François Hollande dans les sables mouvants
Vincent HERVOUET

Deux semaines de suite, François Hollande sur le tarmac. À l’aéroport militaire de Villacoublay, il anime devant les caméras un grand moment de ferveur nationale, le retour d’otages après trois ans de captivité au Mali. Les otages eux-mêmes restent muets, leur air farouche et leurs longues barbes gâchent un peu la fête mais il en faudrait davantage pour doucher l’optimisme inébranlable du président français. D’ailleurs, l’épisode tombe à pic pour faire oublier les gaffes de l’exécutif (« l’affaire Léonarda»). Six jours après, à l’aéroport de Roissy, François Hollande est de nouveau au pied de la passerelle, devant les cercueils des deux envoyés spéciaux de Rfi assassinés au Mali. La répétition est amère. La scène se passe sous le crachin, à distance des caméras et le Président a longuement hésité à se rendre sur place. L’émotion considérable qu’a suscitée ce double meurtre, notamment dans les médias l’a convaincu de faire le déplacement. Accessoirement, il distrait aussi de la grogne qui monte dans l’opinion (la « révolte » des Bretons). Le deuil imposant le silence, ministres et porte-paroles se contentent de répéter virilement que les coupables seront châtiés. C’est parler pour ne rien dire, puisque proférer le contraire eut été absurde.

Les Français qui savent depuis longtemps que la lutte contre le terrorisme est un combat sans fin se résignent à l’idée que l’opération Serval ne suffise pas à neutraliser tous les coupeurs de route du Sahel. En attendant les résultats de l’enquête, seuls les esprits critiques se risquent à faire un lien entre la libération des otages et l’exécution des reporters. Rien ne laisse penser que François Hollande révise son opinion sur le Mali où il pense avoir vécu en mars à Tombouctou « le plus beau jour de sa vie ». Pourtant, les évènements devraient lui imposer cette révision radicale. C’est à Kidal que le Président français risque bien de vivre ses jours de désillusion les plus cruels. Car c’est absurde de croire que la présence de milliers de soldats, avec casques bleus, képis français ou bérets africains suffise à pacifier le Mali. C’est une utopie digne des néo-conservateurs américains d’imaginer qu’on construit une démocratie parce qu’on respecte un calendrier électoral précipité, présidentielle en août et législatives en novembre. Enfin, il faut être sourd et aveugle pour imaginer que le problème séculaire que pose l’irrédentisme touareg se réglera tout seul comme par magie, alors qu’il se double désormais d’un casse-tête intégriste.

Depuis l’accord de Tombouctou au début de l’été, un cessez le feu fragile impose aux miliciens du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad) et aux militaires maliens dont la présence est symbolique à Kidal de rester dans leur cantonnement. Quelques dizaines de parachutistes français tiennent les carrefours de la capitale des Ifoghaset, tous regardent passer les pistoléros qui rentrent du désert à bord de leur pick-up comme s’ils revenaient du front. Car les rebelles enfouraillés sont de retour en ville, sans avoir rien renié de leur engagement auprès d’AQMI. Ils ont d’autant moins de raisons de le faire que les palabres qui ont permis de libérer les quatre otages français valent réhabilitation des islamistes Touaregs. Outre quelques millions d’euros, l’essentiel de la rançon est le sauf-conduit accordé au fondateur du mouvement djihadiste touareg Ansar Dine, IyadAg Ghaly et la levée des mandats d’arrêt qui avaient été lancés contre trois responsables Touaregs, dont le député de Kidal qui va se représenter… sur les listes du parti du Président malien ! Le deal va ainsi permettre aux djihadistes accusés de crimes de guerre de se refaire une virginité et de prendre un rôle dominant dans la lutte politique pour l’indépendance de la région.

Actuellement, le MNLA négocie sa dissolution pour intégrer le HCUA (Haut conseil pour l’Unicité de l’Azawad) et le MAA (Mouvement Arabe de l’Azawad) qui sont deux émanations d’Ansar Dine et qui ont l’ambition de constituer la future plateforme, pour négocier avec Bamako. Il ne faut pas être prophète pour deviner ce qu’il adviendra de cette alliance entre islamistes et Touaregs radicalisés si les négociations échouent… S’engager militairement au Mali sans avoir de solution diplomatique, politique, économique à offrir au problème touareg conduit inévitablement à l’impasse. Si l’armée française ne s’ensable pas au Mali, c’est uniquement parce que l’étatmajor peut faire valoir à bon droit que les renforts manquent, que les matériels s’usent, que le budget souffre (3 millions d’euros par jour). Sans forcément en avoir conscience, François Hollande a été le dernier à se laisser envoûter par les mirages de la guerre au terrorisme, alors que les précédents irakiens, afghans, libyens auraient dû le dégriser. Cela peut lui donner matière à méditation entre deux allers-retours sur le tarmac des aéroports parisiens