Arrachage d’arbres : Le droit de respirer confisqué
Arrachage des arbres de Souktani, une mise à mort qui a provoqué émoi et consternation

Quel impact des opérations d’arrachage d’arbres dans une ville qui étouffe à cause de la pollution atmosphérique ? Est-il judicieux de priver les citoyens des rares espaces verts qui égayent la grisaille ambiante ? Eléments de réponses avec les spécialistes. 



Depuis quelques jours, les images d’arrachage des arbres centenaires de l’avenue Hassan Souktani à Casablanca provoquent émoi et stupéfaction. Largement partagées sur les réseaux sociaux, ces clichés n’ont pas manqué de susciter l’indignation des Casablancais. « Comment peut-on arracher aussi sauvagement de si beaux arbres alors que l’on en manque affreusement à Casablanca ? », s’interroge-t-on sur la page facebook très populaire Save Casablanca. « Adieu les Ficus de l’avenue Hassan Souktani et vu l’état sauvage de l’abattage, ne dites surtout pas qu’ils vont être replantés ailleurs ! », s’insurge un Casablancais en colère sur tweeter.

Réaménagement

Emoi et consternation devant une « mise à mort » qui n’est d’ailleurs pas isolée. Que ça soit à Casablanca ou dans d’autres villes, les opérations d’arrachage d’arbres centenaires sont légion. Des décisions prises par les communes et les mairies dans le cadre de plans d’aménagement jugés « inadéquats et incompréhensibles » par les citoyens en colère. Réagissant aussitôt, Kenza Chraibi, la présidente de l'arrondissement de Sidi Belyout-Casablanca a publié un communiqué explicatif sur sa page officielle facebook.

« Le réaménagement de l’avenue Hassan Souktani est une réclamation des habitants du quartier Gautier et de l’arrondissement de Sidi Belyout que nous essayons de satisfaire en renforçant les infrastructures », explique la responsable. D’après cette dernière, ces travaux ont nécessité « malheureusement » l’arrachage de 132 arbres dont 75 déjà morts. « Les 57 arbres sains seront replantés ultérieurement dans des espaces mieux adaptés. Les arbres arrachés seront donc remplacés par d’autres : Plus nombreux et avec une meilleure densité offrant un aspect écologique au quartier sans pour autant nuire à la chaussée et aux trottoirs », rassure Chraibi. La présidente a d’ailleurs rencontré les représentants des habitants lundi dernier pour mieux expliquer les motivations de cette opération.

Vous avez dit écologie urbaine ?

Des explications qui n’atténuent pas pour autant l’impact de telles opérations surtout dans une ville comme Casablanca qui enregistre des taux très élevés de pollution d’air. « Les espaces verts sont les poumons d’une ville. Au Maroc, on parle très peu de l’écologie urbaine. Cette dernière consiste en effet à considérer l’environnement comme un élément structurel dans une ville », nous explique Badri Wadi, professeur universitaire en Ecologie végétale à la Faculté des sciences Ben M’Sick à Casablanca.

D’après le scientifique, « Casablanca est une ville qui est mal partie écologiquement depuis l’indépendance. Durant le protectorat, on trouvait toujours le moyen pour mettre en place des jardins permettant d’aérer la ville. Or aujourd’hui, elle est entrain d’étouffer et l’on rajoute à son mal en arrachant les quelques arbres qui résistent encore », regrette Pr Wadi. Mettant en garde contre les risques de « suffoquer » à Casablanca sans le savoir, le scientifique nous simplifie l’explication. « Une ville a absolument besoin de s’oxygéner. Ce n’est pas en ouvrant la fenêtre qu’on aura de l’oxygène qui rentre. C’est ce qui en reste en fait qui rentre avec beaucoup de poussière, de CO2 et de polluants », matraque-t-il.

Points noirs

Dans une ville comme Casablanca où la densité de la population est l’une des plus importantes au Royaume avec 353 habitants au km2, l’on consomme d’énormes quantités d’oxygène et l’on élimine autant de CO2. Ceci sans compter avec la qualité de l’air qui laisse trop à désirer dans la métropole. « La situation devient critique lorsqu’on n’a pas assez d’espaces verts permettant de renouveler cet oxygène », alerte Pr Wadi. Casablanca sera-t-elle ainsi en train d’étouffer loin de toute métaphore ? « Effectivement comme toutes les métropoles du monde, Casablanca n’est pas au top en terme de qualité de l’air. Nous avons même des points noirs comme Ain Sebaâ, Mohammedia ou encore le Centre ville » ajoute le scientifique; en pointant du doigt les industries polluantes mais également le trafic routier dense dans ces zones.



