EGYPTE : Frères musulmans, pourquoi ont-ils perdu le pouvoir ?
Mireille DUTEIL

«Mohamed Morsi a perdu son pari. Il n’a pas su gérer le pays ». A la mi-juin, au Caire, l’auteur de ce jugement lapidaire et sans appel n’est pas un opposant égyptien. Mais le docteur Mohamed Habib, ancien numéro 2 des Frères musulmans mis à l’écart à l’arrivée du nouveau Guide, comme tous les représentants de l’aile modérée et réformiste de la Confrérie.

Pourquoi un tel échec après une seule année de pouvoir ? En fait, il n’était que trop prévisible. Passer de quatre-vingts ans d’opposition, avec de longues périodes d’exil et d’emprisonnement, au pouvoir n’est pas aisé. Les Frères musulmans égyptiens avaient de nombreux handicaps.

Le premier est de ne pas avoir compris la principale motivation du printemps arabe. La Confrérie a pris le train en marche en janvier 2011. Les jeunes, des citadins éduqués en majorité, ont investi la place Tahrir au nom de la démocratie, de la liberté et pour demander le départ d’Hosni Moubarak le despote, et la fin de son système fondé sur les moukhabarat, la corruption et les prébendes. Musulmans, coptes, jeunes Frères musulmans ou laïcs, ils rêvaient de changer les règles du jeu. Aucun slogan religieux n’a été crié place Tahrir jusqu’à ce que les Frères entrent en scène, le 18 février, après le départ de Moubarak, le 11.

La Confrérie, ce mouvement conservateur, soucieux de succéder à Moubarak pour imposer un ordre qui ressemblait, la religion en plus, au précédent, ne répondait pas aux attentes d’une partie des Egyptiens.

Leur deuxième handicap : ne pas comprendre qu’en Egypte, vieux pays de vieille culture, traditionnellement tolérant, berceau d’une cohabitation religieuse (musulmans et chrétiens) depuis quinze siècles, où vit une société civile dynamique, il ne suffit pas d’être élu avec 51,7% des voix, pour gouverner. Il faut tenir compte des perdants. Or Morsi n’a pas su devenir le président de tous les Egyptiens, comme il l’avait promis. Il s’est vite aperçu qu’il ne contrôlait ni l’armée, ni la police, ni la justice, ni les médias. Les hommes d’affaires lui étaient hostiles et l’administration faisait de la résistance quand il voulait nommer à des postes-clés des Frères musulmans regardés comme une « police politique » de la Confrérie. Acculé, il a voulu passer en force, se donnant en novembre, par décret, des pouvoirs que le judiciaire ne pouvait pas contrôler et faisant passer à la va-vite une constitution contestée. Ce fût le début de la fin.

Le troisième handicap lui fût fatal : le manque d’expérience économique. Les Frères musulmans n’avaient guère de programme pour remettre sur pied un pays qui partait à vau-l’eau depuis un an. En 2012, les prix des denrées de base ont augmenté de 5% et les revenus des ménages, chuté de 13%. Les investissements étrangers ont diminué de 60% ; le tourisme, troisième rentrée en devises du pays, s’est effondré. Il assurait 30% des emplois directs et indirects. Les réserves de change ont chuté drastiquement, entraînant la baisse de la livre égyptienne et les pénuries faute d’argent pour importer. Un cercle vicieux. Il n’a pas été difficile de mettre des millions d’Egyptiens dans la rue pour demander son départ. Ils étaient plus nombreux que les 12, 4 millions qui l’avaient élu à la tête de l’Etat, le 24 juin 2012. раскрутка за рубежом