Dames ou échecs
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Par Vincent Hervouët

Qui a dit que l’Europe était en panne ? Mardi soir, elle a nommé deux femmes de pouvoir, deux femmes d’élite à la tête des institutions les plus importantes de l’Union. Ursula Van der Leyen, présidera la Com- mission, l’exécutif européen. Christine Lagarde dirigera la Banque Centrale européenne qui a la haute main sur l’Euro. Ce duo inattendu surgit au moment où l’opinion commençait à désespérer du mercato européen ouvert depuis des mois. Ces dames mettent échec et mat les sceptiques, les pessimistes, les rabat-joie. Leur tandem montre qu’à 27, on parvient encore à prendre des décisions. Il démontre que le tandem franco-allemand garde le manche. Et surtout, que l’Union européenne reste ce qu’elle a toujours été : une formidable machine de propagande progressiste.

Gloire à l’Europe qui donne l’exemple de la parité (deux femmes et deux hommes nommés aux postes clefs), qui recherche le consensus et trouve l’équilibre... Admirons ce triomphe du féminisme qui finira par être la seule idéologie encore debout. Ajoutons que se vérifie l’adage selon lequel, dans la vie européenne comme au foot, « à la fin, c’est l’Allemagne qui gagne » car Angela Merkel voulait à tout prix imposer un compatriote pour piloter la Commission.

Derrière la façade...

On peut ajouter que les dirigeants européens ont su reconnaitre les talents. Car les deux lauréates n’en manquent pas. Ursula Van der Leyen a fière allure avec son casque de cheveux blonds et ses yeux verts de gris. L’image fait honneur à l’Union qu’elle va désormais incarner face au monde. Son cv lui ressemble, impeccable. Elle est née pour être commissaire. Son père l’était. Il l’a élevée à Bruxelles. Ensuite, c’est une enfant de Göttingen, la Basse Saxe dont il est président. Très bonne élève de très bonne famille, elle est polyglotte. Elle devient gynécologue et économiste, c’est peu banal. Elle étudie à Stanford et à la London School of Economics. Le comble, c’est qu’elle a trouvé le temps de faire sept enfants. Et en plus, de faire de la politique. Chouchou d’Angela Merkel et doyenne du gouvernement allemand, elle est ministre depuis quinze ans, première femme ministre de la Défense... Elle plait aussi à Emmanuel Macron parce que c’est une icône réac et en même temps progressiste : elle a milité pour le droit des couples homosexuels à l’adoption et le salaire minimum garanti...

Sur le papier, un sans-faute. En cherchant derrière la façade, on réalise que les Sociaux-démocrates voulaient la virer du gouvernement de coalition et que la CDU la défendait du bout des lèvres. En Allemagne, le Ministre de la Défense est maudit. Son budget dérisoire, 1,3% du PIB. Ursula Von der Leyne n’a pas réussi à réformer la Bundeswehr dont les équipements sont dans un état piteux. Des audits trop chers payés, la rénovation du navire école qui est un naufrage comptable, une polémique sur ses diplômes, une autre sur l’extrême-droite dans l’armée ont jalonné sa descente aux enfers dans les sondages. Ursula Von der Layen a même une enquête parlementaire aux basques.

C’est donc la plus faible des ministres allemands qui trouve une porte de sortie, en rentrant à Bruxelles, sa ville natale.

La reine Christine

On pourrait faire un portrait parallèle de Christine Lagarde. Elle aussi est polyglotte, élégante, volontaire, avec des vies antérieures. Elle a été championne de natation synchronisée ! Et elle a réussi une exceptionnelle carrière d’avocat d’affaires aux Etats-Unis, avant de basculer en politique. Repérée par Nicolas Sarkozy qui lui a confié le ministère de l’Economie, elle s’est retrouvée en première ligne pendant la crise de la zone euro. En supervisant le sauvetage de la Grèce, elle a appris à connaitre les rouages politiques aussi bien que les marchés financiers. Cette double expérience lui a été précieuse pour intégrer le club des grands de ce monde où la reine Christine a fait son chemin depuis qu’elle a pris la direction du FMI.

Son aisance sur la scène mondiale ne lui donne pas pour autant l’autorité d’une banquière centrale, la hauteur de vue d’un penseur de l’économie. Et cela ne fait pas oublier son faux pas dans l’affaire Tapie : elle a été condamnée pour « négligence »en ayant autorisé une procédure arbitrale très avantageuse à l’homme d’affaires, familier de Nicolas Sarkozy.

Ce sont deux représentantes des élites mondialisées qui prennent en main le destin de 400 millions d’Européens. Et le paradoxe, c’est qu’elles ont été choisies au lendemain d’élections marquées par la poussée des souverainistes, des populistes et des eurosceptiques qui remettent justement en cause ce modèle sans frontières, progressiste, fédéraliste et ultralibéral.