DIMANCHE GENÈVE: « Yes, we scan ! »
Vincent HERVOUET

François Heisbourg incarnerait aux Etats- Unis le « lobby militaro-industriel ». En Turquie, on parlerait de « l’Etat profond ». Ancien élève de l’Ena, il a conseillé les ministres successifs de la Défense et les présidents de grandes sociétés d’armement, piloté les think tank stratégiques les plus prestigieux (IISS à Londres, Fondation de la Recherche stratégique à Paris, Centre de Politique de sécurité de Genève) et animé la Commission du livre blanc de la Défense. Un parcours d’élite à l’américaine, entre public et privé, action politique et réflexion stratégique. Il est installé au coeur de l’Etat dont il connaît les arcanes et tutoie les vedettes. D’où la curiosité que constitue le petit livre qu’il consacre à l’Europe et à son démon, l’Euro. François Heisbourg est un militant de l’Europe. Il partage l’utopie d’une Europe fédérale. C’est pour sauver ce rêve qu’il juge urgent de se débarrasser de l’Euro.

François Heisbourg prédit la faillite inéluctable de la monnaie unique qui plombe l’économie du continent. Il propose d’organiser la liquidation de l’euro, vite et à froid, dans les deux ans qui viennent, avant que la crise financière n’oblige à le faire en catastrophe. C’est la première fois qu’un intellectuel installé au coeur de l’Etat évoque « la Fin du rêve européen » (Editions Stock) et remet en cause à haute voix sa monnaie. Seuls des marginaux s’y étaient aventurés jusqu’à présent. Aucun des partis de gouvernement n’a osé briser le tabou. Ayant ainsi prouvé sa liberté d’esprit, il était intéressant d’écouter ce que François Heisbourg qui connait bien le monde du renseignement avait à dire du scandale de la NSA. On s’attendait à un haussement d’épaules, genre « tout le monde écoute tout le monde ». Pas du tout. Ce qui l’effraie, c’est que les grandes oreilles américaines puissent livrer leur moisson à 850 000 personnes habilitées « Secret défense ». Avec dans le lot, des personnalités aussi fragiles qu’Edward Snowden.

Combien d’autres ont utilisé ou utiliseront les secrets auxquels ils auront eu accès pour leur bénéfice personnel et tous les trafics d’influence qu’on peut imaginer ? Question subsidiaire: comment expliquer qu’avec une telle frénésie de contrôle, une telle masse de données traitées, les services américains se soient avérés aussi nuls à prédire l’avenir immédiat, c'est-à-dire à interpréter le présent. Même à Benghazi où la CIA disposait d’un personnel nombreux, ils n’ont pas vu monter la menace terroriste, ni compris la nature de l’attaque qui a coûté la vie à l’ambassadeur en Libye. Conséquence de ces révélations en cascade provoquées par E.Snowden, une crise de confiance sans précédent de part et d’autre de l’Atlantique. Les mensonges de Barack Obama jurant à Angela Merkel qu’il ignorait que son téléphone était écouté ont altéré pour longtemps l’image de marque du Président américain restée inentamée positive en Europe. Obama, prix Nobel d’hypocrisie ? Ecouter aux portes de ses amis, ce n’est pas bien. Sauf que les services de renseignement n’ont pas d’amis. Et une seule morale, la raison d’Etat. « Yes, we scan ! » est leur slogan qu’il faut prononcer en silence. La vraie faute de la Nsa, c’est de s’être fait prendre.