Mariage des mineurs : Vers une interdiction définitive ?
Une enfance violée et des destins brisés à cause de la pauvreté

Malgré son interdiction par la loi, les chiffres du mariage des mineurs n'ont cessé d'augmenter ces dernières années. Pointées du doigt, les dérogations prévues par la Moudawana actuelle en seraient la cause principale. La réforme en préparation abolira-t-elle ces exceptions devenues la règle ?

Des filles, qui au lieu de rejoindre les bancs de l'école, sont délestées de leur enfance, des parents qui au lieu de subvenir aux besoins de leurs enfants, préfèrent " s'en soulager " en les donnant en mariage, des juges qui font des dérogations à la loi en se pliant à la volonté des concernées, des hommes qui les préfèrent jeunes voire très jeunes ... Ce sont là les éléments de la difficile équation du mariage des mineurs. Un phénomène aux ramifications socio-économiques qui persiste malgré son interdiction par la loi marocaine... A quelques exceptions près.

Interdit à moins de 18 ans

Joingnant sa voix à celle des associations de défense des droits des femmes et des enfants, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a émis une nouvelle recommandation, mardi 20 février 2024. Dans son avis intitulé « Le mariage des filles et ses répercussions négatives sur leur situation économique et sociales ", le CESE recommande d'abolir toutes les dérogations de la loi stipulées dans le Code de la famille actuel. Dans sa ligne de mire, les articles 20, 21 et 22 de la Moudawana qui autorisent le mariage des filles âgées de moins de 18 ans (âge légal).

Ces articles donnent en effet au juge la possibilité d'autoriser le mariage des mineurs sous certaines conditions. Insistant sur l'intérêt suprême de l'enfant, le Conseil recommande d'inclure " des dispositions légales dans le nouveau Code de la famille afin de lutter contre toutes les pratiques préjudiciables aux enfants ". Décryptage ? Reforcement des systèmes de protection sociale, soutien financier aux familles défavorisées et accompagnement socio-économique pour dissuader les parents en situation vulnérable de marier leurs filles... Sont autant de pistes indiquées par le CESE pour lutter contre le phénomèe qui ne cesse de s'amplifier depuis l'adoption du Code de la famille en 2004.

Chiffres inquiétants

Selon le dernier rapport du Ministère public dévoilé à l’occasion de l’ouverture de l’année judiciaire 2024, sur un total de 14.197 demandes d'autorisations déposées auprès des tribunaux, 5.240 ont été rejetées, tandis que 8.452 ont été traitées favorablement. L’année précédente a par contre enregistré quelques 20.097 demandes avec 6.445 rejets et un total de 13.652 avis favorables.

Malgré les efforts déployés pour limiter le phénomène, la Moudawana qui a fixé l’âge légal du mariage à 18 ans, laisse pourtant la porte ouverte aux dérogations à travers les autorisations accordées par les juges. Ainsi plus de 102.000 unions avec des filles mineures ont pu avoir lieu entre 2004 et 2014, selon les données du Haut commissariat au plan (HCP). Rien qu’en 2019, 27.623 demandes d’autorisation de mariage de mineures ont été déposées auprès des tribunaux du royaume. « Des chiffres hautement inquiétants », commente alors El Hassan Daki, président du Ministère public.

Les raisons des juges

« Si en tant que juges nous ne sommes pas responsables des chiffres alarmants des demandes de mariage de mineurs car c’est plutôt une problématique culturelle et socio-économique, nous sommes par contre responsables du nombre d’autorisations accordées », note Daki. Une situation assez délicate pour les juges marocains qui devraient trancher et accorder des autorisations sensées être exceptionnelles mais qui sont devenues au final une règle.

Mais pourquoi les juges autorisent-ils ces mariages précoces ? La réponse a été apportée par une étude du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) réalisée en 2022. Cette dernière dévoile en effet les explications avancées par les juges marocains pour autoriser le mariage des mineures. Dix raisons ont été ainsi recensées par les auteurs de l’étude. En tête vient le « respect » des traditions et des us locaux qui font que les filles doivent être mariées précocement. « Pour les protéger de toute déviance, préserver leur moralité et pour ne pas rater le coche du mariage », justifie-t-on.

Pauvreté, principal coupable

Les filles sont plus disposées à être mariées précocement lorsqu’elles sont orphelines ou lorsque l’un des parents est absent. Une raison qui rejoint une autre avancée par les familles et acceptée par les juges : La vulnérabilité socio-économique des filles objet de demande. Les mineures sont également autorisées à convoler en justes noces avant 18 ans lorsque le prétendant est un parent proche, un cousin ou autre.

L’étude révèle que l’abandon scolaire reste l’une des principales raisons avancées par les juges pour autoriser ce type de mariage. Cette enquête montre que de nombreux parents vont valoir " la sagesse précoce malgré le jeune âge de leurs filles ". Autre cause avancée par les juges marocains pour justifier ces autorisations : Le viol. Malgré l’abolition du controversé article 475, les tribunaux reçoivent toujours des demandes de mariage de filles mineures à leurs violeurs.

Se marier pour fuir la pauvreté ? Un faux calcul selon le CESE qui affirme qu'au delà de l'impact direct sur la mineure, le mariage précoce aurait " Un effet désastreux sur le développement économique et social. Perpétuant la pauvreté intergénérationnelle, il accentue les inégalités entre les genres en compromettant le dévellopement (physique et psychique), l'éducation et l'avenir des filles précocement mariées.