" Nous avons recensé des cas de harcèlement sexuel à l'école primaire"
Narjis Benazzou et le collectif à la 490 à la traque des harceleurs

Un guide digital pratique pour orienter et accompagner les victimes de violence et harcèlement sexuels, c'est la nouvelle initiative du Collectif 490 ( Hors la loi). Sa présidente Narjis Benazzou nous explique les motivations de ce lancement. L'activiste partage avec nous les conclusions de l'expérience de la cellule d'écoute lancée au lendemain de l'éclatement du scandale "Sexe contre bonnes notes". Elle dresse aussi la liste des principaux obstacles empêchant les jeunes victimes de dénoncer leurs agresseurs.

L'Observateur du Maroc et d'Afrique : Comment est venue l'idée d'un guide anti-harcèlement sexuel ? Qui en est la cible principale ?

Narjis Benazzou : Les faits remontent en effet à 2021, lorsque le scandale "Sexe contre bonnes notes " éclate dans des universités et des écoles marocaines. Il s'agissait d'affaires de chantage et de harcèlement sexuel, accompagnés ou non de violence, exercés par des profeseurs contre leurs étudiantes. A cette époque, nous avons agi, en tant que collectif, comme des lanceurs d'alerte en participant au signalement de ces affaires auprès des médias et de l'opinion publique.

Une implication qui a attiré par ailleurs notre attention sur le phénomène du harcèlement sexuel dans le milieu universitaire. Nous avons donc décidé de lancer des appels à témoignages sur nos pages sur les réseaux sociaux. Il faut avouer que nous avons été très déconcertés par l'ampleur du phénomène qui touchait tous les secteurs (privé ou public) et toutes les catégories.

Nous avons recuelli des témoignages sur des actes subis même dans les écoles primaires, en préparatoire et au lycée. Plus surprenant encore, le nombre énorme des témoignages reçus. Ces derniers racontaient presque la même chose et décrivaient la même souffrance. Dans ce contexte là, nous avons donc décidé, au niveau du Collectif 490, de créer une cellule d'écoute et d'accompagnement psychologique et juridique en faveur des victimes de harcèlement.

Parlez-nous de l'expérience de la cellule d'écoute et qu'est ce qui en ressort comme conclusions et constats...

La cellule d'écoute à été créée en mars 2023. Nous avons mis en place un numéro téléphonique pour recevoir les demandes des victimes. Nous leur proposions un accompagnement sous forme de séances individuelles avec le psychologue doublé d'un accompagnement juridique. Notre cible était principalement les étudiants mais suite aux appels reçus, nous avons décidé d'élargir le spectre de nos accompagnements pour inclure des victimes issues d'autres milieux.

Ainsi entre mars et septembre 2023, nous avons pu identifer 33 cas de harcèlement acompagné ou non de violence. La majorité des cas étaient des femmes avec un seul homme. Ces victimes étaient des jeunes qui provenaient de différentes villes du Maroc. Pour celles venant de Casablanca, nous leur avons offert un suivi psychique direct dans nos locaux, tandis que les autres ont été accompagnées à distance. Parmi toutes ces victimes, seulement trois ont eu le courage d'aller porter plainte et on a pu les accompagner dans les démarches juridiques.

Pourquoi donc ce faible pourcentage ? 

Trois d'entre trente trois,  c'est pour vous dire combien c'est difficile de convaincre une victime de dénoncer son agresseur. Cela s'explique notamment par le sentiment de culpabilité, la peur de la stigmatisation mais aussi les pressions qu'elles peuvent subir de la part de leur entourage. C'est pour cette raison qu'en parallèle avec le travail accompli au niveau de la cellule d'écoute, nous avons fait beaucoup de sensibilidation surtout au niveau des réseaux sociaux via des capsules et autres vidéos. démonstratives.

Nous avons en effet remarqué qu'il y a un manque énorme en informations . Les victimes se sentaient seules et ne savaient pas quelles démarches suivre, ne connaissaient pas leurs droits et ignoraient mêmel'existence d'une loi les protégeant. Toute cette expéreinece a donné finalement naissance à ce guide qu'on a voulu très simple et à la portée de tous. Il est écris en darija dans un langage simple avec des dessins et des illustrations très accessible pour qu'il puisse etre compris par tout le monde. Le guide donne des définitions, explique la loi et rapproche des démarches à suivre en cas de harcèlement ou de violence sexuels.

D'après votre expérience auprès des victimes, quels sont les principaux obstacles à la dénonciation de l'harcèlement sexuel ?

Dans le guide nous donnons également une idée sur les pressions subites par les victimes. Parmi lesquelles figure le tabou qui entoure ce genre d'affaires ce qui impliqe beaucoup de culpabilisation et de stigmatisation des victimes. Il y a aussi les pressions exercées par l'entourage familial, len milieu scolaire, par la direction de l'établissement ou même parfois par les autorités dans le but de décourager les victimes de porter plainte.

Il y a aussi le manque de structures de veille et la quasi absence de cellules d'écoute au niveau des universités et des écoles marocaines. Autre point important que nous avons essayé de mettre en évidence dans le guide c'est le manque de formation adéquate pour le personnel sensé recevoir les plaintes des victimes et les orienter ( agents de police, procureurs, juges...).

Un guide en darija, à la portée de tous avec un langage simplifié

Mais l'un des obstacles les plus limitants reste le fait de prouver ces actes de harcèlement et de violence sexuelle. La loi marocaine impose à la victime de prouver les faits et de ramener les preuves du préjudice subi or ce n'est pas toujours facile et possible de le faire. Même des fois que les victimes osent dénoncer leurs agresseurs et d'aller porter plainte, elles avaient beaucoup de mal à prouver les faits. Dans ce même sens, nous notons ce sentiment d'impunité résultant des plaintes qui n'aboutissent jamais ou qui engendre des sanctions dérisoires ou qui sont revues à la baisse en deuxième instance. Ce qui a par ailleurs été confirmé dans l'affaire " Sexe contre bonnes notes".

Quel est l'obectif principal de ce guide et de cette démarche adoptée par le collectif 490 ?

L'Obectif principal de notre initiative est de briser la loi de silence autour du phénomène, dévoiler sa véritable ampleur et surtout de dire aux victimes qu'elles ne sont pas seules, qu'elles avaient à leur disposition des recours pour être accompagnées psychologiquement et judiciairement.

On voulait également faire de la sensibilisation en diffusant l'information à une plus large échelle auprès des jeunes surtout au niveau des universités et des écoles. En plus de nuire à l"intégrité physique, ces actes de violence et de harcèlement sexuels peuvent porter atteinte à la santé mentale des victimes. Pire encore cette souffrance peut aussi les pousser à suspendre leur scolarité tout en compromettant leur avenir professionnel.