Hassan Benjelloun « Le rôle d’un cinéaste c’est de réveiller les consciences »

Après avoir été projeté lors du 41e Festival international du film du Caire, le dernier film de Hassan Benjelloun arrive sur les écrans marocains. Absent des salles depuis 2013 (La lune rouge), le cinéaste marocain nous parle de son nouveau long métrage « Pour la cause », une œuvre à la fois légère et humaniste où il revisite une facette de la tragédie palestinienne. Un film poignant sur le déchirement d'un peuple meurtri par l'occupation, avec des clins d'œil sur la solidarité spontanée des Marocains avec les dépositaires de la « cause », le tout ayant pour arrière plan, le problème des frontières avec l'Algérie.

Pourquoi ce sujet ?

Parce que j’avais envie de parler de la cause palestinienne et que c’est un sujet qui n’a jamais été traité dans le cinéma marocain. C’est une thématique qui a toujours figuré dans mon programme, j’ai parlé des Juifs, des années de plomb, de la femme, …vous savez, en tant que cinéastes marocains, même si on a la chance de  nous exprimer pour dire ce qu’on pense, on n’a pas le droit de rêver comme les autres cinéastes, on n’est pas tout à fait libres ! Notre société a encore besoin de nous, il faut  l’accompagner car elle a besoin d’être assistée ! Il faut créer des sujets pour la faire avancer, et se réconcilier avec notre mémoire, avant d’avancer et d’affronter l’ensemble des changements dans le monde. Le Marocain cherche encore son identité et c’est ce que je traite dans « Où vas-tu Mosché ? Là, j’ai voulu parler de la cause palestinienne et comment, nous Marocains, on la ressent ? Avec tous les problèmes locaux et internes des pays arabe, la cause palestinienne est devenue secondaire. Je voulais un peu chatouiller la réflexion et la curiosité des Arabes en général et essayer par la même occasion de remettre la cause palestinienne à sa place. C’est une question qui n’est toujours pas réglée et mon rôle en tant que cinéaste c’est aussi de réveiller les consciences.

Est-ce que vous croyez vraiment au pouvoir du cinéma ?

Absolument. L’image c’est le 2e produit consommé après le pain. Grâce à l’image, on peut changer des lois, faire des révoltes, bouleverser des régimes, bousculer des croyances…L’image a une force qu’on ne peut mesurer. Quand c’est présenté sous forme de fiction, les gens s’identifient aux personnages, aux situations et quand on sort d’un film, on n’est pas indifférent. On peut toucher les gens de différentes façons : avec les larmes, le rire, le suspens, l’angoisse…Il y a plusieurs moyens pour faire monter l’adrénaline.

Pourquoi la frontière entre le Maroc et l’Algérie en background ?

Je devais choisir une frontière, et celle entre le Maroc et l’Algérie me tient particulièrement à cœur. Je voulais donc attirer l’attention sur ce problème et le fait de l’avoir en arrière plan, c’est aussi ma manière à moi d’inviter les cinéastes à en parler. Il faut que les intellectuels bougent des deux côtés, il faut faire plus de documentaires, plus des films qui traitent de ce sujet pour faire bouger les choses. D’ailleurs, le film se termine sur une magnifique chanson de Aziz Sahmaoui « Entre voisins ».

Justement, on a l’impression que la musique va régler tous nos problèmes et panser tous nos maux ?

Exactement, c’est ce que je dis dans le film. La musique n’a pas de frontière. C’est grâce à l’Art qu’on peut résoudre énormément de problèmes. D’ailleurs, la frontière avec l’Algérie est ouverte, on fait beaucoup d’échanges culturels et artistiques entre les deux pays, on va chez eux pour les festivals et on présente nos films chez eux et vice versa. 

Comment avez-vous choisi les 2 rôles principaux : Ramzi Maqdisi et Julie Dray?

Je cherchais un vrai comédien palestinien pour donner toute la crédibilité au personnage, que ça soit au niveau du langage ou par rapport à la cause que je défends. J’ai casté des Syriens, des Libanais, des Algériens mais je voulais un palestinien, d’Al Qods. Ramzi est un Arabe israélien qui vit entre Jérusalem et Barcelone, et pour obtenir son visa, il a dû utiliser son passeport israélien parce qu’avec son passeport palestinien, il a eu beaucoup de problèmes ! Pour la fille, je cherchais une française d’origine juive marocaine, j’ai choisi Julie parce qu’elle travaille énormément en Angleterre et aux USA, et je voulais quelqu’un d’international, vu que les personnages parlent 4 langues. Ce mélange de langues donne au problème sa dimension internationale. 

