Tutelle des enfants du divorce, la grande injustice
Les enfants sont les grands perdants dans cette problématique de tutelle légale

La Moudawana serait-elle en profond décalage avec la réalité sociale actuelle ? C’est apparemment le cas selon les juristes et activistes des droits des femmes et des enfants…



« Je ne veux pas célébrer la fête des mères ! Je veux surtout célébrer leurs droits. La mère n’a pas besoin d’une phrase ou de quelques mots postés sur les réseaux sociaux. Elle a besoin de protéger ses droits et ceux de ses enfants. Elle a besoin d’égalité avec le père. Cette même égalité que l’on se targue souvent d’avoir mais qui n’existe pas en réalité ! ». C’est en ces termes que l’actrice et modèle Fati Jamali a exprimé sa colère sur sa page instagram à l’occasion de la fête des mères, célébrée le 29 mai. Un ras le bol qui a relancé le grand débat à propos de l’injustice légale dont sont victimes beaucoup de femmes divorcées.

Vous avez dit égalité ?

« Si je suis privée en tant que mère du droit de demander une carte nationale ou un passeport pour mon enfant sous prétexte je suis une femme, je crois que l'on est bien loin du principe d’égalité. On prétend qu’une femme peut s’enfuir avec son enfant. Et le père donc, n’est-il pas également capable d’un tel acte ? C’est une aberration qui accentue l’inégalité des droits entre le père et la mère et approfondit la stigmatisation et la diabolisation des femmes divorcées » s’acharne l’actrice. Cette dernière affirme d’ailleurs que depuis son divorce, le père de son enfant est aux abonnés absents et qu’elle est la seule à subvenir à ses besoins.

Une situation qui, selon elle, la met comme beaucoup d’autres femmes marocaines au pied du mur, lorsqu’il est question de procédures et de démarches administratives. « La loi marocaine est profondément injuste envers les femmes divorcées. Ces dernières n’ont même pas le droit d’obtenir des pièces d’identité, pour leurs enfants sans la permission du père, qui peut parfois en profiter pour les faire chanter. Elles ne peuvent pas refaire leurs vies avec un autre homme sans perdre la garde de leurs enfants. Même lorsqu'elle veut immigrer afin de chercher un travail, une femme divorcée doit perdre ses enfants, tandis que l’homme est libre et ses droits restent intacts » s’insurge de son côté Ihssan Elhijazi El Badraoui.

Loi décalée

Un calvaire que beaucoup de femmes divorcées expérimentent au quotidien sans pouvoir le changer à cause d’une loi inadaptée comme l’explique Zahia Ammoumou. Selon cette avocate œuvrant auprès des femmes victimes de violence accompagnées par l’association Tahadi pour l’Égalité et la Citoyenneté (ATEC), au bout de 18 ans d’application, le code de la famille devrait évoluer. « La loi ne suit pas les mutations sociales. Elle est loin de l’esprit de la Constitution de 2011 et des conventions internationales des droits humains signées par le Maroc », affirme l’avocate.

Une vingtaine d’années après son entrée en vigueur, la Moudawana aurait montré ses limites selon les activistes féministes. L'Union de l'Action Féminine (UAF) ne cesse de pointer du doigt les graves lacunes de sa mise en application. « Celle-ci engendre beaucoup de contradictions et de problèmes graves. L’exemple le plus éloquent reste la garde et la tutelle des enfants en cas de divorce » regrette Zahia Ammoumou. Notant le caractère délicat et l’impact d’une telle injustice sur la vie des femmes divorcées mais surtout sur l’avenir de leurs enfants, les acteurs associatifs plaident pour la concrétisation des dispositions des conventions internationales ratifiées par le Maroc et celles de la Constitution. « Il faut faire prévaloir le principe de la parité, prôné par la constitution. Ce principe est bafoué par plusieurs dispositions du Code de la famille comme la tutelle légale sur les enfants », critique Bouchra Abdou, Directrice de l’association Tahadi pour l’Égalité et la Citoyenneté.

Tutelle légale

Figurant en tête du cahier revendicatif du mouvement féministe, la tutelle légale des enfants reste l’un des points les plus problématiques juridiquement parlant. Ainsi, comme nous l’explique l’avocate, la notion d’autorité parentale partagée n’existe pas en Droit marocain. « Selon la loi, la mère n’accède à la tutelle légale sur ses enfants mineurs que sous certaines conditions très restrictives. Et ceci est valable qu’elle soit toujours mariée au père ou divorcée » détaille l’avocat Réda Mesnaoui.

