Kaoutar Badrane. "Les droits de migrants se sont considérablement détériorés"
L'avocate et experte en droit international Kaoutar Badrane signe son nouvel ouvrage - Notes sur la législation en matière d'immigration.

Dix ans après la sortie de sa première publication : “Le Code de la famille au Maroc”, l’avocate experte en Droit international, Présidente de l’Association des Jeunes Avocats marocains en Italie et membre du Barreau de Bassano del Grappa, Kaoutar Badrane nous parle de son nouvel ouvrage intitulé “Notes sur la législation en matière d'immigration” sorti aux éditions Bibliothèque de l'Université (Libreriauniversitaria).

Qu’est-ce qui a motivé ce nouvel ouvrage et quelles en sont les thématiques principales ?

L'immigration implique l'entrée et l'installation dans un pays de personnes en provenance d'autres pays. Ces derniers temps, il y a eu une augmentation progressive et constante des flux migratoires vers l'Europe. Ils ont atteint leur pic en 2015. Pour cette raison, l'Union Européenne a dû faire des choix politiques visant à réguler le phénomène, afin de faciliter l'entrée dans de nouveaux pays par des moyens légaux et en même temps décourager les migrants à opter pour des voies illégales; Bien entendu sans perdre de vue la dignité humaine. Ma publication « Notes sur la législation en matière d'immigration » (Hints on immigration) a pour objectif principal d'analyser l'aspect juridico-bureaucratique de l'immigration, à savoir la législation concernant l'immigré en Italie, et ce, depuis son entrée (visa) jusqu’à sa permanence (titre de séjour) en passant par son intégration dans le tissu social avec la nationalité italienne, ou son expulsion. C’est un recueil simple et une analyse des règles régissant l’immigration.

Comment est née l'idée de ce livre?

En Italie, il y a aujourd’hui plus de 5 millions d'immigrés et ils représentent 8,5% de la population. En constante augmentation, l'immigration fait désormais partie intégrante du tissu italien et c’est pour cette raison que j'ai décidé d’écrire cet ouvrage où j’essaie d’approfondir les « racines » juridiques de l'immigration, comme je l'avais fait dix ans plus tôt avec mon livre « Le Droit de la famille au Maroc ».

Ce livre n'est que la base d'un travail plus large sur lequel j'oeuvre. Il s’agit d’une analyse normative du phénomène migratoire basée sur un travail comparatif des différents pays européens et extra-européens à partir du Maroc. Ce sera ma prochaine publication. Comment évaluez-vous la situation des migrants (et notamment des Marocains) en Italie aujourd'hui et dans l'Union Européenne ?

La situation de l'immigration en Italie et en Europe en général est très précaire en raison des débarquements continus, et surtout des entrées irrégulières. À ce niveau il faut une stratégie basée sur un « partenariat élargi » avec les États du sud du Maroc. Le Royaume est aujourd'hui un interlocuteur privilégié grâce à son « modèle » économique et politique intelligent initié par le roi Mohammed VI. Il y a aussi une immigration régulière, y compris notre communauté marocaine en Italie, parfaitement intégrée dans le tissu social italien et contribuant au produit intérieur brut de l'économie italienne ou d'autres pays hôtes.

Je crois en une politique migratoire européenne qui permettrait de travailler davantage sur des accords entre États en vue d'une gestion « proportionnée » et « co-responsable » du phénomène.

Pensez-vous que les droits des migrants ont régressé aujourd'hui par rapport aux années précédentes ?

Les droits de migrants se sont considérablement détériorés, surtout suite à la pandémie de la Covid et ce sont les chiffres qui l’attestent. En temps d'urgence, il y a eu une augmentation de 15-20% des étrangers exploités dans les campagnes, ce qui correspond à environ 45 000 personnes ; une détérioration des conditions de travail, une augmentation des heures de travail et du nombre d'heures travaillées non enregistrées plus une détérioration des salaires. En Italie, en 2020, pour parer à la situation, le gouvernement avait délivré une "emersione lavoro irregolare” permettant de régulariser plus de 621 000 travailleurs étrangers en situation irrégulière, mais l'initiative gouvernementale a échoué car seules 207 000 demandes de régularisation ont abouti. Cela signifie que les efforts entrepris par l'Italie en ce sens sont insuffisants. Il est nécessaire d'intervenir au niveau bureaucratique interne notamment en ce qui concerne la simplification, l'accélération et la numérisation des procédures. A titre d’exemple : les personnes qui ont demandé un titre de séjour il y a plus d’un an, -dans l'amnistie de mai 2020-, attendent toujours la conclusion de la procédure relative. Celle-ci est délivrée par une "machine bureaucratique" extrêmement lente, en raison aussi du manque criant de personnel travaillant dans les bureaux d'immigration de l’Etat.

Comment les nouvelles lois en matière d’immigration au sein de l’UE peuvent-elles garantir la dignité des migrants ?

Une politique migratoire européenne globale, fondée principalement sur la solidarité entre les États, doit être un objectif fondamental pour l'Union européenne. La politique d'immigration doit avoir une approche équilibrée pour aborder à la fois l'immigration régulière et irrégulière. Elle a besoin d'encore plus de dialogues et d'études de la situation de chaque pays. Elle manque d'uniformité, notamment en ce qui concerne le traité de Lisbonne, où les politiques en matière d'immigration sont régies par le principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités entre les États membres, y compris sur le plan financier (article 80 TFUE).

Quel message cherchez-vous à véhiculer en sortant ce livre ?

J'ai voulu fournir un outil simple qui explique les règles et lois d'immigration au personnel s'occupant des immigrés en Italie, mais aussi aux immigrés afin qu'ils connaissent leurs droits et leurs devoirs. Les personnes concernées trouvent beaucoup d'informations fragmentaires, je voulais donner un outil complet et utile pour ceux et celles qui souhaitent comprendre la législation italienne.

Que préconisez-vous pour résoudre le phénomène d'immigration ?

Je suis sûre qu'aujourd'hui nous avons des interlocuteurs valables, également à la lumière des récents accords entre l'Italie et le Maroc en matière judiciaire. La volonté de s'attaquer à la chose existe certainement dans mes deux pays, l'Italie et le Maroc.

Je fais confiance à nos institutions et à la gestion du phénomène migratoire pour trouver des solutions prenant en compte aussi et surtout les droits de l'homme.