« Bghite Hyatek », une satire déroutante de la société marocaine
Des destins croisés et un échange injuste de vies...

Au top 10 des tendances, le feuilleton marocain à succès « Bghite Hyatek » provoque le débat en s’attaquant à des problématiques sociales d’actualité.

S comme succès

En voilà une série qui captive, séduit, trouble et dérange à la fois. « Bghite Hyatek » (Je veux ta vie) est le type de drame social qui ne peut laisser indifférent. Dès les premiers épisodes, les réactions des téléspectateurs se sont multipliées sur les réseaux sociaux. Si les uns trouvent que les péripéties sont exagérées, que les histoires sont loin d’être « marocaines » et que certaines scènes sont impudiques, nombreux sont ceux qui ont apprécié le ton franc et le réalisme du scénario.

« C’est juste la triste réalité. Ce genre d’histoires existe dans notre société et on y voit même des personnages pires encore que ce que la série décrit », répond une internaute, sur une page facebook de fans portant le nom du feuilleton et comptant des milliers d’abonnés. Un engouement que les taux d’audience des différents épisodes confirment. En plus des millions de vues enregistrées sur la chaine officielle de 2M sur Youtube, plusieurs chaînes et pages facebook se sont également nourries du succès de la série en attirant des millions de spectateurs.

C comme complexe

Mais comment s’explique un tel engouement ? Réalisé par Chaouki El Oufir, le scénario de « Bghite hyatek » a été écrit à trois mains par Samia AKariou, Nora Skalli et Jawad Lahlou. Le feuilleton est une sorte de portraits et de destins croisés de trois femmes fragilisées par les épreuves de la vie et par leurs conditions. Marginalisées de différentes manières, chacune d’elles tente de se trouver une place au soleil... et qu’importe le prix. Sans prendre de gants, les scénaristes vont disséquer leurs manigances et leurs portraits psychiques. Mal à l’aise par rapport au ton franc de la série, des téléspectateurs n’ont pas apprécié comme elle décrit la méchanceté et la complexité de la nature humaine (et marocaine évidemment).

Entre Siham, la mère psychiquement perturbée ayant perdu ses deux filles dans un accident domestique, Basma, l’ex prostituée aigrie et revancharde et Ouafaa, la montagnarde opportuniste et profondément envieuse qui ne recule devant rien pour réussir... Impossible de décrocher ! Les évènements, la mise en scène, la cadence et surtout l’épaisseur psychologique des personnages en ont fait une série captivante. La sincérité des acteurs en endossant des rôles profondément complexes et leur jeu juste était parfois troublant tellement réaliste.

P comme problématiques

La structure du scénario en portraits croisés et comment on oscille entre des psychologies à la fois si différentes et si proches : Dans leur fragilité, leur cruauté, leur capacité à faire et à se faire du mal, à nuire et à s'autodétruire... Des êtres humains dans toute leur splendeur. L’autre point fort de la série et qui a fait d’ailleurs une grande différence : Lorsque les personnages, intruses et victimes, s'adressent directement au spectateur, se confient et livrent le fond de leur pensée dans une sorte de catharsis... Le réalisateur et les scénaristes ont réussi là la prouesse de toucher le public, l’impliquer, le rendre complice et parfois même protagoniste.

Un pari réussi car après chaque épisode, le débat est lancé sur les réseaux sociaux à propos des problématiques sociales évoquées à travers la souffrance des personnages principaux. Basma, la prostituée exploitée aux pays du Golfe par sa propre mère et par son proxénète, humanise cette catégorie et nous rapproche de sa souffrance. En plus d’être une victime de la traite d’êtres humains, elle doit porter à jamais le stigmate de son « métier » et se voit surtout agir à travers ce lourd passé impardonnable par la société. Lorsqu’elle a envie de s’en laver, elle s’en prend paradoxalement à la personne qui l’a le plus aidé : Sa tante. Les longues années de l’exploitation sexuelle en ont fait un « monstre », une machine à tout broyer.

S comme satire

Ouafaa, la stagiaire arriviste n’hésite pas à briser la vie de son idole l’animatrice télé Sara. Derrière la redoutable manipulatrice, elle en cache une fillette toute fragile qui n’a pas pu vivre son enfance comme tout le monde. C’est une fille pauvre issue d’un village reculé d’Imilchil. Elle a été mariée à un vieil homme à l’âge de 12 ans. Privée de son enfance et de son école, elle tente de prendre sa revanche sur la vie en vampirisant un symbole de la réussite : Sara. Victime de la pauvreté, de l’injustice territoriale, du mariage précoce des mineurs, des effets frustrants des réseaux sociaux... Ouafaa se démène comme une diablesse pour se libérer de ses propres démons.

Siham, la mère endeuillée vit dans le déni de la mort de ses filles. Psychiquement malade, elle parasite la vie de ses locataires et tente de s’approprier leur vie et leurs enfants. Sa mère et sa sœur doivent recoller les morceaux après ses passages catastrophiques. Elles personnifient la double souffrance et des familles et des malades mentaux dans une société incompréhensive et peu empathique.

Les créateurs de « Bghite Hyatek » ont réussi le délicat défi de raconter une fascinante histoire tout en dénonçant des maux qui rongent la société marocaine. Nullement pédant, le ton est plutôt confident et empathique. Une satire déroutante comme en on a besoin.