Peines alternatives : on s'inquiète pour l'équité
Serons-nous tous égaux devant la justice si certains peuvent payer et d'autres non ?

Le débat reprend de plus belle après le vote de la loi sur les peines alternatives par la Chambre des Conseillers. Impunité, inégalité et encouragement de la récidive, les Marocains s'inquiètent.

" Les pauvres iront en prison, les riches, eux, achèteront leur liberté ", " Seuls les pauvres payeront pour leurs crimes. Les riches se contenteront de payer ", " C'est injuste ! Qu'en est-il du principe d'égalité devant la justice ? "... Ce sont des exemples des multiples réactions provoquées par le projet de loi sur les peines alternatives votée à la Chambre des Conseillers. Entre inquiétude et désarroi, cette nouveauté légale ne fait pas l'unanimité...

Méfiance 

Après plus de sept mois de blocage, la Commission de la justice, de la législation et des droits de l'homme a finalement approuvé à l'unanimité, mercredi dernier, le projet de loi n° 43.22 avec 115 voix pour, 41 voix contre et 4 abstentions. Ce projet de loi a été majoritairement approuvé, fin octobre par la Chambre des représentants avant d'être transmis à la Chambre des Conseillers le même mois.

À peine voté, le débat reprend sur la toile à propos de ce projet de loi à la fois attendu et controversé. Une polémique qui a par ailleurs accompagné les différentes étapes de son élaboration et de son adoption. Les peines alternatives et spécialement les jours-amendes ont dès le début provoqué les inquiétudes des juristes, des défenseurs des droits humains et aujourd'hui du citoyen lambda. La possibilité d’acheter sa liberté en payant des amendes par jour est spécialement critiquée.

Egalité en danger ?

"Cette mesure est particulièrement injuste. Elle accentue les inégalités sociales et cultive le principe d'impunité des riches", critique un internaute en réaction à l'information. Même réaction de la part du juriste Rachid Akharaz qui indique un autre risque lié à cette peine. " Les personnes aisées pourront acheter leur liberté ce qui pourrait les encourager à commettre à nouveau les mêmes infractions et à payer encore et encore puisqu'ils ont les moyens ", s'alarme-t-il.

Pour ce dernier, plusieurs indicateurs pourraient conduire " à l'échec de cette loi et compromettre son application correcte". " Parmi lesquels je cite l'élargissement de son champ d'application pour inclure les délits passibles de peines allant jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. Alors qu'il aurait été préférable de procéder d'une manière progressive en l'appliquant d'abord aux délits passibles de deux ans de prison avant de l'étendre ultérieurement aux autres délits ", argumente Akharaz.

Droits des victimes 

Les sources d'inquiétude des internautes se multiplient et diffèrent, mais s'accordent finalement sur le principe d'égalité qui risque d'être compromis " tout en permettant l'impunité des coupables" comme l'estime une internaute commentant le vote. Un point de vue partagé par Naoufal Bouamri, avocat et activiste des droits humains qui s'alarmait déjà alors que le projet de loi était encore en gestation.

« Au-delà de l’aspect lié aux classes sociales et aux inégalités inhérentes, on s’interroge sur les droits effectifs des victimes. Comment va-t-on les traiter dans ce genre d’affaires où les coupables sont condamnés à acheter leur liberté ? » , sinterroge l'avocat en soulevant la grande question de la réparation du préjudice par l’instauration de la justice. Payer sa liberté est-ce une véritable sanction ? Les victimes pourront garder confiance en la justice lorsqu’un coupable est capable d’échapper à la sanction moyennant des amendes ? Autant de questions posées par le juriste et reprises aujourd'hui par de nombreux internautes.

Peines plus humaines 

La nouvelle loi n'a toutefois pas que des détracteurs. Se réjouissant de l'évolution vers "un système de justice pénale plus humain ", Ahmed Kamaly estime que les peines alternatives sont une aubaine. " C'est un bon moyen de réhabilitation des "délinquants" et des "coupables". Au lieu de se focaliser sur la notion "infertile" de châtiment, ces sanctions seront fructueuses à travers le service communautaire, les rentes et les programmes de sensibilisation et de réhabilitation ", argumente le chercheur.

D'après ce dernier, les peines alternatives offrent aux condamnés la possibilité à la fois de contribuer aux actions sociales et de corriger leurs erreurs sans nuire à leur avenir. Elles réduisent également la surpopulation carcérale et réduisent les charges pour l'État. " Ceci dit pour une application réussie, il est nécessaire de s'assurer que les peines alternatives bénéficieront réellement à ceux qui les méritent ", conclut-il en mettant en garde contre les « dysfonctionnements susceptibles de porter atteinte à l'équité de la justice".

Rappelons que selon le projet de loi, la peine de jours-amendes ne s’applique pas dans les affaires d’abus sexuels sur mineurs, trafic d’organes, trafic de drogues, terrorisme, abus de pouvoir; blanchiment d'argent et corruption