Ayumu Watanabe au FICAM. « Je suis très sensible aux sentiments d’affection et d’attachement »
Lé réalisateur japonais Ayumu Watanabe au FICAM 2022.

Réputé pour son sens particulier du détail et son style accordant de l’importance aux émotions des personnages, le réalisateur japonais Ayumu Watanabe, venu présenter en avant-première son 2ème long métrage « La chance sourit à madame Nikuko » à la 20ème édition du FICAM, et grand admirateur des cinéastes Miyazaki et Takahata, partage avec nous sa passion pour le cinéma d’animation et évoque par la même occasion les thématiques qui l’animent le plus.

C’est la 1ère fois que vous venez présenter au FICAM vos deux longs métrages. Quelle est votre impression ?

Je ressens ici une forme de passion très vive pour l’animation, un engouement très profond pour l’animation et je suis très impressionné.


D’où vous vient cette passion pour le cinéma d’animation et qu’est-ce qui vous attire dans ce genre cinématographique ?

Cette passion remonte à mon enfance, où j’ai pu voir toute sorte de dessins animés japonais qui me plaisaient. Et puis, à la fin de l’adolescence, j’ai eu l’occasion de redécouvrir certains titres animés que j’avais vu étant enfant, et c’est la différence dans la perception aujourd’hui par rapport à celle que j’avais eu dans l’enfance, qui m’a amené à cet écart de perception. A cette époque-là, j’aspirais à travailler dans le domaine du cinéma et le fait de revoir des dessins animés, des films et des séries d’animation, et de constater à quel point ils me paraissaient différents de ce que j’avais gardé comme souvenirs. Et c’est cet impact différent et neuf de l’animation qui m’a poussé dans cette direction.

Que peut-on réaliser dans le cinéma d’animation et qu’on ne peut pas faire dans le réel ? Quelle est la valeur ajoutée de ce genre ?

D’abord, la chose très importante, c’est le caractère dessiné et le fait de passer par le prisme du dessin. En fait, représenter les choses par le dessin nous donne une très grande liberté, que ce soit en termes de stylisation, de style, de graphique ou de choix d’angles (qu’on peut représenter en animation et pas dans le réel). Il y a aussi le fait de représenter des choses qui n’ont aucune existence avérée et qui ne peuvent pas être capturées par la caméra. C’est donc toutes ces facettes et ce grand degré de liberté que nous apporte le dessin. Vous portez une attention particulière aux détails et aux émotions des personnages. Comment parvenez-vous à représenter ces émotions ?

Cet aspect de la représentation des émotions, c’est pour moi en permanence un objectif, un enjeu important qui fait l’objet de pas mal de souffrance de mon côté. Je travaille avec beaucoup de difficultés parce que, si on veut être explicatif et aller vraiment dans l’informations notamment dans l’ajout verbal, on peut aller très loin dans l’explication. Mais tout l’enjeu des émotions, c’est de savoir où s’arrêter dans les explications, trouver le bon degré d’explication sans aller très loin. Faute de quoi, si on explicite tout, l’émotion elle-même, devient quelque chose d’étouffant et de très plat.

La valeur ajoutée de l’animation réside aussi dans cet enjeu de la représentation des émotions, et ce qui me mobilise énormément d’énergie dans mon travail de mise en scène, c’est de représenter des émotions, en restant dans la mesure du possible, inscrit dans la dimension des impressions ou des sensations, c-à-dire sans passer nécessairement par une forme d’explication. Et donc, ça nécessite de réfléchir et de trouver des situations dans lesquelles placer ces personnages, pour qu’ils soient efficaces et trouver ces bonnes situations, c’est aussi un problème et une question qui nécessite un temps assez long de réflexion.

Vous êtes venus présenter votre 2ème long métrage « La chance sourit à madame Nikuko » qui est une adaptation du roman éponyme de Kanako Nishi. Pourquoi avoir choisi d’adapter cette histoire ?

