«Tous les Iraniens fantasment sur les Etats-Unis»
Mireille DUTEIL

L’Observateur du Maroc. Certains envisagent une négociation très rapide sur le nucléaire. Qu’est-ce qui a changé avec le président Rouhani ?

Michel Makinsky. L’Iran n’a plus d’argent. Les sanctions américaines et européennes ont tari les flux financiers en devises entre l’Iran et les Occidentaux ; les banques internationales ont été soumises à des pressions américaines sous peine de représailles si elles travaillaient avec des banques iraniennes ; 100 milliards de dollars iraniens sont gelés dans des banques étrangères. Quant à la Chine, premier acheteur du pétrole iranien qui représente actuellement 60% des recettes d’exportation, elle paie en yuan ou en échange marchandises. Pékin inonde l’Iran de produits et organise une concurrence dévastatrice pour les PME iraniennes.

La tension entre Riyad et Téhéran est croissante. Une réconciliation sera-t-elle possible tant que l’Iran est engagé en Syrie ?

Pour le président Rouhani comme pour Rafsandjani qui lui est proche, l’état de tension entre les deux pays n’est pas une fatalité. Rafsandjani a tenté un rapprochement quand il était au pouvoir dans les années 90. Notons que l’actuel secrétaire du Conseil Suprême de la Sécurité nationale, l’amiral Shamkhani est un arabe iranien qui pousse à la réconciliation.

Les Saoudiens sont-ils réceptifs ?

Non, pas tant que l’affaire syrienne ne sera pas réglée. Pour Riyad, cet abcès de fixation avec l’Iran accusé de vouloir contrôler la région, c’est aussi un moyen de faire oublier les « printemps arabes » et les revendications chiites en Arabie Saoudite et au Bahreïn. Riyad se sert aussi de l’épouvantail iranien pour pouvoir, demain, contester le nucléaire israélien.

L’Iran peut-elle décider de se retirer de Syrie ?

Les pasdarans et les conservateurs ont beaucoup investi sur le Hezbollah allié de Bachar el-Assad. Pour eux, c’est une fuite en avant. En Iran, il y a une grande pression des officiers des pasdarans pour maintenir « l’axe de la résistance ». L’ayatollah Khameneï a, lui, évolué et encourage le président Rouhani à trouver une solution politique en Syrie. S’il est décidé que Bachar el-Assad se maintient jusqu’aux élections de 2014, l’Iran sauvera la face. Le ministre des Affaires étrangères iranien a précisé que Téhéran n’était pas là pour soutenir une personne mais un pays. Ensuite, ce sera aux Syriens de décider.

Jusqu’où va le soutien du Guide à Rouhani ?

Rouhani et Khameneï sont liés comme les doigts de la main. Chacun sait ce que pense l’autre. Il est totalement improbable que Rouhani tente de jouer sa partition contre le Guide suprême. C’est un vieux couple avec deux objectifs. L’un est la « dépasdaranisation » de l’économie iranienne. Khameneï a fait un discours le 16 septembre où il déclarait que la place des pasdarans dans l’économie devait se limiter à 3 ou 4 grands projets. Le reste devait être du domaine du secteur privé. Les pasdarans ont hurlé. Les nominations des nouveaux ministres du Pétrole, de l’Industrie et des Mines et du Commerce, de la Communication et des technologies de l’Information vont dans ce sens. Le deuxième point est important : l’entente entre le Guide et Rouhani rend possible une réconciliation de l’Iran avec les Etats-Unis. Il n’y a plus d’enjeu de pouvoir à ce sujet entre les deux premiers personnages de l’Etat. Tous les Iraniens fantasment sur les Etats-Unis. Et les sanctions n’empêchent pas les entreprises des deux pays d’avoir des contacts. General Motors fait déjà de la communication en Iran sur le thème : « General Motors revient »