Un ingénieur poignarde ses collègues, comment peut-on en arriver là ?
Vous êtes en souffrance, n'hésitez pas à en parler et à demander de l'aide

Un ingénieur poignarde ses collègues en plein milieu du travail. Au delà des circonstances de ce triste incident, ce fait divers pose beaucoup de questions sur la souffrance au travail, le mal-être en milieu professionnel et surtout sur comment préserver sa santé mentale tout en restant actif. Le point avec la spécialiste.

Vous êtes en souffrance, n'hésitez pas à en parler et à demander de l'aide

Lundi dernier, au siège de la filiale du groupe Atos à Casablanca, un ingénieur en informatique, âgé de 42 ans, s'attaque subitement à trois de ses collègues. Souffrant d'une dépression sévère selon les premiers témoignages, l'assaillant a poignardé deux hommes et une femme sous le regard stupéfait de ses collègues. Tandis que les victimes sont admises en réanimation, l'auteur présumé de cette attaque à l'arme blanche est placé en hôpital psychiatrique.

Un homme réservé 

Au tempérament calme, les collègues de cet ingénieur le décrivent comme une personne au caractète plutôt réservé. Toujours selon ces témoignages, il était dépressif, suit un traitement médical et n'arrivait pas à se remettre d'un deuxième divorce difficile.

Ces épreuves mal vécues par cet employé seront-elles les causes ou les facteurs déclencheurs de ce triste incident ? Ou assiste-t-on à l'un des cas extrêmes de burn-out et d’épuisement professionnel, de plus en plus observés au sein des entreprises, comme l'expliquent les experts (Voir entretien ).  A noter que la direction d’Atos Morocco, suite à cet incident, a mis en place une cellule d’accompagnement psychologique au profit de ses collaborateurs. Ceci tout en permettant à ceux le souhaitant, la possibilité de travailler à distance.

Le basculement 

Si l'on ignore jusqu'à maintenant comment cet ingénieur a basculé et en est-il arrivé à ce point là, son cas interpelle toutefois et à plus d'un titre. Il pose beaucoup de questions à propos de la qualité de vie au travail (QVT) et le bien-être des employés dans le milieu professionnel. " La souffrance au travail reste un sujet préoccupant car elle engendre de lourdes conséquences que ça soit sur le plan individuel ou au niveau de l’entreprise ", nous explique Rhizlane Benabbou, psychologue clinicienne.

De l’absentéisme pour stress au suicide en passant par la démotivation et l'apathie... Ce mal peut ronger de l'intérieur et affecter gravement la qualité de vie de sa "victime", comme nous l'explique l'experte. Conjuguée à des problèmes personnels, cette souffrance peut prendre des formes aggravées et se transformer en une bombe à retardement.

Signes annonciateurs 

Comment savoir qu'on est en souffrance ? Si vous souffrez de troubles du sommeil, vous vous réveillez en plein milieu de la nuit pour réflechir aux problèmes de travail, si vous n'avez plus envie de partir au bureau, si vous souffrez de problèmes gastriques, d’hypertension, de maladies cardio-vasculaires ou encore de troubles musculo-squelettiques, si vous n'arrivez plus à gérer votre stress et que vos migraines deviennent tenaces et fréquentes... Il est fort possible que vous soyez une victime potentielle de souffrance au travail.

Dans cet entretien, la psychologue nous explique les causes et les conséquences de cette souffrance tout en indiquant les moyens de s'en préserver et de protéger sa santé mentale dans le milieu professionnel.

" Si vous souffrez au travail, parlez et demandez de l’aide "

Rhizlane Benaabou, psychologue clinicienne

L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Comment expliqueriez-vous cette attaque : Résultat de troubles psychiques sévères, d'une crise de démence ou un accès de folie ?

Rhizlane Benabbou : Ce regrettable incident pourrait être considéré comme une violence au travail selon la définition de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui la considère comme : « toute action, tout incident ou tout comportement qui s’écarte d’une attitude raisonnable par lesquels une personne est attaquée, menacée, lésée ou blessée, dans le cadre ou du fait direct de son travail ».

Les causes derrière un acte de violence dans le milieu du travail pourraient être multiples. Les problèmes de santé mentale et psychosociaux pourraient en faire partie. En effet, le milieu de travail est un environnement où des problèmes de santé mentale seraient plus susceptibles de survenir ou de se déclencher : Stress, anxiété, dépression, burn-out, addictions… Mais, la survenue d’un comportement de violence ne peut pas être expliquée uniquement par la présence ou pas d’un trouble mental.

Comment peut-on en arriver à ce stade ? La dépression et le stress peuvent-ils mener à ce genre de comportements ?

Généralement, dans le domaine de la santé mentale, on trouve une combinaison de plusieurs facteurs (directs ou indirects) derrière un tel comportement :

Facteurs liés au salarié : Sa santé mentale ( souffre-t-il d’un trouble mental ?) sa capacité à gérer son stress, peut-il faire face aux conflits, arrive-t-il à demander de l’aide en cas de besoin… Son hygiène de vie : Dort-il assez ? pratique-t-il une activité physique ou non ? Mauvaise alimentation ? Consommation de substances…

Entrent en jeu aussi les facteurs liés aux conditions de travail. Surcharge de travail, manque de soutien psychologique ou autre, harcèlement ou intimidation ou encore l'exclusion du groupe. Certaines conditions de travail peuvent affecter la qualité de vie d'un employé telles les longues heures de travail (pas de temps pour la vie personnelle), shift de nuit pendant une longue durée, espace mal aménagé ( Manque d’aération, manque de luminosité ou au contraire trop de lumière… Ce sont autant de facteurs qui peuvent impacter la santé mentale et le bien être d"un employé.

Comment gérer la souffrance au travail, qui est souvent combinée à des problèmes personnels, pour préserver sa santé mentale ?

Si vous éprouvez une souffrance au travail, il est important de :

- Parler et de demander de l’aide, à vos supérieurs, à vos collègues, au médecin du travail ou à votre médecin personnel.

- Prendre des pauses, même à courte durée, mais loin des réseaux sociaux, des informations et toute autre source de stress.

- Faire attention à votre sommeil : Dormir et se réveiller tôt.

- Faire de l’exercice régulièrement : La pratique de l’activité physique permet de libérer les endorphines, qui ont une action relaxante et anxiolytique.

- Avoir une alimentation saine pour améliorer votre niveau d’énergie et votre humeur aussi.

- Nouer des bonnes relations sociales qui permettent d’éviter la solitude et l’isolement et procurent un soutien moral en cas de difficultés.