En fait, c’est le comédien comique de légende au Japon Sanma Akashiya qui a eu l’idée d’adapter ce roman au cinéma ; il est d’ailleurs producteur du projet et c’est lui qui a eu l’idée d’acquérir les droits du roman. Lorsque le projet a pris une forme plus concrète, on a discuté de l’angle et de la manière dont on allait l’adapter en long métrage. Le producteur était très attaché à ce que le récit du film porte sur le lien parental, le lien entre parents et enfants, et moi, je voulais focaliser sur cet âge hyper sensible de l’adolescence, décrire cette jeune adolescente dans toutes les hésitations qui peuvent surgir à cet âge-là, à savoir son rapport au monde et aux autres. C’était comme une manière de montrer une porte d’entrée pour elle vers le monde de la société en général. Votre premier film « Les enfants de la mer » est une adaptation du Manga de Daisuke Igarashi. Quel rapport entretenez-vous avec les Mangas et pourquoi ce choix ?

L’idée a germé au studio 4°C, avec l’idée d’adapter cette BD en dessin animé, et on m’a proposé de travailler sur ce projet. Cette bande dessinée est portée à la base par un graphisme tellement incroyable et impressionnant que de façon évidente, imaginer de porter ce graphisme en animation recelait un très grand degré de difficultés. C’était pour moi un énorme défi improbable d’adapter ce récit de BD en dessin animé. En fait, on voulait éviter que ce processus ne corresponde à une forme de réduction, de simplification du graphisme et de la densité visuelle si frappante de la DB de départ.

Entre votre 1er et 2ème long métrage, est ce qu’il y a eu une évolution dans votre façon de travailler ?

La question première c’est : « que choisit-on de mettre en avant dans l’œuvre originale ? », donc, il y a d’abord un aspect de compréhension de l’œuvre de départ, qui détermine notre propre approche, notre ligne directrice et donc notre manière d’aborder le travail de l’animation. Par exemple, lorsque l’œuvre originale est une BD, il y a d’emblée tout un travail graphique, un ensemble d’aspects visuels qui sont fixés et qui déterminent ce qu’on va faire, dans cette idée de se rapprocher le plus possible, dans le travail d’animation, des caractéristiques qui sont celles de l’œuvre originale. En fait, il faut essayer de ne pas trahir ces éléments-là, dans le cas de « La chance sourit à madame Nikuko », il s’agit d’un roman à la base, alors pour peu qu’on ne trahisse pas les enjeux thématiques, on a beaucoup plus de liberté sur le plan graphique, on a aussi plus de plaisir à concevoir soi-même des graphismes de personnages, on n’a aucun repère de l’ordre graphique et donc, on est libre sans entrave. Contrairement au 1er film où on avait plus de souplesse, on avait des échéances fixes à respecter pour le dernier projet, -production et diffusion du film- et cela détermine bien sûr la qualité du rendu final. Selon vous, c’est quoi un bon film d’animation et à quoi êtes-vous sensible lorsque vous voyez un film d’animation ?

Il y a un certain nombre d’enjeux qui se posent également pour moi en tant que réalisateur de films d’animation et qui sont des priorités similaires. Un des aspects qui m’importent beaucoup, c’est de savoir si le film est porté par une cohérence thématique, par un sujet, par un contenu, et d’autre part, essayer de voir quelle peuvent être les raisons pour lesquelles ce film a été réalisé en animation ; et plus ces rasions sont claires plus le film est fort et gagne en force auprès du téléspectateur. Aujourd’hui, il y a une grande diversité dans l’animation sur le plan technique et formel, il y a toute l’infographie, les Muppets, les techniques de marionnettes, les mélanges de styles, ... Ce qui est important pour moi, c’est la cohérence entre le style et la technique adoptée et plus cette cohérence entre cohésion formelle et choix technique apparait clair, plus le film en ressort avec une force incroyable.

