Anti-féminisme. La pilule rouge séduit les Marocains
Les jeunes marocains prennent la pilule rouge sans faire attention aux contre indications

La guerre des genres continue sur les réseaux sociaux comme dans la vie réelle. Le mouvement anti-féministe Red Pill arrive chez nous et séduit de plus en plus de jeunes marocains révoltés par « l’emprise féministe ».



« Prends the Red Pill et choisis d’être un homme, un vrai. Ne te laisse plus manipuler par les femelles et leurs manigances. Tu es le mâle Alpha, les femmes doivent être à ton service et non pas le contraire ! Reconnais enfin ta véritable valeur ! » c’est en ces termes choquants que l’un des adeptes du mouvement anti-féministe s’est adressé aux autres membres du groupe facebook marocain « Red Pill Maghribi II ». Comptant plusieurs milliers d’abonnés, ce groupe fermé facebook et bien d’autres continuent de drainer les nouveaux adeptes d’une idéologie profondément misogyne.

Suprématie masculine

Déjà pour y accéder, il faut répondre à des questions qui se veulent sélectives : « Red Pill est-il un mouvement contre la femme en général ? Le mariage avec une femme active, vous êtes pour ou contre ? »... autant d’interrogations qui sont assez révélatrices des orientations masculinistes et franchement antiféministes du groupe et de ses administrateurs. Si depuis les années 90, la Pilule rouge désignait sur le web l’action « d’ouvrir les yeux » à un autre internaute et s’appliquait plutôt au domaine politique via les discussions virtuelles et les forums, l’expression a été détournée par l’extrême droite américaine de ce premier contexte. Aujourd’hui prendre « the Red Pill » consiste à embrasser une idéologie prêchant la supériorité masculine et blanche. « Beaucoup de jeunes Marocains ont été séduits par elle sans vraiment comprendre ses préceptes néo-nazis basés sur l’exclusion, la haine et la peur de l’autre. Ils ont trouvé dans ces idées un écho à leur propre misogynie », explique Réda Al Bahi, chercheur en sociologie de l’image.

Un constat confirmé d’ailleurs par les propos et les posts haineux des pro-Red Pill. « La plupart des théories du Red Pill sont basées sur la sociologie et la psychologie évolutive. Son objectif principal : Préserver la dignité de l’homme et sa suprématie dans la société. Trêve de concessions et de tolérance avec les lois favorisant les intérêts du féminisme destructeur et des femmes en général » argumente Karim El Ghazi, l’un des administrateurs du groupe aux milliers d’abonnés. « Nous devons nous libérer de cette injustice, de cette idéologie féministe qui nous prive de beaucoup de nos droits et laisse les femmes tenir les rênes de la société. Le mâle Alpha doit reprendre les choses en main », ajoute, avec véhémence, l’administrateur.

Pink Pill

Un jargon assez spécifique qui renvoie à la jungle et rappelle un combat pour la survie. « Les « red pillistes » attaquent toutes les femmes qu’elles soient actives ou non. Leur rage est sans limite et leurs critiques sont fausses et erronées. Ils oublient que la femme est la plus grande perdante actuellement : Elle doit assurer au travail en tant que femme active et accomplir en parallèle ses devoirs familiaux en tant que mère et épouse » répond Hind Benaissa, sur le groupe féminin anti-Red Pill, « Pink Pill ». Des attaques et des ripostes qui entrent dans le cadre de la guerre des genres qui se déclenche de temps à autres sur les réseaux sociaux pour « exorciser » les conflits homme/femme de la vie réelle.

« C’est l’effet de meute. Chaque individu a une histoire sentimentale personnelle qui est en rapport étroit avec son éducation. Chacun a un model parental qui influencera ses relations futures avec le sexe opposé. Ce sont des valeurs qui sont transmises par les aînés de la famille (père, mère, grands-parents...) et qui dicteront son comportement avec autrui » nous explique Maria Bichra, love coach. « Sur les réseaux sociaux et leurs groupes, les anomalies prennent de l’ampleur car exaltées par l’effet de meute. On se sent protégé par le groupe, de ce fait on se donne du courage et on se permet des agissements extrêmes parfois » ajoute-t-elle.

Le fossé

Un « semblant de pouvoir» doublé d’une « éternelle incompréhension » entre hommes et femmes qui donnent lieu à un profond conflit. « De par mon travail avec les couples marocains, je constate l’ampleur du fossé séparant les partenaires. Manquant affreusement d’outils pour communiquer avec l’autre, ce dernier est souvent représenté de manière erronée», explique la love coach. Méconnaissance, irrespect, manque de confiance en soi et en l’autre, désamour...

Beaucoup de relations homme/femme chez nous sont minées de l’intérieur. D’après Maria Bichra, les Marocains auraient besoin d’une véritable rééducation à l’amour dans son sens absolu : Amour de soi et amour de l’autre. Pour Mustapha Massid, psychologue clinicien et auteur de plusieurs livres, cette guerre est très significative car reflétant une réalité humaine caractérisée par ce conflit qui existe entre hommes et femmes depuis la nuit des temps. « La guerre des sexes a connu différentes étapes tout au long de l’Histoire. A l’ère où l’homme détenait le pouvoir absolu et la femme était soumise, il y avait déjà une guerre froide qui se manifestait par des actes insidieux de part et d’autre. Avec l’apparition des droits de l’Homme et l’émancipation féminine, on assista alors à une guerre des sexes menée par des mouvements qui se disaient féministes ou masculinistes » analyse le psychologue.

Selon ce dernier, le contexte arabo-musulman en général et le contexte marocain en particulier ne sont pas épargnés par ce marasme social. « Si les réseaux sociaux représentent un espace de partage d'idées et de discussions, ils révèlent aussi ses côtés abusifs plus ou moins graves tel que la diffamation, le harcèlement. La grande animosité entre genres dans le contexte marocain n’a fait que trouver un espace propice à sa déflagration sur la toile » note le spécialiste. Une fracture entre homme et femme qui a toujours existé aussi bien chez nous qu’ailleurs, comme l’affirme Dr Massid. « La cause étant souvent une religion mal interprétée, un héritage ancestral et de fausses croyances dont plusieurs d’entre nous n’arrivent pas à se défaire. C'est sans parler de l’influence des autres cultures favorisée par la grande ouverture virtuelle » conclut le psychologue.