Ainsi, selon la loi, une mère n’a pas le droit de faire une demande d’obtention de passeport pour ses enfants mineurs. Seul le père peut procéder à cette démarche. Autre point épineux que la Moudawana cautionne, « la déchéance du droit de garde de la mère si cette dernière se remarie. Si elle décide de refaire sa vie avec un autre homme, elle perd automatiquement la garde de ses enfants » ajoute Mesnaoui. Injuste ? Les associations féministes ainsi que celles défendant les droits des enfants trouvent que ces lois ne sont nullement adaptées à la nouvelle réalité sociale marocaine.

Vivement la réforme

Œuvrant pour le changement, l’UAF a lancé une campagne pour la révision du Code de la famille dans le but de « le mettre en adéquation avec le principe de l’équité des droits ». Dans un message adressé à la conférence des Ministres des pays de l’Isesco en février 2018, le Roi Mohammed VI avait évoqué la nécessité d’une « évaluation propre à corriger les insuffisances révélées par la pratique pour accompagner l’application du Code de la famille ».

Des insuffisances qui plombent l’existence de beaucoup de familles et brisent beaucoup de destins. « Je suis désespérée et fatiguée. Je suis divorcée depuis 7ans et j'ai deux filles. Le père a une double nationalité. Toujours absent et irresponsable sur tous les plans. Il disparaît pendant plusieurs années pour réapparaître et les perturber en jouant les victimes. Comme mes filles ont la nationalité américaine aussi, je ne peux ni leur faire un passeport marocain, ni un passeport américain sans son aide » raconte cette internaute accablée en réponse au post de Fati Jamali. « C'est sans parler de ma souffrance financièrement parlant. J'ai entamé un procès de « tanfid A'nafa9a » ( pension alimentaire) qui ne dépasse pas les 1200 dhs pour les 2 filles. De l'argent que nous n’avons jamais touché. Nous vivons un véritable calvaire » ajoute cette mère en détresse.

Rappelons que selon la Moudawana, la pension alimentaire ( A’nafaqua) sert à subvenir aux besoins de l’enfant comme: l’alimentation, l’habillement, les soins médicaux, l’instruction et tout ce qui est considéré comme indispensable. « L’évaluation de la pension s’effectue en tenant compte des revenus de la personne astreinte à celle-ci, de la situation de l'ayant-droit, du cours des prix et des us et coutumes dans le milieu social dans lequel elle est due » nous explique Driss El Menouar, Juriste et Doctorant en Droit privé. Pour préserver les droits de l’enfant, l’article 85 prévoit que « les droits à la pension alimentaire dus aux enfants sont fixés conformément aux articles 168 et 190 en tenant compte de leurs conditions de vie et de leur situation scolaire avant le divorce ». « Le législateur a fait en sorte que les enfants ne subissent pas les préjudices matériels de la séparation » précise le juriste.

Prémices

« Pourtant les tribunaux accueillent tous les jours des cas d’enfants et de mères privés de leurs pensions alimentaires ou dont la valeur est parfois sous estimée par rapport aux véritables ressources financières du père » nous explique Bouchra Abdou qui met l’accent sur la violence économique subie par les femmes et leurs enfants suite au divorce. Pour Zahia Ammoumou, les juges, les juristes et les activistes de la société civile et des droits humains doivent tous œuvrer en faveur du changement, « car il est question de l’avenir et de l’intérêt de beaucoup d’enfants et de femmes », alerte-t-elle.

L’appel de l’avocate sera-t-il entendu ? En tout cas, lors d'une première judiciaire, la Cour administrative de Rabat a ordonné, en mars 2022, la levée en urgence du secret bancaire sur les comptes d’un père pour évaluer ses véritables ressources financières.

Privilégiant l’intérêt supérieur de l’enfant, le tribunal a ainsi autorisé la consultation des comptes de celui-ci; en vue d’une augmentation de la pension alimentaire de ses deux filles. Une jurisprudence qui a largement été saluée par les activistes des droits humains et de la protection de l’enfance. « C’est un exemple à suivre ! Nous espérons que ce type de décisions sera généralisé et mieux encore que la levée du secret bancaire sera obligatoire et systématique dans les affaires de pension alimentaire, afin de mettre fin à beaucoup d’injustices » commente alors la Directrice de l’ATEC.

« Le Code de la famille de 2004 est le premier texte législatif marocain à s’intéresser directement à l’enfant. Plus de soixante-dix articles lui font référence sous diverses appellations » note Driss El Menouar. Mais l’existence de ces textes de loi est-elle garante d’une véritable protection au sein de l’institution du mariage ou en dehors ? Une question en suspens et un combat de longue haleine pour la société civile, mais surtout pour les mères privées de leurs droits les plus élémentaires.