Geoffrey Rush « Le théâtre m’a servi pour mon jeu au cinéma »

Ayant brillement interprété une multitude d’hommes aux personnalités mystérieuses et destins atypiques, tels que le Capitaine Barbossa dans Pirates des Caraïbes, l’orthophoniste du roi George VI dans Le Discours d’un roi, un pianiste à la fois brillant et instable dans Shine, Geoffrey Rush est un des rares interprètes à avoir remporté « les trois Couronnes » pour un acteur : un Oscar (Shine, 1997), un Emmy Awards (Moi, Peter Sellers, 2005) et un Tony Award pour ses débuts à Broadway (Exit the king, 2009). Nommé aux Oscars pour Shakespeare in Love (1999), Quills, la plume et le sang (2001), et le discours d’un roi (2011), le sexagénaire ayant reçu au cours de sa carrière, 3 Baftas et 2 Golden Globes se dit chanceux d’avoir incarné des personnages hors du commun comme Albert Einstein et Alberto Giacometti. Invité d’honneur de la 18e édition du FIFM, il affirme n’avoir aucun regret en interprétant des rôles excentriques durant sa carrière.

En tant qu’acteur, qu’est ce qui vous motive pour le choix d’un rôle ?

J’ai plusieurs agents, un à Sydney, un à Los Angeles, quand je lis un scénario, je sais que ça va être un projet incroyable, mais je ne peux pas me projeter dedans. Quand on m’a sollicité pour jouer dans « Moi, Peter Sellers », j’avais adoré le scénario, mais j’avais trop peur de faire les choses de la mauvaise manière, il y a tellement de diversités lorsqu’on approche un tel personnage mais comme j’ai vu le nombre d’acteurs qui voulaient l’interpréter, j’ai pris mon courage à deux mains et je me suis lancé ! Je suis alors devenu l’ami du réalisateur Steven Hopkins et cela fait 15 ans que ça dure. Dans ce genre de situations, il faut être brave, et c’est ce qui m’est arrivé pour plusieurs projets. Dans « Shakespeare in love », j’ai lu 5 pages et j’étais tellement emballé par le projet que je voulais absolument en faire partie. J’ai adoré l’esprit du film, le tournage quotidien au théâtre, jouer la comédie au temps de Shakespeare. Puis, un rôle comme Einstein dans « Genius » arrive, et vous vous sentez plus confiant parce que vous vous dites que vous êtes plus âgé et plus expérimenté. Mais ça n’était pas si évident que cela ! J’avais demandé à un photographe qui était l’ami de ma fille s’il pouvait faire une photo avec 80% de moi et 20 d’Einstein pour voir un peu à quoi je ressemblerais. Incarner le visage le plus célèbre au monde, c’est quelque chose. On n’a pas utilisé Photoshop, mais plutôt du Blanco de papier. J’étais super excité à l’idée d’interpréter ce rôle, j’ai adoré le scénario. Pour un acteur sexagénaire, c’est une occasion qui ne se présente pas tous les jours. Vous savez, j’ai étudié au lycée les mathématiques avancées, la physique et la chimie jusqu’à mes 17-18 ans. Mais j’ai échoué lamentablement car c’est à ce moment-là que je commençais mes cours d’art dramatique. J’aurais dû étudier l’art, la littérature, la géographie…Et là, des années plus tard, j’ai interprété un rôle de physicien et j’ai excellé dedans.

Comment préparez-vous vos rôles ?

Ça dépend du rôle car chaque personnage nécessite de développer certaines capacités. En fait, j’aime les rôles qui nécessitent une préparation dans un domaine particulier, un domaine hors de mes capacités et connaissances ; par exemple, jouer de nombreux instruments, combattre à l’épée ou tailler un costume. Vous devez donner l’impression que vous savez ce que vous faîtes, sans trop faire appel au montage.

Pour le rôle du capitaine Barbossa dans Pirates des Caraïbes, j’ai dû apprendre l’art du combat. Quand vous avez 50 pirates qui se battent, c’est assez dangereux. Il fallait sauter très haut, je ne pouvais pas faire cela !  Huit semaines de tournage, c’était douloureux, je me suis blessé à la jambe mais je me suis remis rapidement au travail, tellement j’ai adoré faire ce rôle, malgré les difficultés rencontrées, c’était un vrai challenge pour moi. Tout comme ça l’était, bien que différemment, pour certaines scènes dans « The tailor of Panama » de John Boorman. Dans « Shine », j’ai appris à jouer du piano… Lorsque j’ai fait « King Lear », j’ai commencé 6 mois auparavant pour apprendre les dialogues, je voulais être crédible.