Comment les avez-vous dirigés sur scène ?

La Française est très audacieuse, emmerdante, effrontée, hautaine. Elle se permet tout juste parce qu’elle est d’origine française. Elle est aussi un peu fofolle, une vraie gaffeuse qui s’attire énormément d’ennuis. Le Palestinien est en revanche réservé, il a peur des frontières, il essaie d’être sympathique, diplomate. Les deux comédiens ne se connaissaient pas, ils se sont rencontrés en 2 jours. J’ai passé beaucoup de temps avec eux avant le tournage, j’ai passé une semaine avec Ramzi à Barcelone, on a longtemps discuté du rôle. Avec Julie, on a parlé sur Skype, je faisais attention à sa gestuelle, sa façon de se déplacer…

 

Quel genre de réalisateur êtes-vous sur le tournage ? 

Je sais exactement ce que je veux, car quand on a un petit budget, on ne peut pas se permettre de perdre du temps. Je prépare mes comédiens à l’avance mais je leur laisse aussi une marge de liberté parce qu’ils peuvent m’apporter autre chose. En fait, je suis à l’écoute, je prends ce qui m’arrange et je laisse de côté ce qui me semble inintéressant pour le rôle. De même pour les techniciens. Je ne suis pas du tout dictateur, le tournage est pour moi une vraie fête, c’est un travail d’équipe, on travaille tous pour l’intérêt du projet. Le film a été tourné en 4 semaines avec les déplacements à Barcelone, Fès, Casablanca, Settat, Ouled Abbou, …je l’ai produit moi-même avec Rachida Saâdi de Janaprod, le CCM nous a donné 3 millions de DH, la plus faible subvention octroyée à un réalisateur ! C’est un sujet qui fait peur, mais ce n’est pas une raison pour ne pas en parler. Ça m’a pris 3 ans de préparation mais l’idée est née il y a très longtemps.

Qu’est ce qui vous plait chez Abdelghani Sannak ?

C’est l’un des meilleurs acteurs qu’on a au Maroc. J’adore sa créativité, sa spontanéité, sa capacité à se métamorphoser, à changer, sa manière de travailler et d’incarner ses personnages. Il est génial, très talentueux, il a collaboré avec moi en 96 et depuis, on est devenus amis. C’est quelqu’un en qui j’ai confiance.

La bande musicale est signée Louis Mancau et Mohamed Oussama ?

J’ai déjà travaillé avec Mancau sur « Les oubliés de l’histoire » et il me convient à merveille car il est discret, on ne ressent pas sa musique, elle fait partie du décor, du personnage, ce n’est pas quelqu’un qui s’impose pas avec sa musique. Mohamed Oussama est génial aussi, je les ai fait participer au film dès l’écriture, tout comme la monteuse d’ailleurs, pour qu’ils puissent tous s’imprégner du sujet dès le départ.

Des projets ?

J’ai deux projets : un sur l’Amazigh et l’autre sur le courant soufi au Maroc (via les zaouiyas). Ce sont des fictions documentées avec pour le film soufi une histoire d’amour et des rebondissements incroyables, entre deux mondes que tout sépare : le monde spirituel et le monde matériel des affaires. 

Le projet sur l’Amazigh risque lui, de froisser la sensibilité de certains parce que je vais pointer du doigt la façon dont les Arabes ont transformé la vie des Amazighs. Ce peuple qui jadis, était joyeux à travers ses chants, ses danses,… et qui a vu ses fêtes colorées changer brutalement après l’interdiction de certains rituels païens comme l’utilisation de masques ou de marionnettes …! 

Pour vous, l’amour c’est la solution ?

On ne peut pas savourer un moment dans la vie sans amour. L’amour c’est ma raison d’être, j’ai toujours semé l’amour autour de moi. Quand je fais un film, j’espère qu’il plaira aux gens. Le film a bien été accueilli au festival du Caire et pourtant ce sujet est sensible, parce que je le traite avec beaucoup de légèreté. Je trouve que c’est la meilleure façon de passer un discours sérieux !