Quel conseil donneriez-vous à des jeunes qui souhaiteraient se lancer dans le domaine de l’animation ?

C’est un constat qui est valable dans n’importe quel domaine, et pour moi, tous les jeunes passionnés d’animation doivent se poser la question suivante : « pourquoi sont-ils portés par un tel engouent à l’égard de ce registre-là et quelles sont les raisons derrière l’engouement qui les porte ? » et même si ça peut être douloureux de mettre en lumière ces aspects-là, réussir à prendre conscience des raisons qui se trouvent derrière leur engouement, c’est ce qui leur permettra de reconsidérer le domaine en question, le champ pour lequel ils sont passionnés, et donc de le percevoir de manière neuve. Est-ce qu’il y a des réalisateurs que vous admirez et qui vous ont donné envie de suivre cette voie ?

Pour moi, l’œuvre des deux cinéastes Miyazaki et Takahata, l’emporte sur tout le reste. On peut les considérer comme assez proches parce qu’ils ont travaillé ensemble, dans des environnements très proches, et pourtant, ils ont laissé des œuvres très différentes, et je pense que si je n’ai pas été en contact profond avec leurs œuvres, à une époque où j’étais moi-même d’une grande sensibilité à ces sujets-là, je ne serais probablement pas devenu réalisateur de films d’animation.

Puis, il y a toutes sortes de rencontres avec plusieurs œuvres animées. L’idée c’est de s’interroger soi-même : « pourquoi on aime tant ce domaine ? pour quelle raison ça nous plait ? » et donc, lorsque je me pose ces questions, ça me ramène aux travaux de ces deux cinéastes.

Le fait d’avoir dans son parcours ne serait-ce qu’une œuvre qui soit une sorte de point de départ, une sorte d’étoile polaire pour des gens qui à leur tour, veulent rentrer dans ce même chemin de création, c’est quelque chose qui peut être un trésor que l’on peut porter en soi tout au long de sa carrière. C’est une façon de prendre conscience de son rapport à son propre champ de création.

Quelles sont les thématiques auxquelles vous êtes le plus sensible ?

J’ai toujours à l’esprit la dimension de l’affection, des sentiments d’affection ou d’attachement, et c’est lié au fait de savoir comment on peut trouver la générosité de pardonner ? Pour moi, c’est un aspect très important des relations humaines, c-à-dire à la fois la beauté de trouver cette générosité de pardonner et bien sûr la difficulté dans la quête d’une telle générosité. Des projets pour l’avenir ?

A moyen terme, un des sujets que j’aimerais mettre en forme, c’est de trouver le moyen de décrire certains personnages et leur profession de façon à parvenir à une nouvelle perception de leur activité et leur contribution à la société. J’aimerais mettre en lumière la contribution de professionnels, de gens sur lequel on a tendance à ne pas se retourner sur leur travail, et mettre en lumière l’apport commun et leur contribution à la société. Je pense aux redresseurs de rails par exemple qui ont entre leurs mains la vie des gens et pourtant, personne ne prête attention à leur travail !

Un autre sujet qui m’intéresserait, c’est s’attaquer à des contextes historiques en essayant de mettre en avant de nouveaux faits historiques, qui jusqu’à présent n’auraient pas été connus ou mis en avant, de manière à faire apparaitre, sous une autre facette, des périodes historiques qu’on connait de manière classique, et les mettre en lumière sous un jour nouveau.

Vous avez visité la médina de Meknès. Quelle a été votre première impression et est-ce que vous avez été frappé par certaines choses qui pourraient vous inspirer pour vos projets futurs ?

Ce qui m’a frappé c’est l’énergie en jeu dans la vie quotidienne ordinaire des gens dans la médina. Il y a vraiment une énergie du quotidien qui a ravivé en moi ma propre énergie vitale, ma propre énergie au quotidien et j’imagine parfaitement l’histoire des redresseurs de rails qui pourrait se passerait à Meknès, pourquoi pas ?