« Le leadership féminin au Maroc : de l’invisibilité à la visibilité »
Compte rendu des progrès et des facteurs de résistance.

Le think tank marocain Policy Center for the New South vient de publier un rapport consacré au leadership féminin au Maroc. Ce document de référence, dirigé par la Senior Fellow Nouzha Chekrouni, ancienne ministre de la Condition féminine et ancienne ambassadrice du Maroc au Canada, ne fait pas seulement le point sur deux décennies de réformes.

« Entre visibilité et invisibilité », le sous-titre du rapport manifeste un constat, mais aussi une intention : rendre visibles les progrès faits depuis 20 ans, tout en pointant sans complaisance les facteurs de résistance, par le biais « de regards croisés, explique Nouzha Chekrouni, entre hommes et femmes, entre générations et entre disciplines ».

L’ouvrage, rédigé par 16 auteurs dont 10 femmes, présente une analyse riche et variée dans ses approches, qui vont des études de cas sur la migration circulaire des cueilleuses de fraises en Espagne aux témoignages de femmes, en passant par des analyses académiques signées par des universitaires de renom. Le rapport est construit en trois parties, l’une sur « Une société en mouvement ? Mutations, résistances et reconfiguration », la seconde sur les « Inégalités réelles ou supposées : l’après réforme du Code de la famille », et la troisième sur les « Acteurs en présence : espace, enjeux de représentativité et action collective ».

Droit, histoire, société, religion : une approche multidisciplinaire

La richesse des contributions distingue le rapport, avec par exemple la constitutionnaliste Nadia Bernoussi, qui propose une radiographie critique de la difficulté d’appliquer dans les faits la nouvelle Constitution de 2011, qui consacre le principe de parité et d’égalité. Elle en identifie clairement la raison : « Certes, des acquis tangibles ont été constitutionnalisés. Pour autant, fidèles à un réflexe identitaire, certaines de ces dispositions « universalistes » ont été relativisées par le recours à des tempéraments culturalistes ».

Jaafar Ben El Haj Soulami, professeur à l’Université Abdelmalek Essaadi, revient sur les femmes de pouvoir oubliées de l’histoire du Maroc, avec la figure historique de la « Noble Dame » qui fut la gouverneure de Tétouan de 1525 à 1542.

De son côté, Farid el Asri, Directeur du Center for Global Studies de l’Université Internationale de Rabat, passe au crible les perceptions autour de la femme en Islam – un sujet sensible et central, abordé ici avec brio – avec un regard sur le texte religieux et une dimension historique et sociologique : « Les inexactitudes, écrit-il, habitent un regard (musulman ou non) chargé de panégyriques encensant ou de protectionnisme entriste à l’égard de l’autre sexe. (...) Il est entendu que les femmes dont il est question ne sont pas absentes, passives ou muettes dans les sociétés en mouvement. Elles sont sujettes de leurs histoires, qu’elles écrivent à la première personne ».

Avancées rapides et notables dans le secteur public

Portées par une volonté politique forte, des réformes se succèdent depuis 20 ans, avec des résultats dans le secteur public. Alors que les filles sont scolarisées, les femmes représentent aujourd’hui plus du tiers des effectifs de la fonction publique, et présentes dans les plus hautes sphères de l’État.

Comme le rappelle le Senior Fellow Abdelhak Bassou, le Maroc compte 7 femmes ministres sur 24, soit 30 % depuis 2021 – contre 4 seulement dans le gouvernement précédent. On ne le sait que trop peu hors des frontières du Royaume : trois des plus grandes villes du Maroc, Rabat, Casablanca et Marrakech sont dirigées par des femmes. Comme si Paris, Lyon et Marseille l’étaient aussi en France.

En outre, le nombre des femmes au Parlement a connu une évolution significative, passant entre 2011 et 2021 de 67 à 96 députées sur un total de 395 sièges – soit 24 % des représentants du peuple aujourd’hui. Ce qui place le Maroc au 98e rang mondial sur 187 au classement de l’Union interparlementaire (UIP).

Résistances sociétales et paradoxe marocain

Le rapport traite en outre des résistances sociétales, liées « à des interprétations passéistes », explique Nouzha Chekrouni. D’où la difficulté de l’application de l’article 49 de la Moudawana, sur la séparation des biens lors du divorce, comme l’analyse l’économiste et Senior Fellow Larabi Jaïdi.

Nasma Jrondi, experte en développement durable, s’interroge dans un chapitre intitulé « Quelle est la place du leadership féminin dans une société régie par les codes masculins ? ». Elle traite d’un paradoxe marocain, qui voit une majorité de jeunes femmes inscrites dans les universités du pays, mais un taux de participation sur le marché du travail en baisse. « Le taux de féminisation des actifs occupés en 2020 est de 21,5 %, contre 26,7 % en 2010 et 27,1 % en 2000 (HCP, 2021). Cela veut dire que non seulement le taux d’activité des femmes baisse d’année en année, mais que cette baisse s’accélère. Ce qui est désolant pour un pays en voie de développement qui a besoin de toutes ses forces vives pour se développer ».

S’il faut se méfier des statistiques, qui ne prennent pas en compte l’activité des femmes rurales ni celles des femmes opérant dans le secteur informel, leur insertion dans toutes les strates du marché du travail, y compris à des postes de responsabilité, relève désormais, conclut Nouzha Chekrouni, du « projet de société, un agenda collectif qui concerne aussi bien les hommes que les femmes ».