Le pays des rêves inachevés
Anass Benaddi

Le pays où je suis né est un pays particulier affichant sa propre exception qui le distingue manifestement de ses voisins directs, qu’ils soient du Nord ou du Sud, de l’Est ou d’ailleurs.

Ce constat se fait facilement lorsqu’on sait que sous d’autres cieux, les similitudes sont nombreuses entre les nations limitrophes qu’un passé commun a réunies naguère.

Le Maroc quant à lui, s’est savamment illustré par son aptitude à cultiver sa différence au point de devenir le pays de tous les contrastes ! Et c’est probablement la description la plus juste que l’on puisse faire de ce gigantesque caravane sérail, qui au fil des siècles a fini par se constituer en véritable Etat-nation, faisant fi des caprices de l’histoire, pour se dresser aujourd’hui à la face du monde en modèle connu et reconnu du vivre ensemble, de la tolérance mutuelle et du rapprochement entre les peuples.

Nombreux sont ceux qui, conditionnés par l’exagération frôlant le ridicule des médias occidentaux, pris dans le piège du simplisme qu’ils ont eux-mêmes confectionnés, s’étonneraient d’y voir célébrer des messes dans les cathédrales de ses grandes métropoles, lorsque la veille, des Marocains – oui ! et de naissance – déambulent dans les rues d’une ville comme Casablanca, kippas sur la tête, comme le veut la tradition juive le jour du sabbat !

Encore plus grand sera leur étonnement lorsqu’ils noteront qu’aux abords d’une mosquée où des fidèles prient avec ferveur, se trouvent des bars dont les murs racontent à qui sait tendre l’oreille, l’histoire de Marcel et Edith, et où d’autres fidèles – parfois les mêmes – savourent avec autant de ferveur une bière hollandaise et quelques verres d’un excellent cru provenant des vignes de l’antique Volubilis, située aux portes de la cité impériale de Meknès.

Fascinants contrastes dont il faut se réjouir. Car on ne se fatigue pas à expliquer la fortune dont nous gratifie la providence, bien au contraire, on l’accueille à bras ouverts et on s’en réjouit. Je le dis ainsi car je n’ai jamais pu saisir l’entrain que mettent certains de mes aînés, des intellectuels et des historiens beaucoup plus aguerris et assurément plus légitimes que je ne le suis, à tenter d’expliquer cette particularité qui prend des airs de travers, de défaillance, de complexe marocain, à force de fastidieuses et interminables réflexions académiques. À la longue, ils finissent par en devenir lassants. Les défaillances sont là, le nier serait d’une malheureuse grossièreté intellectuelle. Je ne peux pas nier, par refus de rejoindre la tribune déjà bien garnie du chauvinisme courtisan, que je suis né et vis dans un pays où les inégalités sociales – pour ne citer que cet exemple – sont outrageusement criantes. Un pays où la résilience des miséreux cohabite quotidiennement avec la veulerie des nantis. À y regarder de plus près, on se rend compte qu’au final, la détresse des premiers reflète à s’y méprendre la fortune insolente des seconds, comme le feraient ces miroirs déformants qu’on trouve dans les fêtes foraines.

Ceci n’est point le fait de la providence, mais celui des hommes ! Et si les bénédictions nous viennent du ciel, les malédictions quant-à-elle surgissent des entrailles de la terre. C’est aux hommes qu’incombe donc la lourde responsabilité de parfaire ce qui peut l’être, avec autant de sincérité dans l’engagement vers le mieux...

...Je ne peux que l’espérer de toutes mes forces en gardant au plus profond de mon âme cette vérité qui a toujours été mienne : Je suis, je vis et je continue de vivre au Maroc ! Ce pays ou le soleil se couche sur des aspirations de grandeur et se lève sur des rêves inachevés.



Anass Benaddi est consultant en Affaires Publiques & Communication Institutionnelle