Autoproduction électrique. Une loi décriée par les professionnels
La loi 82-21 permet aux utilisateurs de produire leur propre énergie à partir du renouvelable pour les besoins de leur fonctionnement.

Tant attendue par le secteur, la loi 82-21 qui encadre l’autoproduction de l’énergie électrique vient d’être adoptée. Cette réforme est censée booster l’usage des énergies renouvelables. Mais, les experts pointent du doigt divers manquements qui, selon eux, pourraient entraver la mise en œuvre de ce projet.



« Le projet de loi relatif à l’autoproduction d’énergie électrique donne à l’auto-producteur la possibilité de stocker l’énergie électrique issue de sources renouvelables et d’accéder à des services de stockage » a précisé Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du Développement durable, dans sa présentation devant la chambre des représentants, qui a approuvé à l’unanimité lors d’une séance législative le projet de la loi 82.21 relatif à l’auto-production de l’énergie électrique.

Au total, ce sont 94 amendements qui ont été apportés pour améliorer le texte et l’adapter aux aspirations des auto-producteurs de l’énergie électrique dont l’augmentation de 10 à 20% du seuil de l’excédent de production de la centrale d’autoproduction qui peut être vendu au gestionnaire du réseau électrique national concerné, et la prorogation du délai de régularisation de la situation des personnes assurant l’exploitation des centrales d’auto-production avant la date d’entrée en vigueur de la loi, qui est désormais de 18 mois au lieu de 12 mois précédemment. Ces amendements demeurent insuffisants, selon les experts sollicités par l’Observateur du Maroc et d’Afrique.

Une loi décriée

Pour l’expert en énergie Amine Bennouna, le premier texte publié auparavant posait un problème d’inapplicabilité. Aujourd’hui, avec l’introduction de changements, il parle d’une avancée majeure dans le secteur, n’empêche que le texte comporte toujours certaines lacunes. Il s’agit par exemple du fait d’avoir confié à l’autorité nationale de la réglementation de l’électricité, la définition du prix de rachat des excédents de l’électricité. «Cela ne fait pas partie des missions attribuées à cette autorité. Il va falloir amender alors ses compétences pour qu’elle puisse remplir ce nouveau rôle », explique Bennouna. Autre hic relevé, «les rédacteurs du texte prévoient de protéger le réseau électrique en limitant l’énergie. Alors que l’idéal serait plutôt de limiter la puissance ». ajoute-t-il.

De son côté, l’expert conseil en management de l’énergie, Said Guemra, note qu’il s’agit plus d’amendements de forme qui ne touchent pas le fond du problème de limitation de la quantité injectée dans le réseau électrique. Comment ? En effet, la loi permet aux utilisateurs de produire leur propre énergie à partir du renouvelable pour les besoins de leur fonctionnement. Ils pourront en fournir aussi à d’autres consommateurs. A l’international, deux formules sont adoptées. La première consiste à rémunérer à 100% tout ce qui est injecté dans le réseau électrique. La deuxième est une formule d’échange d’énergie renouvelable contre une énergie fossile. « Au Maroc, nous avons la particularité de vouloir limiter l’énergie. Si on injecte plus de 20%, le surplus est perdu pour le producteur. Il sera par contre revendu par le distributeur à un autre consommateur », détaille Guemra notant que finalement le surplus profite au distributeur surtout qu’il est difficile pour un auto-producteur d’avoir une idée précise sur la quantité de l’énergie injectée dans le réseau. Ici, l’expert donne l’exemple d’un particulier qui part en congé un mois. Il devrait, comme c’est le cas dans d’autres pays, être rémunéré sur toute la quantité d’énergie injectée dans le réseau durant cette période. Alors, que selon la loi en question, il ne le sera que sur les 20% fixés. Le reste, est considéré comme une perte pour le producteur et un gain pour le distributeur.

Qui est concerné par ce projet?

S. Guemra est catégorique : cette loi ne concernera qu’une minorité de particuliers et d’industriels. Comment ? « Cette énergie très compétitive à moins de 0,3 DH/Kwh est payée en fossile jusqu’à 1,30 DH/kwh aux distributeurs vienne en principe pour aider les couches défavorisées afin de réduire le poids de la facture électrique. C’est l’objectif affiché», estime l’expert. Mais « telle qu’elle a été conçue, cette loi ne répond guère à cette ambition », ajoute-t-il pointant du doigt l’absence de dispositions relatives à l’autoproduction collective.

En effet, plus de 95% des marocains habitent dans des immeubles et des R+2. Guemra confie que cette catégorie n’a pas le droit de produire de l’électricité renouvelable. Il en est de même pour les complexes commerciaux et tout autre rassemblement des professionnels en basse tension. En gros, «seront concernés les marocains habitant les villas avec filtration de piscine et classes favorisées pour dissiper l’énergie solaire maximale du jour et espérer ne pas injecter plus de 20% de productible annuel », juge l’expert. Il ajoute également, que seules les grandes industries pourront en tirer profit, soit entre 10% et 15% du total.

Quatre ans pour la mise en œuvre

Les experts sollicités mettent l’accent aussi la durée prévue pour la mise en application de cette loi. La ministre a révélé que les textes réglementaires compléteront les modalités d’application dans un délai de 4 ans.

D’après Guemra, l’heure est à l’accélération de la transition énergétique. Devant cette urgence, prévoir 4 ans pour mettre cette loi en application est une contradiction flagrante par rapport aux objectifs fixés pour 2030.

Même son de cloche de Bennouna qui pense que le choix de cette date n’est pas anodin. « La loi va entrer en application fin 2026. II s’avère qu’en 2027, le gouvernement aurait l’intention de revoir toutes les cartes de la distribution de l’électricité puisque les contrats de gestion de Redal, Lydec, Amendis...arrivent à échéance », conclut l’expert.