Livret de famille : L’exclusion des mères célibataire continue
Mères célibataires, entre l'enclume de la stigmatisation sociale et le marteau de la discrimination juridique

Chaque année, environ 3.000 enfants naissent de relations hors mariage. Or l’article 23 de la loi relative à l’Etat civil empêche toujours les mères célibataires d’avoir un livret de famille. Une grave atteinte à leurs droits et à ceux de leurs enfants.

Triste réalité

Les chiffres avancés par les études menées par l’association INSAF sont sans appel. Entre 2003 et 2009, plus de 210.000 mères célibataires ont été recensées au Maroc et 24 enfants ont été abandonnés par jour. Entre 2004 et 2014, plus de 44.000 enfants sont nés hors mariage rien que dans la région de Casablanca-Settat soit 3.366 enfants par an. D’après INSAF, 9.400 enfants ont été abandonnés dans cette région avec une moyenne de 850 abandons par an. Un taux d’abandon énorme qui s’explique par de nombreux facteurs sociaux, économiques, culturels et juridiques.

« Ces femmes ne peuvent toujours pas disposer d’un livret de famille », s’insurge-t-on au mouvement 7achak. Pointant du doigt l’article 23 de la loi relative à l’Etat civil, 7achak fustige une loi discriminatoire qui prive les mères célibataires et leurs enfants de leurs droits entant que citoyens marocains. Effectivement selon les termes de l’article 23 de la loi N° 37-99 relative à l’Etat civil : « Le livret est délivré à l’époux marocain inscrit à l’état civil par l’officier de l’état civil de son lieu de naissance... Après mention de son acte de mariage ou du document attestant son mariage...».

Loi en décalage

« Une incohérence légale » que les activistes féministes et ceux des droits de l’enfance ne cessent de dénoncer. Selon INSAF, la grande problématique reste la non reconnaissance par les textes de loi du statut de mères célibataires. Pour sa part, l’association 100% Maman estime que « l’absence de ce statut juridique spécifique dans la législation marocaine est le plus grand obstacle à la réintégration socio-économique de cette catégorie », nous explique auparavant Sarah Lamjamri de 100% Mamans. Une exclusion et une sorte de déni qui ne cache pourtant pas la triste réalité : 30.000 mères célibataires sont enregistrées chaque année toujours selon les chiffres d’INSAF.

« Un chiffre énorme révélant la présence d’une importante population privée de ses droits et considérée comme une «sous-catégorie», ajoute-t-on auprès de 100% Mamans. Une situation qui, en plus des mères, affecte les droits et l’avenir des enfants nés hors mariage, comme le soutiennent ces activistes en insistant sur l’importance d’un statut juridique clair et spécifique. « Nous n’avons de cesse de réclamer ce statut juridique qui est seul susceptible de restituer à ces femmes et à leurs enfants leur citoyenneté, leur dignité et le plein exercice de leurs droits humains. Et par extension leur permettre une réelle réintégration socio-économique loin des discriminations et de la stigmatisation», réclame Lamjamri.

Prémices de changement

Prémices d’un imminent changement ? En sept 2021, une circulaire du ministère de l'Intérieur exhortait les officiers de l'Etat civil à appliquer immédiatement les dispositions de l’article 16 de la loi n° 37-99 du code civil relatif à l’inscription des enfants de pères inconnus. Les auteurs d’une étude juridique élaborée par l’association 100% Mamans notent également le bond réalisé par l’article 16 de cette loi permettant à la mère comme au père, de déclarer la naissance. Rompant avec les réglementations passées, et depuis 2010, une circulaire du ministère de l’Intérieur permet à la mère de transmettre son propre nom de famille à son enfant, sans avoir besoin de la permission de son père ou de l'un de ses frères.

Le ministre de la justice Abdellatif Ouahbi, de son côté a annoncé en novembre 2022, une nouvelle mesure envisagée par son département, obligeant les parents biologiques de l’enfant né hors mariage d’assumer leur responsabilité civile. «Cet enfant est un citoyen à part entière et devra être pris en charge », annonçait le responsable lors d’une rencontre organisée par la Fondation Lafquih Titouani. D’après ce dernier, les parents devraient prendre en charge leur enfant jusqu’à ce qu’il atteigne ses 21 ans.

Cette prise en charge inclura-t-elle l’enregistrement dans le livret de famille de la mère qui assume souvent toute la responsabilité de l’enfant né hors mariage ? « Pour ce faire, le changement de la loi et la reconnaissance du statut de mère de célibataire s’imposent. C’est la première étape à franchir », revient-on à la charge auprès de 100% Mamans.

Inédit

En novembre 2017, à Souk Larbaa, le Président du tribunal de première instance a rendu une ordonnance reconnaissant à une mère célibataire le droit d'obtenir un livret de famille. La concernée, une Marocaine résidant en Espagne, s'était vue refuser l'octroi de son livret par les autorités locales. Ceci alors qu’elle devait présenter ce document aux autorités consulaires espagnoles pour pouvoir emmener son enfant avec elle.

La jeune femme remporte une victoire significative au tribunal et arrive finalement à l'acquérir grâce à l'article 231 du code de la famille. Ce dernier stipule qu’en l'absence d'un père, est dévolue à la mère majeure la représentation légale de l'enfant. L'ordonnance s'est également référée à l'article 54 de la Moudawana qui astreint l'Etat à «prendre les mesures nécessaires en vue d'assurer la protection des enfants, de garantir et préserver leurs droits conformément à la loi ».