Nabil Ayouch:Quelques grammes d’humanité dans un monde…de violence

Interview réalisée par Kawtar Firdaous

Passionné et engagé, Nabil Ayouch a le souci permanent de rester fidèle à la réalité, avec un grain de composition et de subjectivité. Sensible au langage du corps, il traque le moindre détail, le moindre geste et tient à filmer ses personnages tels qu’ils sont au plus profond de leur âme. Avec une oeuvre construite essentiellement sur des films engagés, il continue, nous dit-il « d’aborder des thématiques fortes avec justesse et beaucoup d’adresse ». Inspiré par la vie et avide de vérité, il penche pour les héros de tous les jours et son choix artistique repose sur une improvisation qui veille à ne jamais trahir le naturel. Une logique qui questionne en permanence le réel, entrevoit les nuances et dans laquelle s’inscrivent son premier documentaire sur le conflit israélopalestinien My Land (sortie nationale le 09 octobre) et son dernier chef d’oeuvre Chevaux de Dieu prénominé aux oscars. Le Cinéma est pour lui ce moyen d’expression par excellence grâce auquel il continue à se chercher. En essayant en permanence d’être à l’écoute et en éveil, il reste particulièrement sensible aux films qui tournent autour de l’humain. « J’ai besoin d’être nourri en voyant un film » nous confit-il. Rencontre avec un grand humaniste pour qui « l’injustice reste la chose qui le heurte le plus au monde ».

L’Observateur du Maroc. My Land est votre 1er documentaire sur le conflit israélo-palestinien ? Que représente- t-il pour vous ? Nabil Ayouch. C’est un film militant qui passe par l’humain. Lorsque je me suis rendu compte qu’il y a des êtres humains qui méritent qu’on les écoute des deux côtés de la frontière et qu’au-delà du contexte politique, il y a une conscience de ce qui se passe, je me suis senti un peu apaisé et soulagé. Car, aucun des jeunes israéliens que j’ai interviewé n’a refusé de visionner le témoignage des réfugiés palestiniens.

Est-ce que ça vous a permis de vous réconcilier avec vos origines juives ?

Oui, dans le mesure ou j’associais cette partie juive de mes origines au conflit Proche-Orient et à la situation que subissent les palestiniens. Inconsciemment, je dressais des ponts entre cette partie de mes origines et la politique de l’Etat d’Israël, ce qui n’a rien à voir. La partie de ma famille juive est très tolérante et très ouverte par rapport à mes opinions politiques, mais j’avais envie de devenir acteur de ce conflit d’un point de vue beaucoup plus proche de mes aspirations et de mes sentiments profonds.

Le montage est la 3ème écriture d’une oeuvre cinématographique. Certaines scènes sont d’une violence inouie. C’est forcément subjectif et on est forcé de pencher d’un côté plus que l’autre…

C’est le montage qui donne sens au film. Une des premières choses qui m’a choquée chez les jeunes, israéliens, c’est ce qu’ils me disaient avec leur bouche, ce n’est pas ce qu’ils me disaient avec leurs yeux, leurs attitudes. Le langage de leur corps les a trahis et J’avais envie de montrer ce malaise, ces contradictions et ce déchirement. J’avais envie de les filmer tels qu’ils sont au plus profond de leur âme. Je voulais donner une image juste de la réalité telle qu’elle est. Cela dit, j’ai des convictions politiques très fortes, j’ai un sens de l’injustice et c’est là chose qui me heurte le plus au monde. Et l’injustice, elle est du côté palestinien. Montrer la réalité d’une façon ou d’une autre, c’est aussi de la composition, c’est certain : il y a l’écriture, le tournage et il y a le montage. Pour moi, le montage est quelque chose d’obsessionnel. Ce que j’ai voulu filmer, c’est de la contradiction, de la souffrance profonde de ces jeunes israéliens qui vivent sur une terre qui n’est pas la leur et qui ont du mal à se débarrasser des traces laissées par ces fantômes qui ne sont jamais partis.

Une troisième pré-nomination aux Oscars. Après « Mektoub » et « Ali Zaoua ». Vous repartez avec Chevaux de Dieu à Los Angeles pour tenter de décrocher cette fois la récompense suprême. Quel est votre sentiment ?

Je me sens comme un coureur qui est sur la ligne de départ d’un 100 mètres et qui sait qu’au bout, il y a de l’or. C’est très difficile et il faut se battre contre les meilleurs films du monde pour y arriver. C’est à la fois une fierté et un honneur pour moi de représenter le Maroc. J’aimerai être è la hauteur de cet honneur. Cette année, on a peut-être plus de chance que les fois précédentes, parce qu’il y a une machine Marketing derrière. Pour la première fois, il y a des gens aux USA qui soutiennent le film, même si pour les américains, c’est très dur de voir un film qui va à l’inverse de ce qu’on leur a inculqué, un film qui leur montre que tous les arabes et les musulmans ne sont pas des terroristes en puissance. Lors des projections du film à Seattle et à New York, je leur avais signifié qu’il était temps pour eux d’arrêter de voir le monde en noir et blanc et qu’il fallait essayer de voir les nuances qu’il y a au milieu.

