Talal Selhami. « Je voulais faire un vrai film de monstres »
Le réalisateur, scénariste et producteur Talal Selhami

Le réalisateur, scénariste et producteur Talal Selhami nous parle de son 2e film « Achoura : la nuit des enfants ». Un long métrage fantastique qui puise dans les traditions purement marocaines pour proposer une œuvre de genre débordante d’humanité et de sincérité. Produit par Lamia Chraïbi, le film qui met en scène Sofia Manousha, Younès Bouab, Yann Gonzales et Omar Lotfi, sort en salles le 12 octobre 2022.

Comment est née l’idée du film ?

L’idée du film est née de l’envie de faire comme une sorte de réponse à mon premier long métrage « Mirage » qui était un film fantastique à petit budget. L’idée était donc de réaliser quelque chose de plus ambitieux, de plus spectaculaire, de m’exercer aussi à un cinéma que je n’avais pas pratiqué avant, c-à-dire, un film avec des effets spéciaux, ou avec une créature sur un plateau. L’idée est née aussi de cette envie de proposer autre chose au spectateur marocain, et de faire un vrai film de monstre parce que c’est un cinéma que j’aime particulièrement, j’ai toujours aimé les effets spéciaux depuis que j’étais tout petit.


Pourquoi le Djinn de Achoura ?

J’ai choisi de parler du Djinn de Achoura parce qu’il fallait que ça réponde aussi à quelque chose de local, et nous, au Maroc, on a un terreau de contes et de légendes qui se transmet généralement oralement. On est très peu dans le pictural dans notre culture, et donc, je voulais répondre à cette problématique du 21e siècle, qui consiste à tout passer par l’image. Je voulais transmettre ainsi cette partie de notre culture et de la traduire en image. On a donc inventé ce Djin qui est basé sur des croyances populaires, comme celles où les Jnouns apparaissent dans les endroits maléfiques. D’ailleurs, on raconte dans notre histoire que le Djin est apparu pendant le protectorat, à une époque où les Français faisaient des choses immorales dans une maison qu’ils occupaient, -d’où la maison un peu colonialiste dans le film.

Aussi, lorsqu’on cherchait un nom au Djin de notre histoire, on voulait s’inspirer de « Boughattat », on a fait plusieurs recherches, mais on a trouvé très peu d’éléments dans les livres ou sur internet à ce sujet. Du coup, ce qu’on a trouvé sur Boughattat, on l’a réutilisé d’une autre façon : dans nos croyances, cette créature maléfique renvoie au Djin qui crée la paralysie du sommeil ; on s’est alors servi de ce nom un peu connu pour le transformer en autre chose, plus accessible au plus grand nombre de spectateurs, qu’ils soient nationaux ou internationaux. Qu’évoque le genre fantastique pour vous ?

Pour moi, c’est un genre très précieux, parce que c’est un peu le genre qui m’a fait tomber amoureux du cinéma quand j’étais adolescent. Je consommais à l’époque beaucoup de films fantastiques, je regardais le cinéma de Spielberg, de Joe Dante, de Paul Verhoeven (Robot cop ...), John Carpenter, ... Ce sont des cinéastes qui m’ont inspiré et m’ont donné envie de faire du cinéma, parce que grâce au fantastique, tout est possible, on sort de notre quotidien, c’est un univers où l’homme peut se transformer, peut voler, ... C’est un cinéma qui est du domaine de l’imaginaire et je pense qu’on a besoin d’imagination dans notre société et nos sociétés en général, c’est quelque chose d’essentiel pour faire face à la réalité.

Je voulais également proposer un film différent au spectateur marocain. On a beaucoup de comédies au Maroc qui marchent très bien et qui trouvent souvent leur public, on a du cinéma d’auteur qui est plus destiné aux Festivals, avec des films qui sont des grands succès critiques, et qui rayonnent à l’étranger. Moi, je voulais proposer aux spectateurs marocains un film populaire, différent de ce qui existe chez nous, et pourquoi pas élargir ce spectre à d’autres genres, comme l’horreur, le western, le thriller ou le polar, ...des genres qu’on traite parfois de façon éloignée mais qu’on assumerait plus, comme avec « Achoura ». Est ce qu’on tourne un film fantastique comme les autres films ? Quels sont les difficultés que vous avez rencontrées ?

La façon de filmer est un moyen pour raconter notre histoire, il y a différentes façons de filmer un long métrage fantastique, ça dépend de ce qu’on veut raconter et comment on veut le faire. Dans notre cas, on a joué avec des codes, parfois, on a essayé de les briser, on a évité certaines scènes dont Hollywood est très friand comme lorsque le spectateur sursaute quand quelque chose apparait subitement à l’écran et que le son monte. Nous, on a essayé de faire un film plus atmosphère, avec des plans qui prennent un peu plus leur temps, avec des personnages qui ne sont pas toujours bavards. On a aussi essayé de jouer avec des scènes de spectacle parce que pour moi, Achoura, c’est plus un film fantastique qu’un film d’horreur où les personnages vivent une aventure, malgré la tragédie dont ils sont victimes.

