Yassine Latrache, l'artiste qui fait parler le dessin muet
Les dessins de l'équipe nationale de Yas cartonnent sur les réseaux sociaux.

Passionné de dessin depuis son plus jeune âge, et complètement autodidacte, le dessinateur de presse franco-marocain Yassine Latrache, alias Yas, voit sa popularité monter en flèche grâce à ses dessins de joueurs de l’équipe nationale pendant la coupe du monde qui sont repris par les médias nationaux et quelques artistes de renom. Confidences d’un « combattant des discriminations », sensible à l’Humain, la différence, l’échange et la liberté et très attaché à son pays d’origine, le Maroc.

Vos dessins des lions de l’Atlas pendant cette coupe du monde sont très populaires sur les réseaux sociaux. Quel est votre sentiment et comment vous est venue l’idée de les réaliser ?

Ça me fait énormément plaisir de voir mes dessins partagés par les internautes sur la toile et je suis ravi que ça fasse réagir, d’autant plus quand ça touche à mon pays d’origine que j’aime beaucoup et auquel je suis très attaché.

Je suis en train de faire un dessin nouveau pour le match de la ½ finale Maroc-France de ce soir. C’est une manière pour moi d’encourager le Maroc avec lequel j’ai un attachement très fort au niveau culturel. Pour moi, c’est aussi une manière de jouer sur cette relation franco-marocaine avec l’idée, qu’à travers le sport, on peut véhiculer toutes les valeurs qui sont nécessaires à la francophonie, à l’ouverture sur la diversité culturelle notamment africaine, et celle du Maghreb, ... C’est intéressant de voir cet affrontement qui se fait à travers le sport, c’est une manière de regarder avec plus de hauteur ce qui peut se faire de bien. Vous savez, je fais beaucoup de dessins critiques contre l’organisation de la coupe du monde, notamment en ce qui concerne les questions des droits de l’homme (mort de nombreux ouvriers sur les chantiers...), la question écologique et tout le regard que les pays occidentaux et démocratiques portent sur le niveau de liberté qui existent dans les différents espaces.

L'équipe nationale by Yas.


C’est aussi une occasion de se confronter, le sport est un médium qui comme l’art a son domaine de réflexion et c’est difficile de passer à côté, surtout que le foot a été une étape importante dans ma vie, en plus du dessin, c’est un sport que j’apprécie beaucoup, que j’ai pratiqué et qui m’inspire énormément. Je pense à la relation indéfectible qu’Albert Camus avait avec le football et sa passion pour le ballon rond, c’est quelque chose que je revendique totalement et je pense qu’il y a quelque chose de puissant dans le football. Quand vous voyez le Maroc battre des pays favoris et passer toutes les étapes avec son peuple derrière et son soutien qu’on ressent fortement dans les différentes épreuves ... ça donne de la force au pays. J’aimerais que l’image qu’on gardera du Maroc soit celle de cette ouverture avec tous ces hommes et ces femmes de tous les âges qui sont venus encourager le pays et qui appellent à la joie.

Pour moi, l’équipe du Maroc, c’est quelque chose de très fort, on parle de rentrer dans l’histoire. Pour moi, dessiner pour l’équipe du Maroc, c’est une manière de montrer mon appartenance aussi à ce pays et de véhiculer ce qui peut donner de la force de se rejoindre sur un imaginaire qui parle à tous les Marocains.

Outre le sport et le foot, quelles sont vos sources d’inspiration ?

Je m’inspire beaucoup de la pop culture des années 90, et du club Dorothée, qui ont bercé mon enfance. Univers comics, BD franco-belge, Mangas... je me suis nourri de ces différentes influences, et je les ai réactualisés à l’heure de la culture numérique. Je m’inspire beaucoup de Lucky Luke, Tintin, les Simpsons, le Marsupilami, Dragon ball...

Le gardien de but marocain Yassine Bouno magnifié par les mains de Yas.


Pourquoi le dessin de presse, le dessin muet ?

Mon objectif est de susciter la réflexion et l’interrogation du spectateur par le seul langage du dessin. Je laisse, ainsi, une part à l’interprétation du message que je souhaite faire passer. Mes modèles sont : Mana Neyestani, Ares, Boligan... sans oublier les grands su dessin de presse français : Charb, Cabu ou Plantu.

J’aime la liberté de ton et d’expression qu’offre le dessin de presse. Je peux ainsi croquer avec humour et impertinence l’actualité, et interroger le spectateur sur les sujets qui le passionnent (montée des extrémismes, mondialisation, injustices sociales, conflits internationaux...). Je ne cherche pas la provocation, mon dessin engagé prône l’apaisement par le dialogue et le débat. J’estime que j’ai une conscience citoyenne éveillée et je trouve dans la différence une force et la défense des libertés fondamentales est pour moi un combat qui m’importe particulièrement.

Croyez-vous au pouvoir de l’Art ?

En tant qu’artiste engagé, j’aime partager mon travail avec des publics parfois bien éloignés de mon art (jeunes, migrants, personnes en milieu carcéral...) car c’est plus facile pour eux de l’assimiler puisque mon style est inspiré de la pop culture récente. Ces moments de rencontre sont pour moi un moyen de libérer le potentiel artistique de mon public et de lui redonner confiance en lui. Ce partage est pour moi une vraie source d’inspiration.