Le réalisateur américain Jonathan Demme a qualifié le film d’oeuvre magistrale. Pourquoi a-t-il choisi de défendre et de promouvoir le film aux USA ?

Parce qu’il est tombé amoureux du film lors de sa projection à Marrakech. Jonathan permet de donner une vraie visibilité au film. Son nom est un vrai poids et un vrai support pour le film. Cela dit, pour les distributeurs américains, c’est la logique du business qui prime.

Vous faites souvent appel à des acteurs non professionnels pour les rôles principaux de vos films, que ça soit pour « Ali Zaoua » ou « Chevaux de Dieu ». C’est votre souci permanent de ne pas trahir la réalité ?

Je fais d’eux ce qu’ils sont. Les héros et les personnages de leur propre vie. C’est un choix artistique. Moi, j’ai fait le choix d’aller chercher leur vérité à eux, même s’ils n’ont pas la formation d’acteurs. Après, je les dirige pour qu’ils soient de bons comédiens. C’est plus dur d’aller chercher des gens qui sont de bons comédiens et de leur rentrer dans les veines le réel. En plus, j’aurais le sentiment de trahir les vrais héros de l’histoire.

Comment réussissez-vous ce pari ?

C’est beaucoup de travail. Tout le monde n’a pas ce potentiel. Lors du casting de « Chevaux de Dieu », j’avais vu 1000 personnes pendant 2 ans, avant de trouver les cinq qui étaient pour moi, les bons. Moi, je ne travaille pas sur les répétitions de séquences, j’essaie de ne pas les épuiser, de garder leur naturel et de travailler surtout sur les improvisations.

Quelle est la chose plus dure dans ce métier ?

C’est dur d’écrire des scénarios parce que c’est boulot de chien, de solitaire. Il faut s’enfermer et se couper du monde pendant des mois. C’est insupportable d’aller chercher de l’argent parce qu’on a l’impression de mendier en permanence. Le tournage, c’est le plus dur parce qu’il y a une pression énorme, on ne dort plus, on ne mange plus. On oublie sa famille, ses enfants, on sait qu’à chaque seconde, tout peut s’arrêter ; un comédien qui se casse une jambe, des décors qui prennent feu. C’est très fragile, chaque minute coûte de l’argent, il faut aller vite et en même temps, ce que vous faites, c’est gravé pour l’éternité, donc il y a une concentration énorme. Par contre, j’adore le montage parce c’est le seul moment où je me retrouve seul dans une pièce avec le monteur et où je peux réécrire le film dans le calme et la sérénité.

Pourquoi avoir choisi de faire ce métier plutôt qu’un autre?

C’est la seule chose que je sais faire. J’avais besoin d’exprimer des choses qui étaient enfuies à l’intérieur de moi. J’ai commencé par faire l’acteur et je n’étais pas très bon, j’ai essayé la mise en scène au théâtre, c’était trop étriqué. De plus, j’avais envie de me réconcilier et de renouer avec mon identité marocaine parce que j’ai grandi en France et je ne connaissais pas le Maroc.

Si vous n’étiez pas réalisateur, vous auriez aimé faire quoi ?

Si j’avais été reçu dans les écoles d’architecture, j’aurais probablement fait architecte.

Qu’est-ce qui vous inspire ?

La vie en général. J’essaie d’être tout le temps à l’écoute et en éveil. Des cinéastes comme Chaplin, Terrence Malik, Clint Eastwood, Orsen Wells, Kubrick ou Claude Sauté m’ont beaucoup inspiré. Les films de Scorcesse jusqu’en 89, comme « les Affranchis » ou « Fargo » des frères Cohen sont de pures merveilles. Pour ce qui est des acteurs, je suis un grand admirateur de Marlon Brando et fan de Sean Penn, Anthony Hopkins, Jonhy Depp…

Quel genre de films aimez- vous?

Les films qui tournent autour de l’humain et qui racontent quelque chose. J’ai besoin d’être nourri en voyant un film, sinon, ça ne m’intéresse pas.

Quel est le Secret de votre réussite ?

Il n’y a pas de secrets, c’est du travail, de la croyance. Je suis quelqu’un qui croit beaucoup à ce qu’il fait, qui croit aux gens, en l’être humain. J’aime être passionné et j’aime cette idée de croyance parce que ça vous donne une force, ça décuple. Ce qui augmente vos chances de réussite.

Votre projet d’avenir ?

Il y a un projet en phase d’écriture de Mahi Binebine sur les dernières années de Hassan II. C’est un personnage historique très intéressant, qui à mon sens, mérite d’être porté à l’écran. Cela dit, je ne compte pas faire un film négatif sur Hassan II. Si je le fais, je vais essayer de l’aborder avec justesse et beaucoup d’adresse comme j’ai fait avec tous mes autres films.