Dans une telle situation, les espaces verts et les arbres peuvent-ils atténuer l’impact néfaste sur la ville et ses habitants ? Pr Badri Wadi affirme que c’est l’une des solutions les plus indiquées. « Les arbres ont trois importants rôles : Avec leur feuillage, ils sont d’excellents capteurs des poussières. Ces dernières sont en effet très néfastes pour la santé humaine et causent de nombreuses maladies respiratoires. Les arbres sont également les principaux producteurs d’oxygène mais aussi des pourvoyeurs de beauté visuelle et de bien être pour la population », détaille le spécialiste de l’écologie végétale. Pièges à poussières, producteurs d’oxygène et éléments esthétiques antidépresseurs ... Les arbres doivent cependant être agglomérés sous forme de jardins, même si petits, pour un meilleur effet comme le soutient le scientifique.



Urbanisation sauvage

« Une condition qui reste assez difficile à réaliser vu la tendance actuelle d’urbanisation sauvage. L’exemple de la ville de Kénitra est éloquent et démontre comment la forêt de Maâmoura, poumon de la ville, est en train de rétrécir dangereusement à cause de l’urbanisation et l’industrialisation intensive de la cité et de ses alentours », regrette de son côté Najib Bahssina, président de l’association Ecologia pour l'éducation à l'environnement. Homme de terrain, l’activiste dénonce l’arrachage systématique d’arbres centenaires en milieu urbain particulièrement sur l’axe Kénitra-El Jadida.

« Victimes de leur propre développement, ces villes se voient sacrifier leurs espaces verts. Ce qui impacte négativement la bonne santé de l’environnement dans ces milieux urbains », explique l’activiste écologique. « Pire, ces opérations d’arrachage étouffent carrément les citoyens en les privant d’oxygène et d’espaces verts susceptibles d’apaiser la pression et favorisant leur bien être physique et psychique. Le taux d’incidence des maladies respiratoires est d’ailleurs très élevé dans ces villes précisément », résume Najib Bahssina.

Pauvres palmiers

Ne lâchant pas prise, l’activiste évoque les « mauvais » choix des communes lorsqu’il s’agit de réaménagement. « On n’arrive pas à comprendre pourquoi on arrache de beaux arbres centenaires pour les remplacer par des palmiers inadaptés à la nature de ces milieux urbains et qui finissent souvent morts ou qui ne remplissent pas leur mission. Un double massacre pour les palmiers et pour les arbres originaux sans aucun gain pour qui que ce soit ! », s’insurge l’activiste.

La solution dans ce cas de figure ? « Revoir les plans de réaménagement territoriaux en donnant la priorité aux espaces verts dans les milieux urbains et à la replantation d’arbres », indique le président d’Ecologia. Pour Pr Badri Wadi, la solution serait de choisir les bonnes espèces les mieux adaptées à ces milieux. « Pour Casablanca, le Caroubier reste le meilleur choix. Un arbre magnifique à la densité de feuillage importante et qui demande de petites quantités d’eau pour survivre. Aussi, ses racines et son développement ne causent pas de dégâts à la chaussée ou aux trottoirs », conseille le spécialiste.

Air mortel

Quant au « droit de respirer », il serait la responsabilité de tous de le proclamer selon Bahssina. « Citoyens, société civile, activistes écologiques, représentants communaux et parlementaires, autorités... C’est une responsabilité collective de réclamer son droit à respirer et son droit à des espaces verts. C’est un besoin vital et non pas un luxe ! », réclame l’activiste écologique.

Les données de l'OMS montrent que la quasi-totalité de la population mondiale (99 %) respire un air dont les valeurs dépassent les limites recommandées. Un air contaminé qui contient des taux élevés de polluants. Cette exposition est encore plus forte dans les pays à revenu faible ou intermédiaire (tels le Maroc). Chaque année environ 7 millions de décès prématurés sont dus aux effets de la pollution de l’air, dont plus de 4 millions en lien avec l’air ambiant.