue un réel handicap pour l’exécution de certaines opérations à caractère vital, notamment le transport de l'oxygène pour raisons sanitaires, des fruits et légumes vers certains pays européens, des équipements pour le secteur automobile....Outre la problématique liée à l’exécution de nos engagements envers nos clients, nous sommes contraints de payer des indemnités de retard pour défaut de mise à disposition des camions sur les lieux de chargement et retard de livraison. Nous devons aussi verser les salaires des chauffeurs malgré l’arrêt d’activité, sans parler des charges qui s‘alourdissent au fur et à mesure. Aujourd’hui, un camion à l'arrêt nous coûte entre 1.500 et 2.000 Dhs par jour. En tant qu’opérateur, je dispose personnellement d'un parc de 154 camions dont plus de 14 ne roulent plus. Je paie, en plus de toutes ces charges, 25.000 DH de leasing par mois pour chaque camion. Faites le calcul. En général, on compte plus de 145.000 voyages « aller » effectués par les transporteurs marocains à l’international par an. La France et l’Espagne s’accaparent la part du lion à côté d’autres pays comme la Belgique, le Portugal...Finalement, ce n’est pas le secteur TIR seul qui accuse le coup mais toute l’activité d'import-export. Certains opérateurs se voient forcés de faire appel à des prestataires étrangers pour exécuter leurs contrats. Une solution qui pourrait nous coûter cher à moyen et long terme.

En dehors de cette problématique de visas, y a-t-il d’autres obstacles qui freinent le développement du secteur ?

Ils sont nombreux mais l'un des plus flagrants concerne la franchise de carburant. Depuis le mois de juillet, les autorités espagnoles ont réactivé cette franchise datant de 1992 en imposant une pénalité variant entre 300 et 1000 euros aux camions ayant dans leurs réservoirs une quantité de gasoil dépassant les 200 litres. Contraints de se ravitailler en carburant espagnol (plus cher que le marocain), le produit marocain perd nettement en compétitivité alors même que l’Espagne est la porte d’entrée principale du Maroc vers le marché de l’Union européenne. Les résultats d’une étude effectuée par l'AMTNIL sont éloquents. En effet, pendant la campagne (période qui s'étale d'octobre à mai), le nombre de camions qui se rendent en Europe est estimé à 600 véhicules /j. La quantité de gasoil consommée pour un aller-retour vers l'Espagne avoisine 1 tonne 400 litres par camion, la quantité totale pour les 600 camions sera de 800t/j. Si on multiplie ce chiffre par 30 jours, le résultat sera de 24.000 tonnes/mois. Et 192.000 tonnes de gasoil pendant ces 8 mois. Avec un prix de 8Dhs/litre, le total sera de 1,5 MM Dhs. Cela fait perdre à l’Etat marocain quelques 5,38MM Dhs en matière de TIC pour l’achat du gasoil (3,5 Dhs par litre). Il faut aussi tenir compte de la TVA (10%) sur ce montant. C’est donc une mesure qui a non seulement un impact sur les opérateurs du secteur mais aussi sur les ressources de l’Etat.