Exposition. Chaïbia, la magicienne des arts

La galerie d’art « Espace Expressions CDG » accueille du 10 décembre 2020 au 15 mars 2021 une exposition en hommage à une icône de l’art naïf marocain feue Chaïbia.

 

 

L’exposition en hommage à Chaïbia vient couronner la première décennie d’activité de la galerie d’art « Espace Expressions CDG » à Rabat qui célèbre cette année son 10e anniversaire.

Rendue possible grâce à la contribution de son fils, l’artiste Hosseïn Tallal, l’exposition qui consiste à préserver la mémoire de Chaïbia est une rétrospective retraçant différentes périodes de sa vie. « Chaïbia est une artiste ancrée dans le Maroc authentique et aux traditions séculaires, confie Dina Naciri, Directrice Générale Fondation CDG, mais aussi une diva qui a rayonné, et qui rayonne toujours, en portant loin, à travers ses innombrables expositions autour du monde, l’image du Maroc, celle d’un Maroc aux valeurs indéfectibles de tolérance, d’ouverture au monde et de diversité culturelle ».

 

 

Dans sa pratique artistique, Chaïbia s’exprime sans filtres ni référents, elle nous donne à voir ses propres représentations à travers une multitude de sujets que les couleurs du Maroc font vibrer.

Telle une magicienne, elle trace ses figures et ses personnages avec de la couleur, des formes et motifs qui viennent compléter ses tableaux dans des harmonies chromatiques éblouissantes. Sa magie opère au premier regard, elle nous invite dans son univers mystique à un dialogue avec ses conteurs, ses femmes, ses voyantes, ses musiciens, ses Fellahs de Chtouka.

 

 

« Chaïbia a les yeux, les mains fertiles »

 

Née en 1929 à Chtouka, Chaïbia Tallal est une femme audacieuse dotée d’une forte personnalité qui s’est construite en suivant son instinct.

Découverte et encouragée par le critique et ami de Ahmed Cherkaoui, Pierre Gaudibert, Chaibia expose pour la première fois en 1966, ses œuvres au Goethe Institut de Casablanca. Elle participe alors à d’importantes expositions d’art brut. Certains soulignent le rapprochement de ses peintures avec les œuvres du groupe Cobra, et on raconte même qu’un jour Guillaume Cornelis van Beverloo se serait mis à genoux devant ses toiles.

 

 

 

Au Maroc, par contre, la réception de l’œuvre de Chaïbia est longtemps plus mitigée. Dans les années 1960, les tenants des mouvements artistiques marocains, essentiellement des hommes, rejettent violemment sa peinture, et l’accusent de contribuer à l’image d’un sous-développement du Maroc.

Peintre autodidacte et analphabète, coloriste intrépide, Chaïbia réalise une œuvre plutôt spontanée, naïve et sensorielle. Elle peint en plein air, souvent sur de très grandes toiles, à la gouache et à l’encre de Chine. Elle utilise les couleurs sans les mélanger, à la sortie du tube, et ce chromatisme importe le plus à son art. Appliquées sur la toile, souvent sous forme de grands aplats cernés de noir, les teintes sont à la fois virulentes et affectives. Leur disposition intuitive recrée l’univers dans lequel la peintre est venue au monde : la campagne marocaine. Chaïbia en représente les protagonistes traditionnels, dans autant de portraits : la mariée, le conteur, la danseuse, la jeune fille de Casablanca, dans autant. La Femme berbère -collection privée-, une de ses toutes premières toiles, est considéré comme un autoportrait : on y voit une femme apeurée, les yeux fermés, mais qui semble sur le point de s’exprimer. L’humour est une composante essentielle de ses œuvres. Le goût de la fête et des fantasias revient lui, de façon récurrente.

 

 

 

Consciente des obstacles qui entravent l’émancipation des femmes dans son pays, Chaïbia s’investira tout au long de sa carrière dans sa peinture, ce qui lui permettra de transcender ses blessures et lui offrira l’opportunité de devenir l’actrice de son destin.

De tempérament gai, sociable et énergique, elle puise ses images dans la vie populaire marocaine, qui donnent à voir une réalité inventée et transmettent son affectivité à travers la couleur à l’état brut et dans le geste ample. Les personnages restent son sujet de prédilection, et les visages et les mains occupent une place prépondérante dans ses toiles, laissant entrevoir sa force de caractère et son immense joie de vivre.

 

 

« Elle a souvent recours à la narration pour dévoiler le propos implicite de ses tableaux et raconte leurs histoires sous-jacentes avec ses mains à ceux qui ont la chance de la côtoyer », explique Brahim Alaoui, historien de l’art et commissaire d’expositions. Sa participation à l’exposition « Trois femmes peintres, Baya, Chaïbia, Fahrelnissa » au musée de l’IMA à Paris, du 5 juin au 23 septembre 1990 restera longtemps dans les annales.

Chaïbia a les yeux, les mains fertiles », disait d’elle son admirateur le poète André Laude.

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