" La traite d'êtres humains est un crime qui n'arrête pas de muter "
Siham Al Figuigui, Directrice du bureau de l'UNODC au Maroc

A crime transnational, lutte internationale. C'est ce que nous explique Siham Al Figuigui, la directrice du Bureau de l'UNODC au Maroc dans cet entretien. Intervenant lors d'un atelier de sensibilisation et de formation au profit de la presse nationale, organisé par la Commission nationale de coordination des mesures de lutte et de prévention contre la traite des êtres humains (CNCLT), la responsable onusienne nous rapproche de l'évolution du phénomène, les mécanismes de lutte au niveaux nationaux et internationaux et la coopération entre les pays pour l'éradication de ce crime transfrontalier.

Siham Al Figuigui, Directrice du Bureau de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime ( UNODC) au Maroc

L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Comment la traite des êtres humains a-t-elle évolué ces dernières années dans le monde et au Maroc ?

Siham Al Figuigui : Tout dépend du regard que l'on porte sur un fait ou un phénomène social. La traite des êtres humains est souvent appréhendée comme une forme moderne d'esclavage, un phénomène historiquement "présent" dans les sociétés. A partir du moment où la traite des êtres humains a été incriminée, érigée en crime avec des circonstances aggravantes avec des mesures de protection des victimes, le spectre d'observation du fait social et criminel a évolué. Ceci dit, on ne peut pas prétendre que les chiffres de la traite des êtres humains ont augmenté ou ont diminué. On peut dire cependant qu'il y a une volonté de la part de la communauté internationale et celle des Nations Unis pour que les peuples et les Etats membres formulent une réponse robuste et dissuasive face à ce phénomène.

On peut estimer que les chiffres augmentent mais ça ne signifie pas toujours que les cas augmentent. Cette augmentation peut tout simplement indiquer une amélioration de la détection de ces cas. Il se pourrait toutefois que l'on ne détecte que la partie émergée de l'Iceberg et que l'on ingore le nombre réel des victimes et des coupables se cachant dans l'ombre. Dans ce cas, les statistiques des augmentations ou des baisses restent assez versatiles.

Par contre, ce qui importe, c'est cette prise de conscience. Si les observateurs cernent la notion de traite d'êtres humains, maîtrisent la partie technique, on aura accompli notre part du contrat. On aura ainsi des acteurs alertes, avec un regard objectif et aiguisé avec les outils nécessaires pour analyser le phénomène, détecter les victimes et avoir les bons réflexes.

Comment la lutte anti-traite d'êtres humains s'organise au niveau national et international ?

Il y a la partie de la réponse des Etats membres des Nations Unies. C'est le système de justice pénale quand il s'agit de tout ce qui est enquêtes, poursuites, recherches, statistiques, détection, identification et protection des victimes. C'est aussi les mesures de réhabilitation et de réinsertion sociale de la victime. Ce sont en effet plusieurs axes qui sont pris en charge par les Etats membres. Le rôle du système de l'ONU et de l'UNODC c'est d'accompagner ces Etats pour mettre en place ces mécanismes et ces mesures. Ces derniers sont en effet au coeur de l'UNTOC ( La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée) et ses protocoles.

Quant à la réponse internationale, elle s'articule sur deux niveaux : La réponse concernant tout ce qui est échange d'informations, de bonnes pratiques étant donné que c'est une respondabilité commune qui est clairement établie sur tous les pactes internationaux. Nous avons des victimes qui se trouvent un peu partout, qui traversent les frontières. Entre les pays d'origine, ceux de transit et les pays de destination finale. Il s'agit aussi d'une problématique de droits humains. C'est pour organiser une réponse cohérente, harmonieuse de protection des droits humains de ces victimes par tous les Etats membres.

Qu'en est-il de la coopération internationale en matière pénale ?

Justement, l'autre réponse repose sur la coopération internationale en matière pénale. C'est-à-dire des actions pour organiser la protection des victimes qui pourraient se trouver dans des pays autres que leur pays d'origine, organiser aussi des réponses pour garantir les poursuites des trafiquants et la saisie des bénéfices générés par le trafic d'êtres humains et le cash circulant via le blanchiment d'argent lié à cette activité criminelle.

 La coordination des enquêtes transnationales passe ainsi par la coopération entre les Etats membres. Dans ce cas de figure, nous assistons à une internationalisation de la scène de crime. les victimes, les coupables, les éléments de preuve et même le lieu du crime peuvent se trouver dans des pays différents. Comme c'est un crime transnational la lutte se doit d'être de la même nature et avoir la même portée. C'est un échange d'informations avec l'utilisation de mécanismes de coopération entre les acteurs de la justice pénale. Ceci dans le but d'empêcher les coupables de passer entre les filets. C'est par ailleurs un élément sur lequel la communauté onusienne insiste pour arriver à une réponse capable d'arrêter ces organisations criminelles.

Cette coopération internationale, l'UNTOC, ses protocoles et ses mécanismes ont-ils un impact réel sur la réduction des statistiques de ce crime transnational ?

Personnellement, quand je vois les rapports des instances en charge de la mise en oeuvre de la loi et des acteurs de la justice pénale nationale, je constate qu'il y a des annonces de démantèlement de réseaux transfrontaliers qui sont actifs dans le crime transnational organisé. Cela implique parfois une coopération rapprochée avec des pays riverains ou voisins. Il y a donc cette dynamique qui engendre forcément des résultats.

Maintenant ce qui serait intéressant c'est qu'au niveau de tous les acteurs de la justice pénale, l'on sache comment eux ils voient les choses, quels sont les défis et si les les objectifs ont été atteints. Je vois cependant que dans les reporting annuels, on commence déjà à mentionner ce genre de crimes et à préciser que ce sont des réseaux tranfrontalier. Cela signifie que les choses s'activent même au niveau de la presse nationale qui rapporte également des informations et des faits en lien avec ce trafic.

A mon avis, ce sont des résulats significatifs. Ils restent certes à consolider vu que c'est un crime qui n'arrête pas de changer de formes et de muter en créant à chaque fois de nouveaux défis. L'UNODC est d'ailleurs là pour épauler les Etats membres dans cette lutte acharnée contre un crime tentaculaire.