Libre cours
Naim KAMAL

ABDALLAH LAROUI est sorti de sa tanière car il y a péril en la demeure. Il entend répondre à l’appel de l’enseignement au primaire par le dialectal. Il a choisi pour cela le quotidien Al-Ahdath Almaghribia qui le publie en trois parties. Pour des raisons de bouclage, je ne réagis qu’en fonctions des deux premières. De toute façon, je n’ai pas l’intention de m’inscrire dans le débat de fond. Je le laisse à mieux qualifié que moi. La sortie de Abdallah Laroui se fait au nom de la sauvegarde de l’unité nationale. Un peu fort, mais la démonstration est rigoureuse. Je dois reconnaître qu’il me met mal à l’aise. Autant par son autorité intellectuelle que par la pertinence de son argumentaire. Mais être pertinent ne veut pas dire nécessairement avoir raison. Face à Abdallah Laroui, on n’est pas devant un islamiste qui brandit son épée pour défendre le sacré ou l’intégriste de la langue dont l’argument massue est que les prosélytes du dialectal sont la cinquième colonne d’une vaste conspiration impérialo-sioniste. Face à Abdallah Laroui, on est devant l’historien qui a la connaissance de son pays, l’érudit qui maitrîse son sujet, l’homme du questionnement et des grandes questions, l’enseignant pour lequel un cours n’est pas quelque chose d’abstrait.

Je dois avouer pour ceux qui ne le savent pas que jusque-là, j’étais plus proche de Laroui, le neveu, que de Laroui l’oncle. Là où le premier, Fouad, me confortait dans mes idées, le second me déstabilise. FOUAD LAROUI, récemment prix Goncourt de la Nouvelle, adepte du dialectal, va naturellement beaucoup plus loin que moi : Il aurait aimé écrire l’arabe en lettres latines et regrette «qu’on n’ait pas adopté la graphie latine pour écrire le berbère ». Pour en savoir plus, lire « Le drame linguistique marocain» (Editions Le Fennec). Abdallah Laroui sème le doute en moi quand il s’amuse à détruire les effets néfastes qu’aurait la diglossie sur l’apprenti. Son argumentaire recourant à l’écriture musicale n’est pas sans éloquence. Que dit-il ? « Si nous appliquons cette logique, et voulons préserver notre musique marocaine, allons-nous dire qu’il n’y a aucun bénéfice à ce que l’enfant apprenne l’écriture des notes musicales ? Qu’il lui suffirait d’apprendre ces chansons oralement ? » Abdallah Laroui ne le dit pas mais on ne peut s’empêcher de le penser : Se peut-il qu’un élève dans un conservatoire apprenne le solfège dans l’alphabet arabe ou latin alors qu’il a sa propre nomenclature dont il ne peut se passer ? Comment donner le la et écrire en toutes lettres, arabes ou latines, do naturel, do dièse, do bémol, do majeur, do mineur ? Ma conviction était toute faite : Les langues, comme les hommes qui les parlent, naissent, grandissent, vieillissent, font des petits qui seront comme eux mais tout-àfait eux et disparaissent. Toutes les langues ont fini par muter. C’est peut-être ça la vérité, mais A. Laroui m’a ramené, dès la première partie de son entretien, à la même perplexité que j’ai devant la revendication de l’abolition de la peine de mort. Je ne sais pas si je suis pour ou contre.