Le fillm Achoura de Talal Selhami sort en salles le 12 octobre 2022.


Et concernant les effets spéciaux ?

On a connu des difficultés avec les effets spéciaux parce qu’on a été précurseurs là-dessus. On voulait faire un film avec beaucoup d’effets spéciaux, on avait 250 plans, ce qui est très coûteux. Au début, on a fait appel à avec un studio de post production au Maroc qui malheureusement n’a pas honoré ses engagements. On a dû à mon grand regret, exporter les effets spéciaux et les faire à l’étranger.

On avait des exigences techniques, surtout pour le spectateur. Aujourd’hui, même le spectateur marocain est devenu très exigeant, il regarde plein de films de tous les pays, américains, asiatiques ... qui répondent à des standards internationaux. On ne voulait pas que nos effets spéciaux paraissent « cheap », on était trop ambitieux par rapport à notre réalité, mais je trouve qu’on s’est plutôt bien sortis. Pour ce qui est du casting, pourquoi le choix de Younes Bouab, Sophia Manousha, Omar Lotfi, Yann Gonzales ... ?

Pour Omar Lotfi, j’avais déjà travaillé avec lui sur « Mirage » où il a incarné avec brio un rôle qui était assez particulier, et je voulais réitérer l’expérience avec lui dans « Achoura », je l’imaginais déjà pendant l’écriture du film, c’est vraiment un rôle taillé sur mesure pour lui. Un directeur de casting m’a présenté Sophia Manousha, on s’est rencontré deux fois puis on a décidé de travailler ensemble parce qu’on s’était entendus sur pas mal de choses ; elle avait une belle énergie et je me suis dit qu’elle serait bien dans le rôle de Nadia.

Younès Bouad est un comédien complètement dévoué à son travail, qui pose plein de questions, très philosophe, passionnant, j’ai eu un grand coup de cœur émotionnel avec lui.

Yann Gonzales avait travaillé dans les films de mon ami Xavier Jean et je me suis dit qu’il allait être parfait pour le rôle qu’il incarne. Aujourd’hui, je suis très fier du résultat, je trouve qu’il y a une certaine alchimie qui marche très bien à l’écran, et je suis très reconnaissant de leur travail. Vous êtes sensible aux thèmes de l’enfance et à la perte de l’innocence. Pour quelle raison ?

La chose qui m’obsédait le plus, c’était de grandir et d’oublier l’enfant que j’ai été. Ce sentiment est incarné par cette créature qui nous dévore dans le film et dévore notre enfance d’une certaine façon parce que quand on grandit, on a les choses de la vie qui arrivent, il y a la responsabilité, parfois, on est pris par notre travail, on commence à avoir des enfants...et finalement, on s’éloigne de cette enfance, on a tendance à oublier qui on était et à perdre ce regard un peu naïf et innocent qu’on avait. On a du mal à comprendre et à oublier notre propre enfance et ce qu’on a vécu. Du coup, on a du mal à comprendre nos propres enfants et nous placer à la hauteur de leur regard. On est un pays particulièrement jeune et c’est aussi cette idée de faire attention à notre jeunesse, et de se mettre à sa place et d’être attentif à leurs préoccupations.

Achoura de Talal Selhami met en scène Sofia Manousha, Younès Bouab, Yann Gonzales et Omar Lotfi.


Quels sont vos projets futurs ?

Je fais un nouveau long métrage avec Lamia Chraibi qui était la productrice d’Achoura. C’est un huit clos, quelque chose de beaucoup plus serré, un film de personnages qui ressemblerait plus à mon 1er long métrage Mirage. C’est une sorte de film d’horreur psychologique qui est en phase d’écriture actuellement.

J’ai aussi un projet de série historique qui me tient à cœur et que je co-écris avec Jaouad Lahlou. C’est un projet qui est plus dans la veine de « Achoura » et qui consiste à rendre notre culture très populaire. C’est un peu cette idée d’utiliser de la Pop culture, ce que font très bien les Américains, les Espagnols ou aujourd’hui les Sud-coréens. En fait, il s’agit de vulgariser le cinéma à l’international par le biais du genre, ne pas faire des films que pour nous mais se positionner dans un cinéma populaire à l’échelle mondiale et je pense que c’est la clé du soft power et on aurait tort de s’en priver parce qu’on a les capacités de ce genre de films et de séries.

C’est une série historique mais pas tout à fait, parce qu’on a pris beaucoup de liberté avec l’histoire pour en faire quelque chose de très populaire, de fun. Ce n’est pas de l’horreur, c’est de l’aventure, ... quelque chose de nouveau qui plaira à coup sûr au plus grand nombre.