C'est important pour vous de concilier Art et esprit d’engagement ?

Oui et pour moi, écouter l’autre, dans sa différence et profiter de son appareil critique, est un des principaux moteurs de mon travail. Et mon travail dans le secteur associatif et auprès de jeunes et populations en situation difficile m’a beaucoup aidé à forger mon identité artistique.

J’ai créé l’association « Trait pour trait » qui s’intéresse à la question d’esprit critique. Ça me permettait de travailler avec des services sociaux spécifiques comme celui de la protection au ministère de la jeunesse, les établissements pénitenciers pour mineurs et adultes, et également dans les quartiers populaires, dans des structures liées à la jeunesse partout sur le territoire, donc, j’ai une grande expérience du regard porté et des représentations sur la jeunesse et l’engagement des jeunes, à l’échelle internationale.

Les lions de l'Atlas vus par Yas.


J’ai pu aussi fait des séminaires et des voyages qui étaient assez importants pour mon parcours notamment en Palestine, en Israël, en Egypte et toute cette richesse que j’ai pu me façonner, j’ai trouvé un angle de travail qui puisse compiler ma passion du dessin et ce rapport à l’engagement que j’ai qui est ancré profondément en moi.

Quels sont vos thèmes de prédilection ?

Je suis très engagé sur les questions humanistes, notamment la question des droits de l’homme, la dignité humaine, la liberté d’expression, ce sont des choses qui ne me laissent pas indifférent. Je suis également sensible aux questions environnementales, à l’Humain, a u vivant, ce sont des choses qui me touchent et du coup, j’essaie de concilier mon engagement et mon travail en même temps.

Comment s’est fait la collaboration avec le journal Le Monde et France 24 ?

Aujourd’hui, j’évolue en région parisienne et je continue mon travail avec plus de proximité, avec des structures plus importantes, notamment la « Fondation Cartooning for peace » pour laquelle je travaille depuis plusieurs années, et qui a créé un partenariat avec le journal Le Monde et France 24 (émission grand reportage) et j’ai été sélectionné pour présenter mes dessins à la Une. J’ai également travaillé pour le journal « le Franc-tireur » à Paris et quelques revues dans la région nantaise.

Aujourd’hui, je continue sur ma lancée avec l’association « KWZ » que j’ai créé et qui s’intéresse aux intermittents du spectacle, c’est une structure de médiation culturelle qui effectue des interventions dans les quartiers populaires (ateliers artistiques autour du dessin, du théâtre, de l’audiovisuel, ...).

Ça fait 2 ans que j’accompagne aussi un projet autour du harcèlement scolaire à Paris et je travaille également sur la question d’excision. Ça vous fait quoi de voir vos dessins repris dans les médias marocains comme DMSport et aussi par d’autres artistes comme le DJ Hamida ?

J’ai toujours posté mes dessins sur Facebook, aujourd’hui, ils sont relayés un peu partout dans le monde grâce aux réseaux sociaux, surtout sur Instagram, ...mes dessins sont souvent partagés et du coup, ça me fait plaisir parce que ça me permet de répondre à mon objectif et d’être diffusé et de faire réagir, d’autant plus quand ça touche à mon pays d’origine que j’aime beaucoup. J’ai créé au Maroc l’association « La Fabrique du Futur » qui effectue des actions artistiques et solidaires auprès de la jeunesse en zones rurales (région de Sefrou). J’aime aider ces jeunes à avoir un parcours plus facile, plus égal pour leur permettre d’avoir tous les outils pour se construire dans le futur. La question de la réussite éducative me parle beaucoup, tout comme celle de l’alphabétisation aussi. Je suis également membre de l’association « la Goutte d’O » avec laquelle j’ai réalisé plusieurs missions au Sénégal (accès à l’eau, alphabétisation, hygiène, santé, scolarité, ...) et toutes ces actions rejoignent mon attachement africain et mes racines marocaines qui sont bien ancrées en moi-même si je vis en France.

Hakim Ziyech par Yassine Latrache.


Mon engagement est concret au Maroc et j’essaie de casser les représentations parce que la France a toujours cet esprit où elle disqualifie une grande partie de sa population, qui a fait sa richesse et notamment dans les quartiers populaires où certains comportements peuvent vite être associés à des registres idéologiques.

En tant que dessinateur, je suis un combattant des discriminations et des représentations et ouvrir l’esprit critique, c’est donner aux jeunes les clés pour se construire et trouver aussi leur place dans la société.

Vos projets ?

J’aimerais avoir une espèce de ferme pédagogique et artistique pour centraliser toutes les actions que je porte autour du rural, et avoir une antenne de travail qui me permette de travailler plus facilement entre la France et le Maroc. J’espère créer à long terme des expositions et accompagner aussi le travail de certains jeunes talentueux dont les travaux sont invisibles. J’aimerais beaucoup travailler sur des projets franco-marocains sur la question de l’interculturalité, aujourd’hui, j’ai la chance d’être diffusé en France, d’avoir beaucoup de soutien dans mes démarches, et d’avoir tous ces projets en perspective.

Je voudrais aussi réaliser des expositions de peinture, genre fresques géantes sur les murs. Je me considère aussi comme un street artiste, c’est quelque chose que j’aimerais développer notamment à Paris, ça me permettrait d’avoir plus de visibilité.