Pour Giacometti, c’était génial parce que Stanley Tucci est super, -j’avais adoré son film «  Big night »-. Pour ce film, il nous a avoué avoir écrit de mauvais dialogues, et qu’il ne fallait pas jouer sur le tournage. La scène que j’ai tournée avec Tony Shalhoub était amusante, pourtant, Stanley nous a signifié qu’il ne fallait pas qu’elle paraisse amusante ! Dans « Alberto Giacometti, The final portrait», pour certaines scènes, j’ai dû visionner plusieurs films français avec des plans existentiels et académiques montrant des personnages aux lunettes noirs et des cheveux courts, qui lui demandaient d’où venait son génie ? Et lui qui leur répondait : « J’ai commencé avec mes mains… » sans jamais intellectualiser son travail. Je me suis donc servi de cela pour le rôle, on a beaucoup coupé, on a fait énormément de transformation, changé plusieurs costumes, on a eu recours à beaucoup de maquillage, parce que moi, je suis plus grand de taille et plus maigre, et lui, devait paraitre plus petit ; il fumait 80 cigarettes par jour, son visage devait paraitre plus terne, …Le plus dur, c’était de le tourner en anglais alors qu’il était italien de Stampa mais parlait en français ! J’ai dû tourner une partie en français même si mon accent est horrible, ce n’était pas évident. Bref, ma femme m’a dit que c’était le meilleur rôle de ma carrière !

Quand vous interprétez un rôle, est ce que c’est facile pour vous de passer à autre chose une fois fini ou bien le personnage continue à vous habiter longtemps après ?

En fait, je le laisse dans les vestiaires. Des fois, l’équipe avec qui vous avez travaillé vous manque plus que le rôle. Quand on a tourné la série d’Einstein, c’était tellement excitant de tourner chaque jour, j’ai joué avec des acteurs de différentes nationalités : croate, suédois, anglais, américain, …avec qui je n’avais jamais joué auparavant. C’est cet esprit de globalisation qui m’a un peu manqué, sans oublier bien sûr le lieu magnifique de tournage qui et Prague. J’ai gardé de bons contacts avec plusieurs personnes avec qui j’ai joué, certains que je connais depuis 40 ou 50 ans. Parfois, vous passez 3 mois intenses de votre vie avec les mêmes personnes, c’est pour cela que c’est génial de se retrouver avec les 25 invités de la délégation australienne ici à Marrakech, je les connais tous d’une manière différente, c’est cinq décennies de réalisateurs, j’ai collaboré avec certains d’entre eux, comme Gillian Armstrong, certains sont des amis de longue date.

Comment vous comportez-vous sur le tournage ?

J’ai été chanceux d’avoir fait 25 ans de théâtre avant d’intégrer le monde du cinéma. Le processus d’audition théâtral m’a beaucoup servi par la suite, avec le temps, ça devient instinctif, et ça influt sur votre façon de vous comporter sur scène. Quand j’ai rencontré Philip Kaufman, pour le rôle The Marquis De Sade  dans « Quills, la plume et le sang », j’étais excité de pouvoir le rencontrer mais je lui ai dit qu’il s’était probablement trompé de personne en me choisissant pour le personnage du Marquis et qu’il était peut être plus judicieux pour lui d’avoir Marlon Brando pour l’interpréter. Il a souri et m’a dit que vu la façon dont il a été écrit (par Doug Wright), ça me conviendrait parfaitement. 

J’ai joué beaucoup de Shakespeare, je n’ai pas vraiment joué les héros, j’étais plutôt le type alcoolique, le mauvais gars, …tous ces rôles excentriques m’ont beaucoup servi pour ma carrière dans le cinéma par la suite.

Des regrets ?

Non, une carrière c’est une créature très étrange. Des fois, quand les gens vous arrêtent dans la rue, comme cette femme qui m’a regardé dans les yeux et m’a souri, parce qu’elle m’a aimé dans un rôle !  J’ai probablement détesté « Quills », mais il y a certains films qui ont un impact dans votre vie, surtout s’ils ont été nominés, donc, ils vous collent plus à la peau. Ceci étant, j’ai adoré jouer des hommes mystérieux, dans « Elisabeth », « Les misérables », « Shakespeare in Love », …. J’ai adoré faire ce métier, j’ai toujours aimé le théâtre, j’adorais lire du Shakespeare au lycée, contrairement à la plupart de mes camarades !