Femmes rurales : Entre marginalisation et émancipation
Un lourd fardeau d'inégalités et de marginalisation

Actrices principales du développement agricole et rural, les femmes rurales sont pourtant reléguées au second plan dans un contexte socio-économique marqué par les inégalités. Retour sur l’état des lieux, les efforts déployés pour une meilleure inclusion de la femme rurale et les freins à son émancipation.  

La condition des femmes rurales au Maroc revient au cœur du débat à l’occasion de leur journée internationale célébrée chaque 15 octobre. Actrice principale du développement économique et social des zones rurales, la femme continue pourtant de souffrir des inégalités persistantes, des mentalités récalcitrantes, de l’exploitation tout en subissant, doublement, l’impact des changements climatiques. Des «résistances » qui ne freinent toutefois pas une certaine évolution de sa condition grâce notamment aux programmes d’inclusion socio-économique et de développement durable. Le changement climatique s’y met aussiSelon un récent rapport du réseau «EuroMed Rights », l’impact des changements climatiques dans les pays de la région MENA dont le Maroc, est particulièrement lourd pour les femmes. La migration à cause de la sécheresse entraîne particulièrement de graves conséquences socio-économiques pour les femmes. Ces dernières sont frappées de plein fouet par le phénomène car représentant la principale main d’œuvre dans les champs.« La sécheresse réduit ainsi considérablement leur contribution aux recettes familiales, accentue leur dépendance financière, réduit leur autonomie tout en fragilisant leur situation socio-économique en les exposant à l’exploitation dans les champs et à la maltraitance dans le milieu familial », explique à L’Observateur du Maroc et d’Afrique Noura El Mounim, membre du Bureau régional de Béni Mellal/Khénifra de la Fédération des ligues des droits des femmes.Dans son rapport 2023, le HCP révèle la forte participation féminine à l’activité agricole. Les chiffres indiquent en effet que l’agriculture et la pêche restent les premiers employeurs des femmes, avec 30,1% des effectifs ceci malgré une baisse de 6,4 points par rapport à 2010. Le rapport du HCP indique aussi qu’en 2019 près de 7% des exploitations agricoles marocaines sont gérées par des femmes.Inégalités persistantesUne forte présence et une forte participation qui reste cependant « mal récompensée » car les femmes continuent de travailler dans des conditions précaires avec des salaires bas et inférieurs à leur compères masculins, comme le déplorent les associations féministes qui ont par ailleurs lancé une campagne de sensibilisation à l’occasion de la journée internationale des femmes rurales. Objectif ? « Sensibiliser les femmes elles-mêmes à leurs droits et aux outils à leur disposition, tout en incitant les hommes à repenser leur rôle au sein des communautés rurales », indiquent ce collectif dans la présentation de son initiative.Au programme, des forums, des ateliers et des rencontres pour débattre des difficultés rencontrées par les femmes rurales et des solutions concrètes. Derrière cette campagne, des associations actives auprès des populations dans les zones rurales et les zones reculées telles l’Union nationale des femmes marocaines (UNFM) et l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM).Les freins« A travers notre travail sur le terrain auprès des femmes rurales, on peut dire que l’un des principaux freins au développement de leur condition reste l’analphabétisme qui est largement répandu parmi les rangs de cette population. Un véritable handicap qui prive ces femmes des opportunités d’amélioration de leur statut socio-économique », nous explique Noura El Mounim. Opérant auprès des femmes dans la région de Beni Mellal et Khénifra, l’activiste pointe du doigt également la vulnérabilité socio-économique et le taux de chômage féminin élevé.« Ceci alors même qu’il y a d’importantes expériences et des coopératives créatrices d’emploi mais dont l’impact reste limité car non généralisé et ne touchant pas la grande majorité des femmes rurales. Un autre frein qui est également lié au manque d’infrastructures dans les zones reculées ce qui aggrave les inégalités principalement en termes d’accès aux services, à la santé et à l’éducation», note l’activiste de la FLDF. InitiativesRappelons que depuis son lancement en 2005, l’INDH, à travers différents programmes, tente d’améliorer les conditions socio-économiques des femmes issues du milieu rural à travers notamment leur autonomisation. « Nos coopératives reçoivent des financements de l'Initiative Nationale pour le Développement Humain, de l'Agence de Développement Social, du Ministère de l'Agriculture et d’organisations étrangères. En plus du soutien financier, elles bénéficient également de l'appui du réseau, incluant des formations, de l'encadrement des bénéficiaires ainsi que l'accompagnement et le suivi de leurs projets », nous explique Youssef Er-rami, coordinateur au réseau TADA-Azilal.Incubateur de coopératives, ce réseau s’adresse aux femmes des zones rurales et montagneuses d’Azilal. « Ces coopératives leur offrent en effet un nombre important d'opportunités d'emploi en contribuant de manière significative à renforcer leur autonomisation économique et sociale et en améliorant leur condition de vie et celles de leurs familles », ajoute Er-rami. Mentalités récalcitrantesUne participation active à l’essor économique de leurs régions et à l’amélioration de la situation de leurs communautés qui ne met toutefois pas les femmes rurales à l’abri des inégalités. « Il faut dire que les mentalités peines à suivre l’émancipation des femmes rurales. Paradoxalement, malgré leur forte valeur ajoutée en termes économiques, elles continuent cependant à souffrir de sexisme et de marginalisation. Le même constat pour l’accès au financement et aux ressources naturelles telles les terres, l’eau et même les crédits ce qui constituent de véritables obstacles à l’entreprenariat féminin en milieu rural », déplore l’activiste de la FLDF. Cette dernière soulève encore une fois la problématique de l’accès à la propriété, à l’éducation, aux soins de santé de base qui restent des défis majeurs pour ces femmes malgré les efforts du Royaume pour améliorer leur condition. Si pour Youssef Er-rami, les coopératives représentent un véritable tremplin pour les femmes rurales, pour El Mounim, les programmes d’inclusion, malgré leur nombre et leur pluralité, restent insuffisants car lancés avec des budgets réduits et limités ce qui affecte leur impact pour le long terme.Comment améliorer la situation et favoriser l’émancipation de la femme rurale dans ce cas là ? « Pour commencer les politiques publiques et les programmes de développement doivent prendre en considération les besoins réels des femmes et des filles de ces régions. Il faut également renforcer l’arsenal juridique pour protéger le droit des femmes à propriété en milieu rural, une meilleure orientation, la sensibilisation, la formation, l’éducation et la gestion intégrée des ressources en milieu rural en prenant en considération le respect de la parité et de l’égalité des chances », insiste l’activiste.Adopter une approche genre pour le renforcement de la représentativité féminine dans les collectivités locales et dans la prise de décision au niveau communale avec un accès égalitaire aux ressources, au financement serait selon Noura El Mounim un bon début pour bien accompagner l’émancipation de la femme rurale.